Le temple de Gergovie
« La Culture, c’est l’emploi de demain. La France est le pays du monde qui a les ressources les plus extraordinaires par son histoire, ses monuments et ses savoir-faire. Ses ressources sont largement sous-utilisées. » Cette phrase a été écrite en 1986 par un actuel candidat à la présidence de la République, puis, comme beaucoup de phrases politiques, je me demande si on ne l’a pas oubliée.
Le jour où j’ai lu cette déclaration, je me suis dit en effet que dans la situation financière que connaissait notre pays, la solution qui consiste à créer des ressources nouvelles était tout aussi valable que celle de vouloir faire des économies sur le dos du contribuable. Attirer davantage le tourisme étranger et ses devises me semblait aller de soi, et pour cela, deux types d’action possibles. Premièrement, sauver la France des châteaux et des cathédrales tout en offrant du travail à ceux qui n’en ont pas, deuxièmement, valoriser notre patrimoine historique, ce qui pouvait également susciter des créations d’emploi. Mes deux précédents articles intitulés "Bibracte, capitale gauloise" et "Elle court, elle court, Gergovie" s’inscrivent dans ce deuxième type d’action. Les opinions favorables qui ont suivi cette publication m’encouragent à poursuivre dans cette voie.
Dans ce présent article, je propose au lecteur de me suivre dans une enquête résumée et rapide à la recherche du temple de Gergovie.
Le Crest a son église. Contrairement à l’habitude, elle ne se dresse pas au centre du village mais en dehors de l’ancien ensemble fortifié. Sur le dessin du XVI ème siècle de Guillaume Revel, elle est en dehors de l’épure. Le héraut d’armes s’est arrêté au grand monument aux hautes fenêtres cintrées. La première opération à faire est de supprimer l’édicule qui supporte le clocher lequel, manifestement, a été collé à l’édifice à une époque relativement récente. Il ne figure pas sur l’ancien cadastre. Nous avons affaire à une église sans clocher.
Deuxième opération. Nous nous rendons dans l’église Notre-Dame du Port de Clermont-Ferrand et nous cherchons dans ses chapiteaux une évocation de ce qui pourrait être le temple gaulois de Gergovie. Dans la sculpture de gauche, nous découvrons une abside, vue de l’extérieur en haut, vue de l’intérieur en bas. Dans la sculpture de droite, nous découvrons, en bas, la même abside intérieure, voûte bien représentée. Ceci fait, nous comparons ce que nous avons trouvé avec l’église existante (voir photo). Première constatation : côté choeur, il y a concordance. Seule différence, à la place de l’autel, un sarcophage/mausolée recouvert d’un voile évoque l’esprit d’une Marie ou Vierge-mère (Notre-Dame du Port) protectrice de la cité. Deuxième constatation : côté extérieur, il y a concordance en ce qui concerne l’abside mais à condition de comprendre que le sculpteur n’a représenté que les trois fenêtres centrales, les deux autres fenêtres latérales étant probablement closes ou non visibles (voir croquis ci-dessus).
Troisième opération : nous nous reportons au texte de Sidoïne Apollinaire qui nous décrit, dans les années 450 (?), les bains d’Avitacum (Gergovie/Le Crest). Nous identifions les bains froids au monument à hautes fenêtres cintrées que Guillaume Revel a représenté sur son dessin. Il s’agit d’un bâtiment semblable à celui d’Autun dit "temple de Janus" que je considère pour ma part comme un établissement de bains à l’usage du voyageur. Nous situons les bains chauds dans le chœur de l’église. Nous en déduisons que lorsque Sidoïne Apollinaire nous fait cette description, l’église du Crest est un établissement de bains et que ce n’est qu’ensuite qu’elle a été transformée en église "mariale", sous le règne de l’empereur Avitus beau-père de Sidoïne... ou après ?
Quatrième opération : Sidoïne Apollinaire écrit qu’on pouvait aller directement des bains chauds à une piscine extérieure, en passant par les trois ouvertures voûtée (les trois fenêtres centrales, la quatrième et la cinquième étant probablement closes comme je l’ai dit précédemment). Il précise que les colonnes (qui encadraient ces ouvertures) n’étaient pas de simples piliers mais des colonnes que les architectes des grands monuments appellent "purpuras". Je traduis cet adjectif par "rendues très belles par la sculpture" autrement dit "colonnes à chapiteaux sculptés". Le plus important de ces chapiteaux représente les trois manifestations de Dieu de la mythologie antique : le soleil, la lune et le dieu inconnu de Platon. Or Platon vivait au IV ème siècle avant J.C. Il n’y a rien de chrétien dans le temple/église de Gergovie mais uniquement du druidisme gaulois dans sa signification la plus symbolique et la plus émouvante. Voyez la feuille de chêne.
Cinquième opération : A partir de la description que Sidoïne Apollinaire nous a fait de son établissement de bains, nous remontons encore plus loin dans le temps jusqu’à imaginer le temple grec des origines, temple delphique, jusqu’à imaginer sous la surface du sol la piscine de Sidoïne, en réalité un baptisterion de style grec, aujourd’hui comblé.
Les Gaulois de Gergovie sont descendus, nus, dans l’eau lustrale, pour se purifier de leurs fautes, comme dans le chaudron mystique des origines, sous le regard des six lions divins qui crachaient sur eux le symbole de la pureté terrestre (voir le texte de Sidoïne). Ensuite, ils sont entrés dans l’adyton par les trois ouvertures voûtées, pour y recevoir à la fois la guérison spirituelle et la guérison physique au contact de l’eau miraculeuse qu’une canalisation de plomb faisait descendre de la montagne sacrée. Ils ont soumis les devins au feu de leurs questions. Ils ont reçu l’oracle de la pythie. Puis, ils sont passés dans le Mégaron pour y déposer leurs offrandes ou leurs ex-voto, et pour honorer Déméter, la déesse-mère entourée des dieux.
Conclusion : les Français sont un des peuples qui ont le plus contribué à extraire du sol l’histoire des autres... et le plus aveugle à comprendre la sienne. Du fait de mon ancienne profession, j’ai été amené à connaître de nombreuses techniques de lavage, de manipulation et de conditionnement des cerveaux. J’avoue que cet aveuglement qui se nourrit encore aujourd’hui de lui-même est le plus impressionnant et le plus étonnant que j’aie jamais étudié.
E. Mourey
Cet article est un extrait très résumé et condensé d’un chapitre de mon "Histoire de Gergovie"
La description de Sidoïne Apollinaire se trouve dans "Lettres, II, II, II".
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