Guaino cogne Bendit : l’encombrant cadavre de Mai-68
Il est parfois des moments où le sens des événements se livre avec clarté. Ce fut le cas lors de cette rencontre qui était inéluctable et qu’on attendait avec impatience. Ce samedi 22 décembre, Henri Guaino et Daniel Cohn-Bendit ont été invités dans l’émission d’Alain Finkielkraut pour faire le point sur une page de l’Histoire commencée un 22 mars en 1968. On ne présente plus les invités, le premier, parolier du président Sarkozy et le second, porte-parole et témoins des événements de Mai-68 dont on va célébrer avec passion, enfin, c’est moins sûr, le quarantième anniversaire.
Une impression générale pour commencer. D’abord, le débat a été pour le moins confus et, si dialogue il y eut, ce fut un dialogue de sourds, chacun ayant ses idées et ses munitions en tête et s’efforçant de les placer dans une cible souvent ratée. Ensuite, une différence de tonalité flagrante, sans doute due aux caractères des protagonistes, avec un Guaino plutôt zen, donnant l’impression d’être invité à un apéro dans un salon, alors que Cohn-Bendit visiblement avait choisi l’option ring. D’où une impression surréaliste de deux pensées qui se sont croisées sans se rencontrer sur l’essentiel, ne serait-ce que pour s’opposer franchement selon l’art de la dialectique. Enfin, une appréciation sur le match car s’en fut un. Une formule dit que les vainqueurs écrivent l’Histoire. A entendre nos deux débateurs, on peut dire que le vainqueur est plus à l’aise pour interpréter l’Histoire, celui-ci n’étant autre que Guaino, situé dans le camp de la victoire électorale en 2007. Quant à Cohn-Bendit, il s’est bien défendu, mais on sent bien que l’héritage de Mai-68 a du mal à se faire reconnaître, comme s’il avait été laissé en friche, alors que la société se démocratisait en devenant individualiste et épousant les valeurs du plaisir et du fric.
Quelques mots maintenant sur ces échanges. Guaino entame les hostilités en explicitant ce qui justifie à ses yeux la condamnation de Mai-68. L’individualisme, l’interdit d’interdire, la récusation des pouvoirs, des valeurs, de la hiérarchie dans les institutions, mais aussi les savoirs et puis, comme la division permet de mettre en difficulté son adversaire, Guaino sépare le mai des étudiants et celui des travailleurs, ce qui est exact dans un sens politique, mais erroné dans le sens de la vie sociale où les barrières entre classes, sans être tombées, ont été percées suffisamment pour qu’une mixité entre gens de conditions inégales se produise. C’était ça aussi la magie des années post-68, magie qui n’a pas été évoquée par un Cohn-Bendit trop focalisé sur la contre-attaque. Ce qu’il fit en ironisant sur un Sarkozy qui, selon lui, affiche sans jouissance sans entrave, se mettant en scène comme séducteur d’un jour à Disneyland.
Ce petit jeu a duré une bonne partie de l’émission. Chacun s’emparant d’un thème pour l’utiliser comme appui pour soi et cible contre l’adversaire. Ce fut le cas de Sarkozy. Il a bien profité des acquis de mai dit l’un et l’autre de répliquer, oui, il a sa vie, mais du moment qu’il travaille et pas qu’un peu, pourquoi lui reprocher ses frasques qui ne relèvent que des options privées. Même chose pour l’émancipation des femmes et la légalisation de l’avortement. L’un de mettre en avant les puissances revendicatrices du mouvement et l’autre de dire que cette avancée sociale est le fait de Simone Veil, avec l’appui du duumvirat Chirac-Giscard. Bref, ces échanges ont paru mesquins, mais pouvait-on y échapper. Chacun campant sur ces positions. Guaino affirmant que c’est une erreur de récuser l’autorité du gaullisme et Cohn-Bendit revendiquant la défiance vis-à-vis du pape et le droit de ne pas croire dans l’autorité.
Finkielkraut s’est alors improvisé en juge de paix, reconnaissant avoir été Mao, influencé par le marxisme, soutier de Mai-68, acteur dans le report du concours de ENS. Rendant justice en un mai qui a permis l’expression contre la répression, voyant dans ce mouvement un moment tocquevillien, dirigé contre notamment les parcours d’existence déjà fixés selon les classes d’origine. Bref, des aspirations démocrates qui ne vont pas sans les effets secondaires sur une culture qui se nivelle et sur la perte du sens de l’autorité avec la confusion entre pouvoir et autorité, en quelque sorte le péché originel de mai selon Finkielkraut. Et là la zone d’opposition s’est déplacée sur le terrain de la culture, de l’éducation, du pédagogisme, de la place de l’enfant, de l’autorité des enseignants, bref, toujours les mêmes ficelles déjà utilisées. Contre l’enfant roi rétablissons l’humilité face aux textes dit l’un. L’individu doit devenir autonome et s’opposer à l’adulte dit l’autre. On ne s’en sort pas de ce dialogue de sourds.
Et cette fois, Finkielkraut jouant les demis de démêlée en utilisant la carte Ionesco qui à travers sa pièce Rhinocéros illustrerait parfaitement les failles du mouvement de mai. Plus précisément, l’alliance entre un conformisme et le déchaînement pulsionnel. Une illustration qui n’a rien apporté de positif dans le débat, Guaino profitant de cette entame pour louer justement le non-conformisme de de Gaulle dans sa politique étrangère.
Il était attendu qu’on en viendrait à la question des parachutes dorés, sujet de dispute après l’imputation aux héritiers de mai de ces pratiques prédatrices par Sarkozy. Et Guaino d’enfoncer le clou avec une trahison des ouvriers sur fond de Jaurès avec le relativisme moral engendré par les enfants de mai. Ensuite, un échange de sourds sur la BCE, Cohn-Bendit franchissant le point Godwin (eh oui, il n’y a pas que sur internet que ça se passe) en faisant allusion à la politique de la banque allemande et la montée du nazisme et Guaino de répliquer avec une astucieuse mauvaise foi que la banque américaine qui elle, était indépendante, n’a pas empêché la crise de 1929.
Enfin, l’autocritique arrive. Cohn-Bendit reconnaissant la bêtise des slogans comme élection piège à con, CRS SS, faisant son mea culpa sur l’autogestion impropre à relayer la démocratie, mais insistant sur un mai comme étant à la base d’un progrès social. Bref, c’est peut-être une des clés de l’interprétation. Le mouvement de mai représenta le moment de grandes émancipations sociales et individuelles, mais une société a aussi ses nécessités de fonctionnement, de gouvernance, si bien qu’il ne peut y avoir transcription directe du social dans le politique. Ces deux domaines, s’ils sont en conflit, doivent le rester et c’est à ce prix qu’un système démocratique fonctionne. Il ne faut pas confondre le social et le politique, la société et l’Etat, sinon c’est le totalitarisme qui nous pend au nez.
Le rideau s’est fermé sur un plaidoyer pour la culture. Finkielkraut effectuant une saillie percutante en opposant au Mai-68 déconstructeur de la culture le printemps de Prague, fondé sur le texte et l’autorité des livres, avec la figure de Kundera. Puis sonnant la charge contre la grimaldisation de l’Elysée, la bigardisation de la vie politique, le chemin vers Disneyland, l’avènement de la jet-set et l’ajoute pour ma part la montée de la bling génération et la culture des parvenus. Et sur ce point, Finkielkraut conclut en regrettant la disparition de la grande bourgeoisie, celle dont la taille de la bibliothèque était à la hauteur de la position sociale alors que, maintenant, c’est la dimension du yacht qui sert d’étalon.
Cette émission a donné quelques éclairages sur comment Sarkozy a pu si aisément gagner les présidentielles, jouant une campagne blitzkrieg en infligeant une étrange défaite (clin d’œil à Bloch) à une gauche dépourvue de généraux et de stratèges autant politiques qu’intellectuels.
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