Indécision ou le french paradox des élections de 2007
La campagne officielle vient juste de commencer que nous pouvons d’ores et déjà tirer quelques conclusions avant le résultat final indécis et pour cause. Selon les instituts de sondage, il y aurait entre 40 et 50 pour cent d’indécis, ce qui est considérable. D’où l’idée d’un paradoxe puisque rarement on aura vu tant d’émissions et de débats télévisés, radiodiffusés, sans compter l’entrée en scène du média Internet et des nombreux sites indépendants ou partisans. La campagne aurait passionné les Français dit-on. C’est possible. Tout dépend ce qu’on entend par passion. Un mondial de foot ou les jeux Olympiques passionnent tout autant les Français.
La multiplication des éléments pour juger et des éclairages médiatiques aurait dû ancrer l’électorat dans un camp ou un autre. Or, c’est l’effet inverse qu’on observe, les électeurs semblent désorientés pour ne pas dire paumés. Voilà donc un sujet qui devrait interpeller les analystes mais aussi faire réfléchir chaque citoyen. Essayons de tracer quelques éléments d’explication.
L’indécision de l’électorat suppose, en première analyse, une imprécision des candidats quant à leur positionnement sur différents sujets. Les lignes bougent comme on dit. Force est de constater que les candidats des deux grandes formations n’ont cessé de tergiverser, d’aligner des mesures, des propositions, des feux et contre-feux, de déclamer des valeurs, d’invoquer des figures historiques, au point d’égarer leurs électorats respectifs. Dans ce contexte, François Bayrou a su jouer une belle partie tactique, exploitant les erreurs des deux adversaires. Jean-Marie Le Pen est resté sur son capital non sans manœuvrer en séduisant l’électorat de la droite UMP. Chaque candidat s’est avéré influenceur et influencé, telle une girouette qui s’aligne sur la direction des vents tout en soufflant dans sa propre direction. Du coup, le système est devenu flou et les électeurs indécis le sont restés. Les girouettes varient au gré des idées, des suggestions, des propositions, des apparitions médiatiques et des sondages
Une réflexion plus profonde interrogera cette indécision remontant au tout début de la campagne, il y a des mois. Là, ce n’est plus une question de tactique électorale et de circonstance mais d’un fait sociologique bien ancré dans la société. Et ce d’une manière complexe et perplexe. Car à notre ère individualiste, beaucoup cherchent la solution qui leur apportera le plus de bénéfice. C’est une confusion des genres. Et si le politique se sert de la confusion des genres, il en profite, à tous les échelons. Sauf peut-être quelques grandes figures historiques qu’on cherchera en vain. Les électeurs votant par intérêt sont indécis car ils ne savent pas qui va représenter leurs intérêts. A l’époque de l’intéressement économique et financier, la représentation nationale incarne l’intérêt général plus que la volonté générale. Les électeurs ancrés dans des valeurs idéologiques ne savent plus qui les représente. Les clivages anciens se sont estompés, autant que l’aspiration à un agir collectif orienté vers le bien pour tous. Enfin, les Français sont désorientés par un facteur supplémentaire qui est la place du politique dans le monde actuel, mondialisation, modernisation, complexité... Du coup, certains tiennent des propos déplacés, comme José Bové, du genre remplacer la force dissuasive nucléaire par 150 000 enseignants. Dans ce cas, on frise le grotesque mais dans la plupart des propositions, on pourra trouver quelque chose de vain. Etant entendu que tout domaine d’activité budgétisé suppose une restriction dans d’autres domaines, sauf augmentation de la dette, d’où des choix. Pas tout, tout de suite, disait Lionel Jospin, pas tout, pour tous, impose la loi de conjoncture. Et pour finir, ajoutons le spectre du 22 avril qui joue sur une prétendue utilité du vote privilégiant l’efficacité face à l’expression d’une contestation au risque de voir le FN parvenir au second tour. Cette peur joue évidemment dans les votes de gauche, à l’avantage de la candidate institutionnalisée, madame Royal.
L’électeur de base est donc désorienté, ne sachant ni le comment du politique, ni le pourquoi, mais comme la démocratie est devenu une habitude il faut bien qu’il vote. De plus, le spectacle n’étant pas pire que celui donné par les piètres comiques de notre époque, l’électeur assiste, avec quelque plaisir divertissant et gentiment intellectuel, aux discussions politiques ; et s’il est militant et convaincu, il se déplace aux meetings comme d’autres vont au stade.
Les électeurs semblent perdus mais n’en sont pas pour autant égarés sur ce qui les intéresse de près, ce qu’ils souhaitent à petite échelle, ce qui les agace. La politique, c’est la superposition d’une perplexité nationale et de certitudes locales, d’une indécision sur les grands enjeux et de choix déterminés sur des choses proximales d’ordre privé. Bref, le sens du politique se dissout dans l’intérêt privé et se noie dans l’étendue des enjeux universels. Quant aux politiques, ils savent aussi ce qu’ils veulent : le pouvoir. En défendant certes des convictions mais sans qu’on sache quel est l’ordre de subordination, autrement dit la conviction instrumentalisée pour la conquête du pouvoir ou bien le pouvoir servant l’action au service de causes, valeurs et conviction. Mitterrand et Chirac lorgnent vers la première hypothèse. Avec les candidats de 2007, ce n’est pas un déplacement de vision mais carrément du tangage.
On (les citoyens, les gens) ne sait pas quels sont les vrais enjeux de société. Le pouvoir d’achat, la famille, la sécurité et l’écologie sont des enjeux importants mais largement insignifiants face aux grandes questions, sur la destinée humaine, le rôle de la technique et, avec une articulation trop complexe pour la raison citoyenne, la domination planétaire de deux figures, le manager (Bill Clinton, Blair, Sarkozy en sont, au niveau supérieur) et le financier (incluant les golden boys, les PDG, les profiteurs, les hyper-classe de loisir et de luxe). Sans doute, les politiciens sont-ils si imprégnés de puissance, de vie luxueuse, de domination, qu’ils ne savent pas ce que les gens vivent. Sans doute s’imaginent-il que le peuple se contente d’aspirations prosaïques, fade décalque des aspirations de la classe dominante. Tant que cette question ne sera pas débattue il n’y aura pas d’élection sur des enjeux déterminants. Mais simplement un vote pour servir la fonction démocratique d’un système qui dépasse le politique.
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