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Accueil du site > Tribune Libre > Pour une réforme de l’enseignement des langues en faveur d’une (...)

Pour une réforme de l’enseignement des langues en faveur d’une vraie diversité linguistique

L’ONU et l’Union européenne ayant déclaré 2008 année des langues et du dialogue interculturel, il nous a paru intéressant de faire le point sur l’enseignement des langues en France, et de proposer une réforme d’importance.

1. Présentation

2. Le constat de la situation actuelle

3. Notre proposition de réforme

4. Conclusion

1. PROCLAMATIONS de l’ONU et de l’UE pour 2008

— Dans l’Union européenne

L’Année européenne du dialogue interculturel (2008) a été entérinée par la Décision N° 1983/2006/CE du Parlement européen et du Conseil (18 décembre 2006).

— A l’ONU

"Assemblée générale 96e séance plénière - après-midi PROCLAMANT 2008 ANNÉE INTERNATIONALE DES LANGUES, L’ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DEMANDE D’ENCOURAGER LEUR CONSERVATION ET LEUR DÉFENSE"

"Par ce texte adopté par consensus, l’Assemblée générale demande aux États membres et au secrétariat d’encourager la conservation et la défense de toutes les langues parlées par les peuples du monde entier et proclame 2008 Année internationale des langues."

Cette résolution souligne "l’importance primordiale de la parité des six langues officielles" de l’ONU (l’anglais, le français, l’arabe, le chinois, l’espagnol et le russe).

2. LE BILAN en France

Sans un état des lieux, une réforme ne serait qu’une énième loi sur l’enseignement, comme les aiment les ministres successifs pour laisser leur nom dans l’Histoire, du moins l’espèrent-ils...

Depuis quelques années, les journaux sont pleins de considérations sur l’échec de l’enseignement des langues en France. Nous serions les mauvais élèves de l’Europe dans l’enseignement des langues.

Disons-le tout net, ces articles sont malhonnêtes dans leur présentation des faits.

Les données d’Eurobaromètre ne sont en rien des études scientifiques, car il n’a été procédé à aucune évaluation précise du niveau en langue étrangère, seulement à de simples sondages basés sur des questions et réponses, du type, en caricaturant à peine : "Parlez-vous une langue étrangère ? Oui. Bravo ! A un bon niveau  ? Encore bravo !" Ces résultats sont très contestables.

D’ailleurs, nul besoin d’études : qui ne sait qu’en moyenne, ce sont les anglophones qui étudient le moins les langues étrangères ? Et surtout, les évaluations scolaires sont faussées car elles se réfèrent uniquement à l’anglais, ce qui empêche d’inclure la GB dans le comparatif... et faussées aussi parce qu’elles comparent les résultats de la France à ceux de pays comme la Suède, le Danemark ou l’Espagne dans lesquels l’anglais est obligatoire, des pays qui, dans certains domaines, ont quasiment remplacé leur langue par l’anglais (enseignement universitaire, étiquetage, dessins animés et films anglophones en VO), alors que la France a longtemps défendu la diversité linguistique ! Pourquoi ne pas faire de comparaison sur les niveaux en l’allemand, italien ou l’espagnol, par exemple, après X années d’étude, méthode plus pertinente pour évaluer la qualité de l’enseignement ? C’est le degré zéro de l’information, de la science et du débat pédagogique.

Au vu de ces éléments, il faut cesser le masochisme à la française : nos méthodes d’enseignement des langues ne sont ni pires ni meilleures, nos profs non plus, et aux dires des anatomistes, les cerveaux français sont identiques aux autres.

Par contre, on peut effectivement faire un vrai constat d’échec - celui de la diversité linguistique, qui est en chute libre dans l’enseignement des langues en France. Curieusement, cet échec-là n’est, lui, pratiquement jamais rapporté par les médias...

En quelques années, le tout-anglais a été imposé pratiquement partout à cause de la calamiteuse réforme de l’école primaire, hypocritement appelée initiation « aux » langues. Hormis quelques exceptions ici ou là, comme en Alsace où l’allemand est souvent disponible, c’est partout l’anglais qu’on impose aux enfants, sans qu’aucun choix n’ait été proposé aux parents. Il en est de même en 6e car, loin des grandes villes, dans les petits établissements, il n’est souvent proposé qu’anglais ou une classe bilangue anglais/allemand, en vertu d’un accord entre les deux pays pour se soutenir mutuellement.

On lit souvent au sujet de l’anglais : "En France, 96 % des enfants le choisissent pendant leur scolarité" - sous-entendu, c’est à cause des parents ! Certains parents sont certes convaincus par la pression médiatique que l’anglais est indispensable à la vie (alors qu’on peut avoir un prix Nobel sans anglais), mais combien auraient choisi une autre LV1 s’il y avait eu un vrai choix ? Eh bien personne ne le sait, faute de vrai choix car, par exemple, les académies refusent souvent l’ouverture d’italien ou d’espagnol en 6e.

Quelle mauvaise foi que de limiter l’offre puis de déduire du monopole qui en résulte que c’est le choix de parents ! Et ce sont les personnes faisant preuve d’une telle malhonnêteté intellectuelle qui décident des programmes scolaires... dont l’éducation civique !

Parallèlement, on a vu fleurir toutes sortes de solutions pour pallier cette dérive monolingue : les sections européennes, orientales, internationales, les programmes Emile (enseignement d’une matière par intégration d’une langue étrangère), augmentation du nombre et de la durée des séjours linguistiques dans le cadre des programmes européens Comenius, Emillangues, Leonardo, Primlangues, « e-Twinning » (le ministère n’utilisant pas la traduction française e-Jumelage, à l’inverse de la Belgique !), etc., selon le vieux principe du « toujours plus », sans jamais s’interroger sur les questions structurelles.

On a jamais autant parlé de diversité linguistique que depuis qu’elle est en chute libre ! Vingt ans auparavant, sans tous ces programmes, sans technologie informatique pour causer avec des « native english », sans commissaire européen chargé du multilinguisme, sans année 2008 du dialogue interculturel, la diversité des langues à l’école était bien plus grande. Cela ne prouve qu’une chose : tous ces programmes ne sont que des rustines, des palliatifs, de la poudre aux yeux destinée à masquer une seule chose : l’anglais est en passe d’être enseigné de force, de la maternelle à l’université. Il l’est déjà en Italie, en Espagne et au Portugal, et l’est maintenant en France, de fait sinon de droit.

Parmi nos dirigeants, nombreux sont ceux qui souhaitent introduire un "anglais d’aéroport« , anglais allégé, que l’on n’ose appeler de son vrai nom »broken english« ou »kitchen english", aéroport c’est plus chicos, etc.

Il a failli être inclus dans le « socle commun de connaissances ». Et le rapport définitif est explicite : "Ne pas être capable de s’exprimer et d’échanger en anglais de communication internationale constitue désormais un handicap majeur, en particulier dans le cadre de la construction européenne."

"Rapport de la Commission du débat national sur l’avenir de l’École, présidée par Claude Thélot"

— Malgré l’augmentation des langues possibles en option au bac (une cinquantaine), la diversité des langues enseignées est en forte baisse. Vous pouvez vérifier les chiffres de l’Éducation nationale, si vous arrivez à vous les procurer !

— La politique des langues à l’école est forcément dirigiste, arbitraire, car elle dépend de facteurs logistiques, comme le nombre de profs dans telle ou telle langue (qui sont engagés à vie pour une langue donnée), ou la langue que valident les PDE (ex-instituteurs) dans les IUFM (Instituts universitaires de formation des maîtres) qui est majoritairement l’anglais, en un cercle vicieux car les écoles primaires ne disposent pratiquement que de l’anglais, après quoi on conseillera en 6e de poursuivre la langue débutée au primaire !

— La situation à l’école est le reflet de la lutte d’influence des langues entre elles, car si les langues sont le produit de l’esprit humain, leur diffusion dépend grandement de l’histoire et de facteurs géopolitiques. C’est la loi de la jungle, mais ce n’est pas une sélection darwinienne où la meilleure langue l’emporterait, celle qui aurait les plus grandes qualités - c’est simplement celle de la ou les nations victorieuses ! En somme, essentiellement selon les hasards de l’histoire coloniale et des conflits militaires. Même en temps de paix, les grands pays y consacrent d’énormes sommes : British Council, Goethe institut, Alliance française, Instituts Confucius, et tout récemment Russki mir, sont des lieux stratégiques dans cette lutte, pacifique et feutrée mais féroce.

— Certaines idées font petit à petit leur chemin : on pense et on apprend mieux dans sa langue maternelle. Recevoir un enseignement dans sa langue dominante deviendrait donc un droit, thèse qui, si elle devait être appliquée, serait un retour à un plurilinguisme authentique mais source d’énormes difficultés logistiques dans l’enseignement.

— La question des langues à l’école est donc éminemment politique. Sauf à se voiler la face, il ne faut pas voir dans la situation actuelle une dérive survenue par hasard, une sorte d’effet secondaire que quelques mesurettes suffiraient à corriger, mais bel et bien la victoire d’un camp sur l’autre : celui de tous ceux qui pensent l’anglais indispensable et veulent l’imposer à tous les enfants, de gré ou de force, et plutôt de force. Il est à peine exagéré de dire que le drapeau de l’Union jack flotte sur nos écoles primaires et secondaires !

— Sursaut de bon sens ou crainte du ridicule, toujours est-il que l’introduction d’une langue à la maternelle a été abrogée.

— Si l’allemand, notamment en Alsace, rompt parfois cet arbitraire, ce n’est pas dans une perspective de libre choix, mais uniquement en raison d’un accord bilatéral entre pays. (Conseil des ministres franco-allemand de Berlin du 26 octobre 2004)

"Il est rappelé en outre que chaque académie offrira la possibilité de préparer l’AbiBac (délivrance simultanée du baccalauréat et de l’Abitur allemand) à l’horizon 2007."

— Dans le panorama scolaire les langues se distinguent donc nettement des maths ou de la géographie : il n’y a qu’une seule science des mathématiques et une seule géographie (l’Histoire est souvent plurielle... mais ne compliquons pas), alors qu’il existe environ 6 000 langues. On ne peut discuter sérieusement d’une réforme sans admettre que les langues forment dans l’enseignement une matière totalement à part.

— Un autre aspect est rarement abordé : au nom de quoi impose-t-on telle ou telle langue seconde à un enfant ? Il n’est pas exagéré de dire qu’imposer l’anglais - ou tout autre langue seconde - est une violence faite à l’enfant et à ses parents. Le choix d’une langue seconde, étrangère ou régionale, devrait être totalement libre, car personne ne sait de quelle langue étrangère il aura besoin à l’âge adulte.

— Incidemment, il serait bon de s’interroger sur l’obligation d’étudier une autre langue. Quelle est sa légitimité ? Si certains pays ont plusieurs langues nationales, et ont tendance à ériger une nécessité en dogme d’ouverture culturelle, ce qui est compréhensible dans leur situation délicate, la langue de la République est le français, avec lequel nous pouvons tout faire. La raison souvent avancée pour l’obligation d’apprendre une langue étrangère est l’ouverture d’esprit, l’ouverture à une autre culture. Or, à notre avis, c’est du dogmatisme car, reconnaissons-le, hormis quelques cas particuliers, la plupart d’entre nous n’avons qu’un faible niveau, et dans seulement une seule langue étrangère, avec parfois une connaissance encore plus imparfaite d’une troisième langue ; est-ce avec ça qu’on va lire du Shakespeare ou du Buzzati dans le texte ?

Ce sont la traduction et les voyages qui sont les meilleurs instruments de découverte des autres cultures, et heureusement, sinon nous ne saurions vraiment que très, très peu de choses des autres. Les formules du type "découvrir l’autre dans son altérité" font de belles phrases et font joli dans les journaux, mais elles empêchent tout débat et désarçonnent toute critique par la hauteur et la noblesse intellectuelle de l’argument. Mais comment oser contredire un dogme qui imprègne presque tout, de l’Unesco à l’UE et retombe en cascade sur tous les relais du monde de la pédagogie ?

— Le besoin d’anglais indispensable à la vie et à toute carrière est fortement exagéré : si quelques métiers ont effectivement besoin de l’anglais, ce sont seulement certaines personnes dans certains métiers. Même un chercheur peut se contenter de suivre sa discipline en lisant le résumé en anglais et, pour cela, il n’a nul besoin de commencer à la maternelle. On pense d’abord dans sa langue dominante, il peut donc faire des découvertes sans connaître un seul mot d’anglais. Plus de 90 % des articles scientifiques ne sont même pas lus ! Seuls les articles les plus novateurs et pertinents sont vraiment lus, ou leurs résumés... Et pour comprendre des résumés techniques, il n’est pas nécessaire d’être « fluent ».

"Des scientifiques pour la langue française"

"Pourquoi veulent-ils tuer le français ?«  (un extrait du livre »Pourquoi veulent-ils tuer le français ?" de Bernard Lecherbonnier, professeur à l’université de Paris-XII.)

Lorsque nos cosmonautes sont allés à Baïkonour pour un vol avec la navette russe, on ne leur a pas dit « Vous parlez super-bien anglais, bravo les gars ! », on les a obligés à une formation accélérée en russe et ils ont dû potasser l’énorme notice technique de la navette, en russe dans le texte.

La GB, l’UE et les journaux économiques eux-mêmes reconnaissent que les entreprises ont des besoins variés dans différentes langues :

"Si l’étude confirme l’importance de l’anglais en tant que langue commerciale mondiale, d’autres langues sont largement utilisées en tant que langues véhiculaires. Elle indique notamment que toute une série d’autres langues sont nécessaires pour assurer le succès des relations commerciales. Sont notamment citées au rang des langues les plus importantes les principales langues européennes, comme l’allemand, le français et l’espagnol, mais également, de plus en plus, d’autres langues du monde telles que le mandarin, l’arabe et le russe."

"Le multilinguisme stimule la compétitivité européenne"

D’autre part, même si la futurologie est imparfaite, diverses langues prennent de plus en plus d’importance sur le plan mondial : espagnol, russe, arabe (standard ou littéraire) et mandarin. Ci-dessous, une bonne analyse de ce phénomène, avec une remarque pertinente sur le fait que les « élites » tendent à reproduire pour les générations suivantes le contexte qu’ils ont connu, celui de l’anglais en phase de croissance, refusant plus ou moins consciemment de prendre en compte tout changement de cadre. Or, il est possible que l’anglais ait atteint son apogée, et qu’il soit à l’aube de son déclin (proportionnellement), d’où les pressions monstrueuses pour l’imposer à l’école et asseoir son statut dans l’UE.

"Quelles langues parleront les Européens en 2025 ?"

Quoi qu’il en soit, à l’heure où les entreprises reconnaissent la diversité de leurs besoins, et où d’autres langues reprennent du poil de la bête, il est absurde et contre-productif d’orienter nos écoles vers un bilinguisme français-anglais généralisé ; ou serait-ce là encore le vieux syndrome français d’une guerre de retard ?

— L’école primaire est le lieu de l’initiation large, comme on le fait en sport et en musique, pas celui de la spécialisation dans une langue étrangère.

— Un rapport récent estime à 25 % les enfants ayant des difficultés inattendues en fin de primaire. Or, obliger ces enfants en difficulté à faire une langue à la phonétique reconnue comme très difficile (aucune règle phonétique, le chaos total) et dont les natifs ont un fort taux de dyslexie n’est pas forcément une grande idée sur le plan pédagogique... La dyslexie est certes une affection multifactorielle, mais il est prouvé que les langues à la phonétique complexe en ont un pourcentage plus élevé (par exemple en GB plus qu’en Italie).

"Troubles spécifiques du langage oral et écrit"

"l’anglais est en effet, contrairement aux idées reçues, une langue difficile pour les francophones, en particulier à l’oral.(...)" (BO n° 6, 25 août 2005, programme des collèges LV anglais.)

— L’école, avec 1 500 à 3 000 heures de cours en LV1 ne peut être que le lieu d’une initiation en langue, sans que quiconque soit en tort, et les objectifs de l’EN pèchent souvent par optimisme, comme les objectifs économiques surréalistes de l’économie planifiée de l’ex-URSS : "Les niveaux C se situent au-delà du champ scolaire, sauf C1 pour les langues de spécialité au baccalauréat. À ce stade, un élève peut comprendre une grande gamme de textes longs et exigeants ainsi que saisir des significations implicites."

Même dans la filière langue, un tel niveau n’est envisageable que si l’élève a fait de nombreux séjours linguistiques ! Or, un objectif scolaire devrait s’en tenir à ce qui est possible dans le temps scolaire, sans tenir compte des nounous « native english », des sections européennes ou de vacances à Londres ou aux States !

(Nota : niveaux du CECRL, Cadre commun de référence en langues étrangères, voir plus loin.)

Même le niveau B2 est réservé à d’excellents élèves, et encore, si l’on parle des possibilités sans aucune pratique extrascolaire. Cette surestimation des objectifs qui va de pair avec une sous-estimation de la difficulté d’une langue étrangère est une constante des milieux pédagogiques. Il faudra un jour admettre que l’apprentissage d’une langue à un niveau efficace est un immense travail, et que l’école ne peut être que le lieu d’une initiation plus ou moins poussée. Il n’y a là rien de honteux.

Voilà pour le constat. S’il vous a paru trop sévère, il faut savoir que le ministère dispose exactement des mêmes éléments, confirmés dans divers rapports, mais en des termes plus mesurés, prudence des rapporteurs oblige :

"L’avenir de l’enseignement des langues"

L’auteur voit une issue dans les technologies informatiques qui pourraient permettre à tous les profs privés de la possibilité d’enseigner la langue pour laquelle ils ont été recrutés à vie, de pratiquer enfin leur langue, mais nous sommes navrés de décevoir ce haut fonctionnaire : les récentes déclarations du ministère ne voient dans les TICE qu’un moyen de faire dialoguer les primaires avec de vrais anglophones natifs !

"Pour ce faire, le ministère de l’Éducation nationale lance un plan national d’équipement des écoles. Dès la rentrée 2008, 1 000 écoles seront équipées en visioconférence pour permettre aux élèves l’apprentissage de l’anglais."

"Xavier Darcos interviendra au Salon Educatice mercredi 21 novembre 2007"

3. QUELLE RÉFORME ?

Il faut finalement admettre que la diversité de l’offre linguistique est à la base une mission impossible : pour des raisons structurelles, aucune école ne peut offrir un vaste choix de langues dans tous les enseignement et pendant une dizaine d’années ! Il existe environ 6 000 langues dans le monde, dont une dizaine de grande diffusion et, même en s’en tenant à ces dix langues, le nombre d’enseignants nécessaire serait tout simplement fabuleux.

Un bon exemple de cette complexité logistique nous est fournie par la délicate question des langues régionales. Sans débattre de la légitimité de leurs revendications, sujet toujours conflictuel et peut-être insoluble, celles-ci peuvent en gros se résumer par « toujours plus » selon le titre du célèbre livre de François de Closets (davantage de classes, de postes d’enseignants, création de postes d’inspecteurs, d’agrégés, de stages, etc.)

"Quelle place pour les langues et cultures régionales à l’école publique ?"

Alors, comment rendre possible ce qui est impossible ?

Les deux principes sur lesquels doit se baser une réforme des langues, àmha, sont la souplesse et la diversité :

— au primaire : initiation linguistique large, non spécialisée dans une langue ;

— au secondaire : suppression de la distinction LV1, LV2, LV3, et choix des langues très diversifiées grâce à la complémentarité privé-public, qu’il s’agisse d’intervenants extérieurs, de parents d’élèves, d’associations ou d’instituts, tout apprentissage de langue devant être validé par l’Éducation nationale, et par elle seule.

Détaillons un peu ces propositions.

— Pour le primaire : choix entre langue régionale et/ou initiation linguistique au sens large, non spécialisée dans une langue, avec apprentissage de différents alphabets européens et comparaison de phrases simples dans différentes langues européennes, afin de se faire l’oreille à la musique des langues, ce qui est le seul intérêt réellement prouvé de l’apprentissage précoce.

(Pour plus de détails, je renvoie à mon article d’Agoravox sur l’apprentissage précoce : "L’apprentissage précoce des langues vivantes")

Et justement, un des trente projets récemment lancés par l’UE pour promouvoir l’apprentissage des langues serait tout à fait adapté pour l’école primaire, où il remplacerait avantageusement cette calamiteuse réforme qui n’a abouti qu’à imposer l’anglais à pratiquement tous les enfants :

"Le projet FEEL (Funny, Easy and Effective Learning about Countries, Cultures and Languages) s’est efforcé de promouvoir une connaissance de base (vocabulaire élémentaire, grammaire et phonétique) des langues des dix pays qui ont adhéré à l’Union européenne en 2004 et de présenter aux citoyens européens les cultures existant derrière ces langues afin de dénoncer d’éventuels stéréotypes ou idées fausses."

Pourquoi ne pas adopter au primaire cette excellente idée ?

— Au secondaire : suppression de la distinction LV1, LV2, LV3.

Ce n’est même pas une idée originale, puisque c’était déjà une proposition de l’excellent mais déjà ancien rapport Legendre (qui avait par ailleurs mis en garde contre le tout-anglais au primaire, en vain...)

En fait, même si tous les professeurs ne s’en rendent pas compte, on dirait bien que c’est déjà quasiment acquis :

"La distinction LV1/LV2 s’estompe à tous les niveaux, même si les nouveaux modes d’organisation concernent surtout la classe de seconde"

"Bref historique de la mise en place des nouveaux modes d’organisation des langues vivantes en lycée"

En outre, c’est recommandé par le ministère, sous forme de groupes de compétence indépendants des filières et des classes.

(Rénovation de l’enseignement des langues vivantes étrangères, B.O. n° 23 du 8 juin 2006)

Ces groupes de compétence ne sont ni plus ni moins que la suppression des filières LV1, 2, 3.

Une liste des établissements utilisant ces nouvelles organisations (en 2005) est disponible : "Nouveaux modes d’organisation« de l’enseignement des langues vivantes au lycée »

Une cinquantaine d’établissements en 2005, c’est plus qu’un projet pilote, c’est une évolution amenée à se généraliser.

C’est aussi le cas des classes bilangues (où la différence d’une heure en moins pour la seconde langue est négligeable), souvent anglais-allemand, mais parfois italien comme dans cet exemple :

"En pleine expansion il y a plus d’une dizaine d’années grâce à la mise en place de la LV1 bis, spécificité de l’académie de Nice, qui permet aux collégiens d’apprendre, dès la 6e, deux langues, l’anglais et l’italien, le nombre d’italianisants reste aujourd’hui stable."

"Après des années d’expansion dans les Alpes-Maritimes, l’italien marque le pas"

— Dans un système de modules de langues, les objectifs et de la notation sont appelés à se baser sur le relativement récent CECRL (Cadre européen commun de référence en langues, de son petit nom cadre de référence, une échelle européenne en 6 niveaux qui est de plus en plus utilisée : A1, A2, B1, B2, C1, C2, avec subdivisions possibles). Ainsi, l’obligation d’étudier une ou deux langues vivantes pourrait être formulée de façon plus souple et plus réaliste, par exemple : niveau A2 (ou proche de B1) dans une langue, et niveau A1 dans une ou deux autres. L’objectif officiel de B2 à la fin des études secondaires est manifestement irréaliste, du moins si la notation respecte bien les tableaux du CECR tels qu’ils ont été clairement détaillés, pour des élèves sans soutien extra-scolaire et séjours à Londres ou à Berlin chaque été.

— Sur la diversité : le choix devrait être au minimum celui de toutes les langues qui sont actuellement possibles en option au baccalauréat, et de préférence davantage. Avec une totale liberté de choix : la seule obligation serait de valider les niveaux requis par les programmes dans les langues de son choix.

— Mais comment offrir un enseignement dans autant de langues ? Ce n’est possible que par la souplesse et la complémentarité avec les intervenants extérieurs. Souplesse des établissements et des personnels, avec une mobilité des profs de langues qui rayonneraient sur les quelques établissements proches, par demi-journées ou journées. Chaque établissement proposerait donc des langues selon ses disponibilités en professeurs de telle ou telle langue, ce qui redonnerait au passage plus d’autonomie aux chefs d’établissement en matière de langues. Une mobilité raisonnable sur un secteur faciliterait le fonctionnement des établissements tout en leur permettant d’augmenter l’offre des établissements. Malgré cette mobilité des profs et des modules et groupes de niveau, 2 ou 3 langues seulement pourraient ainsi être proposées, avec des trous selon les secteurs et les établissements.

Pour dépasser ce blocage structurel, il faut innover. Il faut introduire la possibilité de valider une langue apprise par ailleurs, soit en famille, soit par des cours à l’extérieur auprès d’intervenants ou auprès d’organismes n’appartenant pas à l’Éducation nationale, mais qui auraient été reconnus par elle. Cela serait un gros changement pour tout le monde, il convient donc d’en discuter les avantages et les inconvénients.

— Avantages : immenses possibilités quant à la diversité. Réelle reconnaissance des langues apprises en famille, loin des habituelles phrases oiseuses sur la valeur culturelle des diverses communautés ; on serait là dans la reconnaissance concrète, pas dans le bla-bla-bla. Toutes ces structures complexes et impossibles à généraliser - sections européennes, filières bilangues, programmes Emile - resteraient utiles pour les élèves qui visent un haut niveau en langues, mais leur extension incessante ne se justifierait plus.

— Inconvénients : des questions de statut, broutilles.

Le coût : soit bénévolat des cours externes associatifs, soit paiement des intervenants. On pourrait même mettre à contribution les pays partenaires qui, plutôt que de soutenir leurs langues par des Instituts et des subventions de manifestations culturelles, pourraient tout simplement soutenir officiellement et financer certains enseignants extérieurs aux établissements.

La crainte des intervenants extérieurs : ils sont déjà utilisés depuis des années, notamment pendant les premières années de la réforme (au primaire) dite de l’initiation "aux" langues : "Les écoles élémentaires ont-elles encore besoin d’intervenants en langues vivantes  ?"

Et ils ont un statut :

"Dans le premier degré, deux types de missions sont proposés aux assistants  :

- des missions d’appui (en contrats de 7 mois). Ces assistants, sélectionnés sur la base du volontariat, viennent en appui aux enseignants. Ils sont sollicités pour des projets particuliers auxquels la langue vivante étrangère est associée."

La crainte de l’externalisation, qui paraîtra choquante à certains car elle peut être perçue comme une privatisation partielle de l’enseignement des langues.

Or, ce ne serait pas quelque chose de totalement nouveau : outre tout le système des écoles privées, il existe également les écoles de devoirs, nées selon les besoins et l’activité d’associations locales, reconnues en France et très développées en Belgique.

— De même, la coopération entre Etats prévoit et utilise déjà certains organismes associatifs ou privés, comme des instituts de langues :

"En application des dispositions du traité de l’Élysée (22 janvier 1963), l’accord intergouvernemental créait un organisme dénommé l’Office franco-allemand pour la jeunesse (OFAJ), le 5 juillet 1963. L’OFAJ est chargé, depuis cette date, de développer des relations d’amitié entre la jeunesse française et la jeunesse allemande. L’OFAJ soutient les échanges de jeunes réalisés par : des associations de jeunesse et d’éducation populaire, des clubs sportifs, des centres linguistiques, des centres de formation, des organisations professionnelles et syndicales, des établissements scolaires et universitaires, des collectivités locales, des comités de jumelage. Il les aide sur les plans financier, pédagogique et linguistique."

"L’Office franco-allemand pour la jeunesse et le Centre international d’études pédagogiques"

De même pour l’anglais :

"Le ministère français de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche met en œuvre les programmes d’échanges et de coopération éducative en y associant le Centre international d’études pédagogiques. Le ministère anglais de l’Éducation (DFES) met en œuvre l’accord de coopération en partenariat avec le British Council et, en fonction des programmes concernés, avec : la Teacher Development Agency, le Centre for International language Teaching and Research, le Specialist Schools Trust, le National College for School Leadership, le Youth Sport Trust, le Vocational Links Service."

Alors oui, ce serait une complémentarité privé-public, mais en aucune façon une privatisation partielle de l’enseignement des langues, car ne serait enseigné en externe que ce que l’école n’est pas en mesure de fournir à tel ou tel endroit, afin de proposer à tous les enfants, et pas seulement ceux des métropoles ou des lycées de pointe (qui n’existent pas...), un très large choix de langues. Une dizaine étant à notre avis un minimum.

La certification qui serait nécessaire dans un tel système est déjà en place depuis peu !

"L’article 3 du décret n° 2005-1011 du 22 août 2005 prévoit la mise en place de certifications des connaissances et compétences acquises en langues étrangères"

"Une possibilité de certification en langue calée sur le CECRL (niveau B1) sera progressivement offerte aux élèves sur la base du volontariat. Cette certification sera gratuite.

Une première expérimentation pour l’allemand est mise en place en 2006 dans un échantillon de 500 établissements sélectionnés par les recteurs en coordination avec les corps d’inspection dans 26 académies participantes. Cette première expérience concerne 8 400 élèves."

"Le plan de rénovation de l’enseignement des langues"

— Le fait pour l’Education nationale de valider des connaissances acquises ailleurs n’est lui non plus pas une nouveauté.

On peut déjà présenter des langues non étudiées à l’école :

"Candidats ayant fait le choix d’une langue non enseignée. Ces candidats passent uniquement la partie écrite de l’épreuve correspondante."

"Le choix d’une langue en tant que langue vivante 1, 2 ou 3, en dehors des dispositions réglementaires spécifiques aux langues régionales, est laissé à l’appréciation du candidat lors de l’inscription à l’examen ; il peut ne pas correspondre à l’enseignement suivi par l’élève au cours de sa scolarité."

"Enseignements élémentaire et secondaire"

Dans certains cas d’impossibilité de suivre un cursus normal, l’EN valide des enseignements faits par d’autres, parfois par les parents, à l’aide de devoirs par correspondance, c’est le CNED (Enseignement à distance).

De plus, cette certification se fera elle aussi sur la base d’une coopération avec d’autres organismes.

"La certification, établie sur la base des programmes d’enseignement en vigueur, sera préparée en étroite relation avec un organisme spécialisé dans la certification et provenant d’un pays où la langue étudiée est langue officielle. Le choix d’un tel partenariat a pour objet de favoriser la pleine reconnaissance internationale de cette certification."

Pourquoi aller chercher loin dans les pays étrangers les compétences que l’on pourrait trouver et organiser localement ?

— Mais la principale critique des profs de langue porterait probablement sur l’aspect culturel, l’éternel refrain qu’il ne faut pas réduire une langue à un moyen de communication, que l’anglais en se résume pas à l’anglais d’aéroport, au kitchen ou broken english, que l’enseignement d’une langue est aussi une ouverture vers une culture.

C’est juste. Mais rien n’empêche d’inclure, pour la validation des modules, un programme portant sur la civilisation et la culture de la langue en question, sous réserve de rester réaliste en proposant un programme proportionnel au niveau à valider, basé sur la réalité de ce que les lycéens apprennent réellement d’une culture au sein de l’école, pas en fixant des objectifs dignes d’une maîtrise en littérature et civilisation.

Gardons à l’esprit que l’école, avec 1 500 à 3 000 heures, ne réalise aujourd’hui qu’une initiation en langue ; de tels modules devraient donc, dans leurs exigences, se calquer sur la réalité d’aujourd’hui, ni plus ni moins.

Un exemple de cette remarque fréquente chez les professeurs de langue, qu’une langue ne se réduit pas à l’aspect utilitariste (vers le début de l’article).

— Ces deux craintes ou critiques, l’externalisation d’une partie de l’enseignement et la langue réduite à son niveau de communication sont davantage des symboles idéologiques que de vrais obstacles, car on peut très bien en tenir compte et mettre des garde-fous. Et surtout, surtout, comme l’EN ne veut, ne peut et ne pourra jamais proposer dix langues à chaque enfant pendant une dizaine d’années, cette réforme est le seul moyen simple, faisable et efficace pour qu’une vraie diversité des langues soit proposée aux enfants. Une voie de réforme qui satisferait tout le monde (sauf les partisans de l’anglais lingua franca).

En pratique, une telle réforme serait d’autant simple que les contours légaux et conceptuels en sont déjà en place dans les directives officielles, tant sur les intervenants extérieurs et leur reconnaissance que sur les niveaux en langues et les contenus culturels des programmes. La seule véritable innovation serait l’externalisation de certaines langues. Cette réforme est possible à nombre d’enseignants constant, à coût constant (ou faible, si rémunération des enseignements extérieurs), mais elle ne peut avoir la faveur que de ceux qui défendent réellement la diversité linguistique à l’école, et prônent l’égalité des peuples et des langues au sein de l’UE.

Ne nous leurrons pas : derrière les belles paroles et la proclamation de l’Année des langues 2008, le véritable enjeu est la question de l’anglais, car l’UE est maintenant anglophone de fait sinon de droit, exactement comme l’anglais à l’école.

Une réforme en faveur de la diversité linguistique dans nos écoles serait férocement combattue par tous les partisans de l’anglais lingua franca de l’UE et du monde, par tous ceux qui pensent que le dialogue interculturel doit se faire en anglais  !

Car aujourd’hui, le chemin que nous suivons est à l’opposé : dès 2008 et, pour presque tous les enfants, obligation de commencer l’anglais (sauf exceptions) en CE1, sans choix des parents.

Demain, faudra-t-il fournir à nos enfants des certificats de dispense d’anglais  ? Ou des certificats médicaux d’allergie à l’anglais ? Une attestation de début de dyslexie et contre-indication à une langue phonétiquement chaotique ? Bref, demain faudra-t-il en appeler à la résistance civique pour le simple droit d’étudier la ou les langues de son choix ?

Car, sans être juriste, il est évident que la base légale de l’anglais au primaire est fragile, "initiation aux langues", et c’est au seul silence des médias sur le sujet et à leur incessante pression en faveur de l’anglais (sauf rares exceptions), que l’on doit une acceptation si facile d’une mesure aussi arbitraire, non débattue à l’Assemblée.

Notre proposition de réforme de l’enseignement des langues en France peut finalement se résumer ainsi : laissez-nous libres d’apprendre les langues que l’on souhaite  ! Mais n’est-ce pas un peu trop simple, ou trop révolutionnaire ?


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28 réactions à cet article    


  • Céphale Céphale 24 janvier 2008 11:39

    100% d’accord.

     

    Article très long, mais quand on a tout lu, on n’est pas déçu. L’auteur sait de quoi il parle (pas comme les hommes politiques).


    • Krokodilo Krokodilo 24 janvier 2008 12:19

      Merci, j’ai mis le plan justement pour qu’on puisse sauter le constat et aller directement à la proposition de réforme, mais sortir la réforme sans le constat aurait été un peu incomplet.


      • HELIOS HELIOS 24 janvier 2008 14:23

        Le silence des médias...

        (Cela fait un peu "silence des agneaux"... )

        Les médias deviennent de pire en pire. Quand nous parlions, il y a quelques temps" de "politiquement correct" cela ne concernait pas vraiment les médias.

        de nos jours il faut être médiatiquement correct, c’est a dire parler de la Star Academy, des chiens écrasés et du preésident de la république, point barre.

        Tout autre sujet, surtout susceptible de débat est auto interdit... du réferendum a ... l’anglais comme vous dites en passant pas tout ce qui se dit et se fait a l’étranger... circulez, il n’y a rien a voir !

         


        • Asp Explorer Asp Explorer 24 janvier 2008 19:03

          Je crois qu’en ce qui concerne l’anglais, ça vient surtout du fait que la plupart des gens s’en foutent, et que ça n’est un problème que pour quelques agités massonniens amateurs de vieilles lunes et de profs de français à la retraite.


        • Henri Masson 30 janvier 2008 06:48

          Décidément toujours aussi "scientifique" celui-là ! La tête de mort illustre bien ses propos : le poisson mort ne remonte pas le courant. Dire "je crois que", c’est fou ce que ça fait scientifique ! Moi, je ne "crois" pas : je constate. En fait, les gens ne s’en foutent pas : ils subissent, ils sont conditionnés à croire qu’en dehors de l’anglais il n’est point de salut, à croire qu’il existe un "espéranto commode, l’anglais" sans se rendre compte de ce que leur coûte ce pseudo-espéranto, que ça demanderait moins de temps, d’effort et d’argent pour donner l’espéranto comme langue commune à toute l’humanité plutôt qu’à l’angliciser, malgré l’avance considérable prise par l’anglais. Parce que, derrière cela, il y a des profits colossaux, des atouts pour influencer la politique mondiale, et à ce jeu-là, il y a des vrais gagnants : des pays qui ne représentent même pas 5% de la population mondiale.


        • Kookaburra Kookaburra 24 janvier 2008 19:16

          Bien que j’ai été longtemps directement impliqué dans ce sujet (l’enseignement des langues), je n’ai pas une opinion arrêtée là-dessus. Je n’ai pas lu tout l’article mais je suis plutôt d’accord avec les opinions de l’auteur. J’aimerais seulement poser deux questions :

          Le français était longtemps la lingua franca européenne. Si c’était toujours le cas seriez-vous toujours contre le principe d’une telle langue européenne ?

          Vous voulez que les enfants choisissent librement la langue qu’ils souhaitent apprendre. Sont-ils en mesure de faire un choix raisonnable ? Enfant, la question m’aurait dépassée complètement. Je ne voyais aucun sens dans le projet d’apprendre une langue étrangère. J’étais obligé d’apprendre le français comme seul choix disponible, mais comme je trouvais la tâche stupide je refusais de m’appliquer et je ne l’ai jamais apprit. Je le regrette aujourd’hui (c’étais difficile de l’apprendre à l’age mûr) mais voilà, un enfant n’est guère capable de choisir raisonnable les matières qu’il convient  d’étudier.

          J’ajoute que la difficulté d’une langue étrangère dépend du point de départ – c’est-à-dire de la langue maternelle : les français apprennent plus facilement l’italien que l’allemand, non pas parce que l’allemand est plus difficile (il ne l’ai pas !) mais parce que l’italien est plus proche. Pour moi l’allemand était nettement plus facile que le français – à cause de mon point de départ.

           


          • Krokodilo Krokodilo 24 janvier 2008 19:50

            D’accord qu’on apprend plus facilement une langue proche, romane pour nous, germanique pour d’autres. mais c’est relatif, cela reste une entreprise ardue et de longue haleine, un travail très sous-estimé pour des raisons idéologiques et psychologiques.

            "Le français était longtemps la lingua franca européenne. Si c’était toujours le cas seriez-vous toujours contre le principe d’une telle langue européenne ?"

            Mais je suis tout à fait pour une lingua franca européenne ! Seulement, je pense qu’elle doit être facile, pour être acquise à un niveau moyen par le plus grand nombre d’Européens, assez européenne, efficace comme langue pivot. Or, le français comme l’anglais sont très difficiles (quoi qu’en dise la propagande anglophone), et les deux choix sont tout aussi injustes financièrement et économiquement envers les autres peuples. Trois langues de travail, itou, en plus c’est déjà ce qui a mené à l’anglais.

            Je ne fais pas mystère (dans d’autres articles ou discussions) que le plurilinguisme qui me paraît le plus efficace pour l’UE, ce serait l’espéranto (deux ans, en option) plus l’apprentissage d’une langue étrangère ou deux au choix, à valider à l’école à un niveau modeste (pour les raisons indiquées dans l’article), ainsi que l’apprentissage (au niveau où l’on peut) de la langue du pays dans lequel on travaille ou vit quelques années, et selon les besoins professionnels - ce qui inclut évidemment l’anglais !

            Il y a à peine 4 ans, avant d’apprendre l’espéranto et de "découvrir" la boycottage dont il fait l’objet en France, je pensais comme beaucoup, au sujet de l’anglais lingua franca "bof, pourquoi pas, il faut bien une langue".

            Mais depuis que je me documente sur le sujet, je me suis rendu compte (après beaucoup d’autres) que l’anglais est totalement inadapté à ce rôle de lingua franca, totalement injuste, et que seuls le lobbying et l’effet boule de neige, l’inertie du système complexe d’intérêts en jeu, de résistance naturelle aux changements, font que ça continue voire que ça s’aggrave (cf. le rapport Attali), et chose incroyable, que l’UE ne veut même pas ouvrir le débat sur les langues et la communication !

            Dans l’immédiat, au vu de la méconnaissance et des clichés qui entourent l’espéranto, il me semble plus adapté et plus consensuel de proposer le projet européen d’une initiation à dix langues européennes à l’école primaire, dans le respect de la diversité linguistique ; ainsi que vous le dites, les enfants ne pouvant choisir eux-mêmes, il est plus logique de leur faire une initiation aux langues assez polyvalente. De même que ce sont les parents qui choisissent l’anglais en 6e (au primaire, on ne choisit pas), et pas les enfants, saud exception. Ensuite, au collège, ils pourraient réellement choisir selon les modalités proposées dans l’article.


          • skirlet 24 janvier 2008 20:23

            Kookaburra, comme le français n’est pas ma langue maternelle, j’apporte moi aussi mon témoignage. Moi aussi, je trouve aberrant d’imposer le choix de langue au primaire, un enfant de cet âge ne saura pas trop quoi prendre, même si le choix y était... Dans mon pays d’origine, il y avait une bonne chose : on pouvait avoir accès aux films, chansons etc. de plusieurs pays. On ne nous laissait pas voyager, mais l’offre était variée. Sur une liste de films qui passent en ville, entre parenthèses le pays d’origine était toujours indiqué, sauf pour les films de chez nous, et on voyait : Allemagne, Pologne, Tchécoslovaquie, Inde, Argentine, Brésil, Roumanie, France, EUA, Hongrie, Italie, Espagne etc etc. A la télé, à la radio on pouvait entendre les chansons dans les langues étrangères et les langues des pays de l’URSS. Evidemment, on ne comprenait pas les paroles, mais avoir accès à la musique, aux sonorités des autres langues permettait de se rendre compte de la grande variété linguistique. Ainsi, quand j’ai dû choisir (vers l’âge de 11-12 ans environ) une langue étrangère parmi les trois disponibles (allemand, anglais, français) j’ai choisi le français, parce qu’il me plaisait.

            Je pense que si on offrait à la population, aux enfants la possibilité d’entendre des autres langues, les préférences se formeraient bien mieux qu’actuellement, car la France est remarquablement fermée à la diversité. On voit principalement les films étatsuniens et français (dans cet ordre), mais pas de films grand public de nos voisins européens. Pareil pour les chansons, à croire (pour les Français) qu’on ne chante nulle part, sauf en France et dans les pays anglosaxons.

            Il est vrai qu’une langue voisine est plus facile à apprendre ! Qu’il en soit ainsi... et que chacun puisse opter pour une langue de son choix.

            En parallèle, une langue de communication neutre serait une bonne solution, pouvant préserver la diversité.


          • Hermes esperantulo 24 janvier 2008 19:54

            Et non ASP tout le monde ne s’en fou pas, les grand patrons des multinationales regardent attentivement le cas du tout à l’anglais dans la zone euro. Tout simplment car 11% de chiffre d’affaire manquant par manque de maitrise de l’angalis , cette derniere aussi confirmé par ETS et 16% de perte de marché potentiel par la non connaissance de plusieurs langues dans une même entreprise internationale. Et bien au total ca fait un gros manque à gagner que ce soit pour l’entreprise, l’état ou le salarié et au passage aussi pour quelques boussicoteurs comme vous.

            Le probleme du tout à l’anglais c’est qu’il ralenti l’économie europeenne au niveau mondial, cela avait déjà été prevue bien avant et maintenant on regarde enfin les conséquences et les previsions sont assez justes.


            • Hermes esperantulo 24 janvier 2008 21:51

              Ce que je trouve assez éttonant dans nos elites francaise et européenne c’est d’avoir la capacité de dire et de faire le contraire, par exemple on pronne le multilinguisme mais en pratique on va vers l’unilingue, on dit que l’unilingue est dangereux pour notre economie (lecherbonier, grin, orban, le MEDEF, ect) mais les politiques vont vers l’unilingue, alors que les entreprises veulent du polyglotte et qu’elles n’en trouvent pas car pas assez de diversité linguistique en scolaire car l’education nationale des pays va vers le tout anglais.

              Dans les parlments européens ont demande du tout anglais et des qu’il s’agit d’avoir un traducteur grec impossible de l’avoir.

              En gros en politique l’intelligence du terrain n’existe pas et ap^rès on se demande pourquoi l’europe de fonctionne pas


              • Krokodilo Krokodilo 25 janvier 2008 17:55

                Esperantulo,

                 

                Effectivement, les pro-anglais pour tous ne se cache plus, à preuve le récent rapport Attali qui veut lui aussi l’anglais obligatoire dès le CE1, renforcé ! Déjà le rapport Thélot le voulait... On nage en pleine schyzophrénie, soutenir l’anglais obligatoire et la diversité linguistique !


              • Krokodilo Krokodilo 25 janvier 2008 17:57

                Fôôte ! On ne se cache plus, ils ne se cachent plus !


              • Hermes esperantulo 25 janvier 2008 19:14

                Ha le rapport ATTALI, un rapport ayant de gros manques donc en partie innapplicable sur le terrain, dans le domaine medical il ouvre en partie la boite de pandore donc en conséquence beaucoup de dérives possible au niveau de l’optique- ophtalmo, ou aussi la perfusion en anglais qui amplifira le cruel manque de personnes competentes dans d’autres langues que l’anglais dans le monde commercial


              • Pibette 25 janvier 2008 17:08

                L’utilisation d’une langue plutôt qu’une autre suit aujourd’hui le courant mondial des échanges commerciaux. En conséquence, à titre d’exemple, en Italie, le français était une 2nde langue obligatoire à l’école jusqu’à il y a quelques années. Désormais, la seconde langue qu’ils apprennent est l’espagnol, car tout le monde sait que l’espagnol est plus utile à qui veut commercer dans le monde (c’est la 2e langue la plus parlée au monde).

                Sur ce principe, je pense que la langue prédominante du XXIe siècle sera le chinois, et non plus l’anglais comme cela a été le cas au XXe siècle.

                Maintenant, je crois aussi que tant que les Français (dont je fais partie, hein, ceci n’est pas un jugement de valeur) n’auront pas pris conscience que les langues sont un vecteur de communication important et un outil facilitateur d’échanges, mais continueront à voir leur apprentissage comme une corvée scolaire, rien ne pourra changer. C’est dommage, car nous aurions beaucoup à gagner à développer nos compétences linguistiques : les étrangers aiment plutôt travailler avec les Français.


                • skirlet 25 janvier 2008 23:27

                  Le but premier d’une langue, c’est évidemment la communication. Mais pour la plupart de cas, notre langue maternelle nous suffit  Les Français ne sont pas pires que les autres (je ne suis pas Française d’origine, alors ceci n’est pas un jugement de valeur ), et la grande majorité les gens du monde entier ne montrent pas une grande motivation pour les langues, sauf y être contraits et forcés. Comme on dit chez nous, насильно мил не будешь (on ne peut pas se faire aimer de force) - une seule langue est dispo en LV1, et en plus on demande aux enfants d’être motivés... 

                  "les étrangers aiment plutôt travailler avec les Français"

                  Les étrangers ne sont pas tous (loin de là) anglophones. Alors, les compétences dans quelles langues ? On arrive à la conclusion de l’article - laissez-nous apprendre les langues que l’on veut.


                • Krokodilo Krokodilo 25 janvier 2008 17:51

                  les échanges commerciaux n’expliquent pas tout : l’Allemagne est notre premier partenaire commercial, et pourtant l’allemand avait tellement chuté dans nos écoles (et réciproquement) que les deux pays ont passé un accord pour se soutenir ; bien d’autres facteurs interviennent , par exemple, la situation acquise de l’anglais en Inde, sur laquelle il est facile de s’appuyer pour renforcer sa position et en faire un solide point d’appui pour toute l’Asie :

                  http://www.lemonde.fr/web/depeches/0,14-0,39-33941205@7-50,0.html

                   

                  Pour la corvée scolaire, vous avez raison que la motivation est un élément essentiel dans l’apprentissage des langues. Ne vaudrait-il pas mieux se demander pourquoi cette motivation est absente, ou si limitée ? Et je doute que les Français soient à ce point une espèce si différente des autres Humains.


                  • Kookaburra Kookaburra 25 janvier 2008 19:08

                    Il y a plusieurs aspects de la question d’apprentissage des langues : l’aspect linguistique, l’aspect politique et l’aspect purement affectif. L’anglophilie appartient au 19e siècle, aujourd’hui l’anglophobie est plutôt de mise (pour des raisons évidentes). D’où le mécontentement avec le phénomène de la mondialisation de l’anglais. C’est l’aspect affectif. L’aspect politique concerne le côté commercial et la promulgation de la culture. Je m’intéresse particulièrement aux aspects linguistique et culturel. J’aurais deux objections à l’esperanto : je crains que c’est utopique, et deuxièmement ce serait un appauvrissement culturel de remplacer les langues vivantes par une langue artificielle.

                    Quant aux difficultés des langues une évaluation relative serait arbitraire. Toutes sont difficiles ! Quand on débute en anglais on a l’impression que c’est facile, mais ça devient de plus en plus difficile. L’allemand est exactement le contraire. Les langues les plus difficiles sont évidemment le chinois et les autres langues asiatiques, pour nous européens pratiquement inaccessibles, et de les proposer à l’école serait peu utile. Si l’on veut écarter l’anglais comme lingua franca, l’espagnole serait un choix logique. Quant à la musique d’une langue, toutes ont leur musique particulière, mais là on est de retour dans l’aspect affectif. Personnellement j’aime la sonorité de la langue russe, mais je ne le parle pas.

                     


                    • Hermes esperantulo 25 janvier 2008 19:32

                      L’esperanto aux dernieres nouvelles n’est pas une utopie, car, on le parle, on l’écoute, on rit et pleure avec, donc il se porte très bien. L’esperanto au niveau international est une proposition et non le but ultime, disons plus crument que malgré les multilinguismes officiels de travail de l’UE, de l’ONU tout le monde se dirige vers l’anglais qui se dernier a déjà bien reduit la diversité culturelles.

                      Donc les autres systèmes ayant echoués les uns à la suite des autres et ne restant que celui de l’esperanto en temps que langue à pratique imediate associé à un multilinguisme de culture (ce dernier pouvant être utilisé par la suite en temps que langue de travail dans le pays concerné) soit un multilinguisme raisonné permettrait de reduire une hegemonie reductrice de capacité de reactivité tout en permettant la remise en place de la relle diversité linguistique principalement en europe


                    • skirlet 25 janvier 2008 23:40

                      Je n’ai pas constaté l’anglophobie, surtout au vu de la situation actuelle, où certains ministres parlent anglais à leurs équipes, Attali veut rendre l’anglais obligatoire, et on nous répète que l’anglais est incontournable "dans le cadre de la construction européenne". Non, ce n’est pas une phobie, mais un certain ras-le-bol qui se profile contre la domination linguistique.

                      "L’aspect politique concerne le côté commercial et la promulgation de la culture"

                      Celui qui impose sa langue en retire d’énormes bénéfices. Mais ceux qui imposent une langue étrangère à leur propre peuple sont impardonnables.

                      "J’aurais deux objections à l’esperanto : je crains que c’est utopique, et deuxièmement ce serait un appauvrissement culturel de remplacer les langues vivantes par une langue artificielle."

                      Les utopies d’aujourd’hui sont les réalités de demain Justement, le film sur le fondateur de la Croix rouge vient de se terminer. Une démarche utopique ? En théorie, mais elle a réussi. Qui plus est, l’espéranto n’est pas une utopie.

                      Concernant votre deuxième objection : visiblement, vous connaissez mal le milieu espérantiste. On est TRES attachés à nos langues maternelles, pas question de les remplacer. Mais pour leur permettre d’exister sans pressions extérieurs, se développer, il faut une langue de communication internationale qui serait neutre et assez facile à apprendre.

                      Concernant la difficulté des langues, il y a eu une longue discussion sur l’article qui s’appelle "Y a-t-il des langues plus faciles que d’autres ?"

                      http://www.agoravox.fr/article.php3?id_article=19139

                      "Quant à la musique d’une langue, toutes ont leur musique particulière, mais là on est de retour dans l’aspect affectif"

                      C’est cet aspect qui donne la plus forte motivation. Et comme on ne sait pas, de quelle langue on pourra avoir besoin, il faut qu’on puisse choisir librement la ou les langues à apprendre.


                    • Krokodilo Krokodilo 25 janvier 2008 19:36

                      Sur l’espéranto, je l’ai cité simplement parce que vous supposiez que j’étais contre une lingua franca européenne. je vous renvoie à diverses discussions sur AV, puisque cette fois mon article traite d’une réforme favorable à la diversité linguistique en général.

                       

                      Je préciserais simplement qu’il n’a jamais été question de remplacer les langues européennes, ce serait à la fois impossible et absurde, chacun étant attaché à sa langue maternelle. Il ne s’agit que de discuter d’une lingua franca, d’une langue seconde. Cest l’analogie avec l’euro qui est trompeuse. Sur le préjugé de l’artificialité, je vous renvoie aussi à d’autres discussions, histoire de ne pas mélanger ce qui est, non pas utopique, mais disons peu probable en l’état actuel, et une proposition de réforme réaliste, facile et favorable à la diversité linguistique.

                       

                      D’accord aussi que l’espagnol et l’italien sont plus réguliers que l’anglais ou le français sur bien des points, mais l’injustice de choisir comme lingua franca une langue d’un des peuples européens demeurerait.


                      • sophie 31 janvier 2008 08:09

                        L’espéranto n’a pas pour but de "remplacer" les langues maternelles ! Par contre, l’anglais, oui ! Et les puissants anglophones ne s’en cachent pas : "6000 langues, ça fait 5999 de trop, l’anglais suffit", voici la consternante déclaration d’un député (ou sénateur) étasunien !!!

                        Anglophobe ? Je ne l’étais pas, mais je le deviens ! Pourquoi ? Parce qu’on veut remplacer ma langue par l’anglais, ici, dans mon propre pays. Et les plus à blamer ne sont pas les anglophones de naissance, mais nos dirigeants qui veulent nous imposer cette langue étrangère ! Et s’en prennent sournoisement aux plus jeunes d’entre nous par le biais de l’école !


                        • Krokodilo Krokodilo 31 janvier 2008 16:56

                          Sophie,

                           

                          Mais les parents d’élèves (et pas seulement les espérantistes naturellement au fait des questions de langue) commencent à se rendre compte des effets pervers de la récente réforme du primaire, ça va chauffer de plus en plus :

                           

                          http://fcpedelunion.free.fr/articles.php?lng=fr&pg=131


                        • Georges-Henri Clopeau 31 janvier 2008 14:22

                           

                          Comprenons d’abord que le multilinguisme qu’on nous propose est soutenu seulement par quelques « grandes » langues qui espèrent sauver un peu de leur rayonnement passé. Il ne s’agit pas d’un effort pour la diversité culturelle et la reconnaissance d’une égale dignité à toutes les langues. Il est bien clair en effet qu’il est impossible d’apprendre suffisamment de langues, même si on ne faisait que cela, pour comprendre tout le monde, Ainsi en Europe, même en supposant qu’il n’y ait que 25 langues, et si l’on voulait respecter l’égalité entre ces 25 langues, il faudrait que chaque européen en maîtrise 13 pour que 2 Européens quelconques soient absolument certains de pouvoir trouver une langue pour se comprendre.

                            

                          S’il ne s’agit que de se comprendre à propos de choses, de faits, de règlements objectifs, une langue commune, pourvu qu’elle ne soit pas trop chargée d’ambigüités, et qu’elle n’exige pas un trop long temps d’études, suffit. Mais pour vraiment communiquer au plus profond de soi, il faut saisir toutes les résonnances culturelles de la langue, ce qui est le cas pour la langue maternelle pratiquée depuis la naissance et pendant une longue scolarité, mais ce qui ne sera accessible à ceux qui ont une autre langue maternelle qu’au prix d’études passionnées et de longue durée. Les langues qui rayonnent sont celles qui ont suscité dans le monde de tels passionnés, capables de créer eux-mêmes dans cette langue qui leur est étrangère. Très peu de personnes s’intéressent assez aux langues pour en étudier plusieurs à ce niveau de maîtrise.

                          Le "plurilinguisme" pour tout le monde ne peut donc être que la connaissance superficielle de plusieurs langues, acquises sans enthousiasme, et au prix du sacrifice d’études que certains pourraient préférer. Il n’apporte à l’immense majorité des gens, pour la communication et le rayonnement culturel, rien de plus qu’une seule langue commune.

                           

                          Mais quels que soient les pays choisis au titre du plurilinguisme, ceux-ci seront favorisés dans tout échange se faisant dans leur langue. A fortiori, quel que soit le pays dont la langue deviendra « langue unique » dans le monde, celui-ci dominera le monde. En fait, aujourd’hui comme hier, c’est le contraire ; la langue est toujours imposée par le pouvoir politique, et c’est justement la langue de l’économie anglo-saxonne qui domine le monde, sans qu’il soit nécessaire de perturber l’évolution des langues qu’on dit « naturelle », en ce sens qu’elle se fait sans aucune intervention d’esprit critique et de décision volontaire des humains. Nul doute que le combat pour le multilinguisme est au mieux une tentative de retardement de cette évolution naturelle ; au pire c’est une manœuvre pour faire digérer leur déchéance aux « grandes »langues.

                           

                          Je suis pourtant persuadé qu’un véritable plurilinguisme, laissant à toutes les langues leur vie propre et une égale possibilité de rayonnement, est parfaitement possible. Mais pour cela, il faudrait d’abord s’entendre pour décider que pour communiquer des faits et des opinions, il suffirait que tous les humains (dans un premier temps, tous les Européens) décident de se servir d’une langue conçue exprès pour cela, langue qui ne véhicule aucune force de domination, langue par laquelle chacun fait vers l’autre le même pas. Je pense que, dans ce rôle, l’espéranto a fait ses preuves et que ce n’est pas la peine d’y revenir

                           

                          Non seulement, si l’on enseignait l’espéranto à tous les enfants, on disposerait d’une langue auxiliaire de communication universelle, mais un siècle d’expérimentation a démontré que cette langue peut être apprise facilement et que, grâce à sa régularité, elle contribue à la structuration de l’esprit. Les élèves qui l’ont apprise entre 8 et 11ans

                          - peuvent l’utiliser pour dialoguer avec tout autre enfant de la planète ayant reçu le même enseignement.

                          - Comprennent mieux la grammaire et maîtrisent mieux leur langue maternelle, même si le temps (10minutes par jour de classe) a été pris sur cette dernière.

                          - Ont acquis une disposition à assimiler beaucoup plus rapidement les langues étrangères, et certains ont désormais le goût de l’étude des langues.

                           

                          Ainsi, un vrai plurilinguisme pourrait s’instituer, les élèves choisissant librement les deux langues étrangères (même régionales) qu’ils devraient étudier, et certains choisissant de pousser cette étude à un niveau littéraire, ou de se consacrer à la linguistique générale.

                           

                          Aujourd’hui une langue commune s’impose : l’anglais. Et on gaspille le temps de l’école élémentaire en y introduisant prématurément l’anglais. Prêcher le plurilinguisme ne l’empêchera pas de devenir unique, mais placera tous les pays non-anglophones en infériorité sur le plan de la recherche scientifique et du développement technique, en raison du temps inutilement consacré à l’étude de plusieurs langues.

                          On ne peut pas sortir du jour au lendemain de cette situation, mais il est possible de la supporter, c’est à dire d’apprendre mieux cette indispensable langue anglaise, sans perdre de temps à l’école élémentaire, jusqu’au jour où tous le Européens connaissant l’espéranto, tellement supérieur à l’anglais pour la communication objective, celui-ci remplacera l’anglais dans la science, la technique et les institutions.

                          Alors l’anglais rayonnera de nouveau en tant que langue de culture au lieu de se "pidginiser", comme aujourd’hui.


                          • Krokodilo Krokodilo 31 janvier 2008 16:46

                            "Sans enthousiasme", c’est bien vrai ! La motivation est un élément clé dans l’apprentissage d’une langue étrangère, dont la difficulté est très largement sous-estimée. Un de mes enfants me rapporte souvent le manque d’enthousiasme des élèves de sa classe en anglais, au primaire comme au secondaire, ou des détails révélateurs sur le fait qu’ils ne comprennent parfois rien à ce que la prof leur dit parce qu’elle applique les théories pédagogiques récentes d’immersion complète et d’absence quasi totale d’explications en français "repeat, repeat !" Ou encore les exercices à la maison qui surestiment tellement leur niveau réel que je suis obligé de l’aider, de traudire tant bien que mal tel ou tel mot. la surestimation du niveau réel et la fixation d’objectifs délirants est une constante de la pédagogie des langues.

                             

                            Hormis dans certaines circonstances familiales particulières, les élèves ne perçoivent pas l’intérêt de ce qu’ils font  ; évidemment, on dira qu’ils ne comprennent pas davantage l’intérêt de l’histoire ou des sciences, mais quand même, ils ont déjà une langue à travailler qui leur permet le quotidien, et elle est sufifsamment difficile !

                             

                             

                            Je crois qu’on est encore dans l’illusion qu’en commençant toujours plus tôt, ils seront aussi forts en anglais que dans leur langue maternelle, oubliant qu’il est assez autoritaire d’imposer telle ou telle langue si jeune (pas de choix des parents), et oubliant aussi que dans notre propre langue, on est en immersion linguistique toute la journée, intensivement, rien à voir avec une initiation bancale au CE1. Un retour sur terre et un peu de réalisme sont demandés d’urgence.

                             

                            En outre, "on va faire votre bonheur contre votre gré !", on a déjà connu ça trop souvent...


                          • Krokodilo Krokodilo 31 janvier 2008 16:53

                            "Très peu de personnes s’intéressent assez aux langues pour en étudier plusieurs à ce niveau de maîtrise."

                             

                            Tout à fait d’accord, ni l’envie, ni le temps ou l’opportunité de pratiquer régulièrement plusieurs langues. Toutes ces histoires de quatre langues pour tous les Européens, de diffuser de la VO, voire de l’imposer, sont toalement surréalistes, irréalistes (on n’y arrive déjà pas pour les Eurocrates et difficilement pour les professionnels des langues !), et c’est pour cette raison que les choses évoluent si lentement, ou que le fameux plurilinguisme de l’UE a une fâcheuse tendance à se transformer en anglais au CE1 ! En outre, les besoins des pays ne sont pas les mêmes, selon leur(s) langue(s) nationales et leurs voisins, leurs zones d’influence.


                          • Krokodilo Krokodilo 22 février 2008 10:43

                            Une info récente : le gouvernement va progressivement généraliser en 6e les classes bilangues. Voilà tout ce qui’ls ont trouvé. L’anglais restera imposé au primaire, et quasiment imposé en 6e faute de choix dans de nombreux établissements. Mais en plus on va imposer une deuxième langue, car là encore, il est peu probable que les petits établissements proposent au choix angl+allemand, angl+espagnol, angl+italien, ou espagnol+italien !

                             

                            http://www.aplv-languesmodernes.org/spip.php?article1534

                             

                             

                            L’enseignement des langues poursuit sa route dans l’autoritarisme. Laissez les gens apprendre la ou les langues de leur choix !


                            • Krokodilo Krokodilo 3 mars 2008 18:21

                              Un rajout : une telle réforme permettrait en fait de proposer à l’école bien plus d’une dizaines de langues à valider, car si localement on doit facilement arriver à une dizaine de langues disponibles par la complémentarité public-partenaires (privé commercial et non commercial), il est tout à fait envisageable, grâce aux technologies informatiques, qu’un élève choisisse de valider une langue "rare", comme le chinois (qu’il est abusif de qualifier de rare !), en suivant de l’enseignement électronique (e-learning...) auprès d’un prof qui serait basé dans l’Académie, ou dans un institut, à Paris ou même à l’étranger pour des langues réellement rares.

                               

                              On voit qu’il s’agit d’une tout autre perspective, un usage très différent des TICE dont nos ministres ont clairement indiqué à diverses reprises que, pour eux, les technologies informatiques doivent servir à faire du "e-learning" avec des anglophones natifs...


                              • Krokodilo Krokodilo 13 mars 2008 18:58

                                Complément à l’article :


                                J’ignorais que l’idée d’une initiation linguistique non spécialisée à l’école primaire avait déjà été expérimentée en France et en Suisse, dès 1997, dans le cadre d’un projet soutenu par l’Union europénne : Evlang (Eveil aux langues). Evlang lui-même s’inspirait d’idées similaires. Il s’agissait d’un projet déjà très élaboré, comprenant un support pédagogique et des sessions de formations des maîtres.
                                Un bilan détaillé en est disponible en ligne :

                                 

                                http://eduscol.education.fr/D0033/langviv-acte5.htm

                                 

                                Le rapporteur du projet Evlang, Michel Candelier, a aussi publié un bilan de cette expérimentation :
                                "L’eveil aux langues à l’école primaire", coll. Pratiques pédagogiques, ed. de Boeck.

                                On voit que depuis longtemps s’opposent deux conceptions de l’apprentissage précoce des langues : la voie d’une spécialisation dans une langue seconde, et celle d’une initiation à la diversité des langues.
                                Il est à notre avis dommage que la France ait finalement suivi le chemin de la spécialisation dans l’anglais (88%, imposé sans choix), plutôt que celui de la diversité linguistique.
                                 

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