Abécédaire intimiste de Moscou : P comme Politique
Ayant eu la chance de faire quelques séjours bien intégrés dans la vie quotidienne en Chine, en Inde comme en Russie, je me propose de vous faire faire pour commencer, un petit voyage alphabétique, à travers la vie de tous les jours, de Moscou et de ses environs. Il me paraît important avant d’aborder les principes, voire les anathèmes, de voir tout simplement comment vivent les gens et quel est leur cadre journalier.
En cette année électorale, choisissons d’abord la lettre « P » comme POLITIQUE.
De quelle façon la politique s’insère-t-elle dans cette approche très quotidienne ?
S’il est impossible pour un touriste d’en avoir une connaissance
documentée et globale, il peut néanmoins recueillir des impressions.
Après les élections de l’automne qui ont consacré la victoire de
Poutine, comment ne pas être frappé par le décalage entre les
descriptions des médias français et la réalité observée dans les rues
de Moscou ?
Les journaux français, à quelques exceptions près,
se sont attachés majoritairement aux aspects de trucages des
élections, à l’écrasement des partis d’opposition et à l’aspect
autocratique.
Or, ce vote ne paraissait pas même indispensable
puisque des sondages unanimes, reflétant parfaitement la volonté
populaire, donnaient Poutine largement gagnant. Nous donnions une
grande importance à Kasparov qui pour l’homme de la rue demeurait le
joueur d’échecs génial si ce n’est le candidat qui plaît aux
Américains. Peu de nos journaux ont fait état de l’influence
d’internet. On peut brider journaux et surtout télévision, mais il y a
le web et c’est une différence énorme avec la période des dictateurs
tsaristes ou communistes. De plus en plus de Russes ont accès au web et
peuvent savoir ce qui passe ailleurs.
Poutine, un tyran ? Cette
question paraît assez étrange à un Russe de la rue qui en a connu de
véritables il y a très peu de temps. Le Russe va où il veut, il
apprécie sa liberté individuelle actuelle. Il fait une différence entre
son sort et celui d’espions ou de dirigeants qui se joue dans une
sphère politique, féroce et inquiétante, mais totalement étrangère à
l’homme de la rue.
Pour ce dernier et pour l’instant, cet état embryonnaire de démocratie
suffit, l’amélioration de sa vie matérielle étant le point important.
Poutine est populaire parce qu’il incarne à la fois le sursaut
d’orgueil national et l’ordre qui permet aux affaires de prospérer.
Qu’il y ait, pour l’instant, un déficit démocratique par rapport à
nous, cela ne fait guère de doute. Soyons attentifs et vigilants. Mais
peut-être appartient-il aussi à l’Occident de ne pas désespérer les
Russes. Les Russes sont fiers de leur pays et de leurs racines, le
renouveau de l’orthodoxie pouvant s’expliquer en partie par ce
sentiment. Ils sentent que la flambée énergétique leur donne un nouvel
atout. Certes, Poutine en joue, mais il a compris qu’il fallait restaurer
cette fierté après des années d’humiliations occidentales.
Aujourd’hui, l’homme de la rue lui sait gré de mettre un certain frein
au pillage des plus rapaces et de lui permettre de se jeter lui aussi
dans la course à la consommation. Celle-ci n’est pas encore à la
portée de tous. Mais les exclus sentent qu’avec l’accroissement rapide
et constant de la classe moyenne eux aussi, ou du moins leurs enfants,
pourront un jour en faire partie.
Il y a une dynamique de l’espoir palpable dans le bouillonnement des changements et progrès accélérés.
Voilà les impressions que l’on peut recueillir à Moscou en se mêlant à sa vie.
Sur place, il est impossible aussi d’oublier la dimension géographique
de la grande Russie et son lourd passé historique dont une nouvelle
page vient à peine de prendre naissance il y a une vingtaine d’années.
N’oublions pas qu’il y a eu en France un
long chemin politique de la Révolution à nos jours et une évolution
parallèle de nos conditions de vie. La France est un petit pays,
prompt à donner des leçons et à juger à l’aune de ses vérités
politiquement correctes. Elle n’est pas sensible à la géographie et il
lui arrive d’oublier sa propre histoire et de ne pas s’interroger sur
celle des autres.
La Russie est un immense pays en pleine mutation, entre Asie et Occident.
Moscou en est un aspect moteur et le carrefour d’allure européenne
d’influences venues des profondeurs des montagnes et des steppes du
grand Est.
Les médias sont la voix de la France, mais non celle de tous les Français sur tous les sujets. En effet, on peut s’interroger, par exemple, sur les descriptions
qu’on nous fait habituellement des grands pays de la sphère communiste ou
ex-communiste, en développement rapide, comme la Chine ou la Russie.
L’image renvoyée semble fondée davantage sur l’arrogance et la peur que
sur la connaissance réelle de terrain.
La France de l’écrit et des lucarnes ramène à notre échelle de petit
pays des territoires immenses dont les problèmes sont en proportion.
Elle oublie que les mentalités asiatiques et slaves ne sont pas toutes
cartésiennes et doivent être appréhendées différemment. Elle se pose en
championne de la démocratie en oubliant que nous ne sommes pas en
France à l’aube d’un régime libéral (10 à 20 ans), mais que nous
bataillons depuis 1789 (220 ans) avec des hauts et bien des bas et
même une époque coloniale. Pourtant, une connaissance objective et sereine est la condition d’une vigilance efficace.
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