• AgoraVox sur Twitter
  • RSS
  • Agoravox TV
  • Agoravox Mobile

Accueil du site > Tribune Libre > L’été approche, changeons de régime

L’été approche, changeons de régime

Avant même les résultats du premier tour, avant même les déclarations émues du candidat élu, le constat est là : il est urgent de mettre fin au régime présidentiel à la française. Cette campagne en fait la preuve une fois de plus. Espérons que ce ne sera pas la fois de trop.

Le mode de désignation du chef de l’Etat a été défini en 1962. La France sortait d’une longue guerre, d’une vraie guerre de décolonisation. Elle avait eu, comme parfois dans son histoire, besoin d’un chef pour mettre fin à la crise et à l’indécision politique. Le costume lui fut taillé sur mesure. Il est aujourd’hui usé. Trop grand pour les prétendants actuels pensent certains. Peu importe. Les habits sont surtout dépassés dans un monde, dans une Europe où nous avons un besoin urgent d’intelligence collective et non d’égotisme plus ou moins éclairé.

Le costume est trop vieux, l’environnement a radicalement changé et notre mode de représentation politique à la tête de l’Etat montre chaque jour un peu plus d’anachronisme. Les rodomontades des uns et des autres sur une identité nationale réelle ou supposée semblent venues d’un autre âge. En noir et blanc avec quelques grésillements sonores, ces discours paraîtraient tirés de nos archives cinématographiques. Ils sont hélas bien actuels et entraînent les regards et les rares enthousiasmes dans une fausse direction.

A cette illusion d’un chef salvateur, qui fut peut-être en son temps nécessaire, s’ajoute l’illusion de la démocratie directe. En France, quoi qu’il dise, le peuple a toujours raison. Ce n’est pas un fait, c’est une croyance. La démocratie directe est dans notre imaginaire la démocratie ultime et ce peuple, que les fameux instituts de sondage appelaient encore récemment le Français moyen, est paré de toutes les vertus. Tel le bon sauvage de Rousseau, il est juste par nature. Le savoir est suspect et corrompt, les élites se tiennent dans l’ombre et organisent le spectacle. Cette campagne, plus qu’aucune autre dans notre histoire récente, nous montre très clairement les limites de cette « démocratie de voisinage » bâtie sur l’addition de revendications individuelles. Si le suffrage universel direct est nécessaire et adapté à certaines élections, il ne l’est plus pour désigner un chef de l’Etat dont le rôle est de fédérer et non de diviser. Sous la pression de la concurrence entre les médias, il fait basculer l’argumentaire sur la pente glissante du populisme et de l’outrance, sans crainte d’être verbalisé pour racolage sur la voie publique.

L’Europe est également un argument qui plaide en faveur de ce passage de nos institutions françaises à un système post-présidentiel. Absente de cette campagne, cette Europe existe. Nous l’avons voulue et nous la vivons déjà depuis longtemps au quotidien. Nous pouvons varier les analyses sur le bilan de son cinquantenaire, l’Europe est une réalité décidée et acceptée par notre génération et celles qui nous ont précédées. Les institutions existent et la France doit s’impliquer sans retard dans les décisions à prendre avec nos partenaires. Sur ce terrain, le régime présidentiel à la française entretient la nostalgie souvent manipulée d’une souveraineté perdue malgré nous ou d’une incapacité à décider face à un Bruxelles inéluctable. Nous sommes partie prenante à l’avenir de l’Europe et notre voix compte au même titre que celles de nos partenaires. Non la voix d’un chef défendant son clan mais la voix d’une communauté nationale qui apporte son expérience et ses valeurs et s’enrichit au sens propre et au sens figuré des apports de ses partenaires. Cette aventure européenne peut porter certaines de nos convictions au plus haut, au plus loin, à condition de libérer l’espace politique nécessaire pour que l’Europe ne soit plus dans nos esprits un domaine de politique étrangère, domaine réservé par tradition française au président de la République...

Devant ce spectacle d’une campagne que nombreux déplorent, dans une nation qui s’enorgueillit encore de ses lumières démocratiques et de son universalisme, nous pouvons ergoter sans fin sur les responsabilités des uns ou des autres. Nous pouvons aussi nous engager dans un vaste chantier, du local au national, pour jeter les bases d’un fonctionnement démocratique renouvelé et réinventé de notre société. Cette réforme indispensable, utilisant avec intelligence et honnêteté les avantages de la démocratie directe et ceux oubliés de la démocratie indirecte, passe nécessairement par la suppression de ce régime présidentiel et de ce recours au suffrage universel direct. Tant pour des raisons réelles que symboliques - et les symboles comptent dans la vie d’une nation -, cette place du président de la République au centre de la vie politique, avec son élection comme point culminant, bloque toute imagination et entretient les Français dans un rapport immature à leur destin. Nous avons besoin de représentants capables et intègres, nous n’avons pas besoin d’un chef.

Un nouveau modèle doit et peut être pensé qui ouvre plus largement les portes de la représentation politique, garantisse le fonctionnement démocratique des institutions et accorde une juste place au citoyen,. Une place à la mesure de son investissement dans le destin d’une communauté locale, régionale, nationale ou européenne. Le combat des chefs doit céder la place à l’addition des intelligences. L’espace ainsi libéré créera une dynamique et entraînera les énergies sur la voie d’une démocratie renouvelée, soucieuse du bien commun au présent comme au futur, ancrée dans l’Europe et inspirante au-delà. Mettre fin au régime présidentiel tel que nous le vivons depuis 1962 est le point de départ nécessaire pour libérer les énergies et les talents démocratiques qui ne manquent pas sur notre territoire.. Il nous faut pour cela jeter rapidement ce costume présidentiel qui nous empêche de penser plus loin que cette bataille de l’Elysée.


Moyenne des avis sur cet article :  3.55/5   (22 votes)




Ajouter une réaction

Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page

Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.


FAIRE UN DON



Les thématiques de l'article


Palmarès