Une sémantique très libérale
Alors que la campagne bat son plein, on ne peut ignorer la prépondérance d’un mot qui nous est servi à toutes les sauces : « libéral », que l’on parle de « politique libérale », de « gauche antilibérale », d’« ultralibéralisme à l’américaine », j’en passe et des meilleures. Une seule constante, c’est une sauce chargée d’amertume, de mépris, voire de haine, une vraie soupe à la grimace.
Fraîchement rentrée en France (mon pays natal) après de longues années aux États-Unis (mon pays d’adoption), quelle n’a pas été ma surprise de découvrir que ce mot, souvent associé au qualificatif « américain » ou « à l’américaine », semble ici véhiculer un tout autre sens que celui qu’il porte outre-Atlantique. Il ne s’agit pas là d’une simple différence sémantique puisque dans ces deux langues, ce terme prend des sens opposés, mais là aussi, une constante : il semble avoir une forte connotation péjorative, sinon injurieuse. Alors que je vivais aux États-Unis, j’étais souvent qualifiée de « liberal », du fait de mes positions contre la peine de mort, en faveur de l’avortement, de la laïcité, des droits des minorités, d’un filet social, etc. Revenue en France, je n’échappe pas à ce qualificatif et me voilà ici aussi libérale, mais pour de toutes autres raisons...
Ainsi, bien qu’être un « libéral à l’américaine » ici ou un « liberal » en Amérique soient des concepts diamétralement opposés, où que j’élise domicile, me voilà enfermée dans ce carcan liberticide né de la déformation sémantique de ce terme par les bien-pensants du cru. Serions-nous beaucoup plus proches de nos cousins américains que nous ne l’admettrions jamais ? Cette façon d’affubler les personnes dont on ne partage pas l’opinion d’un qualificatif devenu peu élogieux sans avoir le courage d’attaquer de front par des mots moins vides ou d’accepter la confrontation des idées trouve bien ici son pendant.
Pourtant, si l’on se penche sur les diverses définitions du mot « libéral », c’est un terme prometteur, sans parler de sa racine, le mot « libre » ou « liberté ». Appliqué à un individu, il est synonyme de « généreux », à des idées de « tolérant » ou « large », à une traduction ou une interprétation de « libre » (par opposition à une traduction littérale ou mot à mot) ; parmi ses antonymes, on peut citer « fasciste », « dirigiste », « totalitaire ». Le libéralisme philosophique est fondé sur les droits naturels de l’individu : liberté de pensée, d’expression, etc. avec pour seule limite le respect des droits naturels d’autrui.
Alors pourquoi un mot porteur de si beaux principes est-il devenu une insulte réductrice, une coquille vide qui réduit au silence et dépouille de toute substance par le mépris et la condamnation sans appel qu’il infère ? Pourquoi est-il désormais si chargé négativement ? Les sociétés occidentales auraient-elles peur d’une certaine liberté ?
Enfermés dans les chaînes du discours, nous devrions peut-être cesser de nous cacher derrière des conteneurs infidèles à leur contenu et nous libérer de ces signifiants insignifiants pour libéraliser et ainsi responsabiliser notre parole... et notre pensée !
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