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Présidentielles au Zimbabwe : vers une continuité dans la terreur

Avec plus de 100 000 % d’inflation, des millions de personnes souffrant de la faim dans cet ancien grenier d’Afrique australe, le Zimbabwe s’apprête à livrer le 27 juin 2008 l’ultime combat pour sa survie.

Un second tour de l’élection présidentielle opposant d’un côté Robert Mugabe, 84 ans, l’indéboulonnable président et de l’autre côté Morgan Tsangiraï, âgé d’une cinquantaine d’années, challenger qui a, à la surprise générale, remporté le premier tour tenu le 29 mars dernier. Après une décennie de descente aux enfers, d’autoritarisme et de démagogie, le Zimbabwe aura-t-il le courage de tourner la page sombre du règne sans partage de Mugabe aux affaires depuis 1980 ? Les dernières déclarations du leader de la ZANU-PF, parti au pouvoir, laissent planer le scepticisme et envisager le pire dans un pays qui a soif de changement.

Aux origines du mal

Héros de l’indépendance, Robert Mugabe devient en 1980 le premier président de l’ancienne Rodhesie du Sud, après avoir mené une lutte acharnée contre l’occupation britannique dans les années 70. De 1980 en 1987, dans l’euphorie de la souveraineté acquise, il instaure un régime fort en promettant une expropriation progressive des fermes dont la grande majorité appartenait encore aux Blancs, et leur rétribution équitable aux Zimbabwéens noirs. Mais il faudra attendre l’année 2000 pour voir ce processus véritablement mis en place et les premières expropriations devenir effectives. Soutenu par l’ancien colon britannique, « Old Bob » modifie la Constitution en 1987 et accentue l’autoritarisme du régime dans les années 90.

A cette époque, le Zimbabwe est un pays stable dont la productivité agricole en fait le grenier d’Afrique australe. Encensée par la communauté internationale, le régime de Mugabe est montré en exemple dans une région traumatisée par les attentats de Nairobi et la crise en Somalie, mais également dans une Afrique secouée par le génocide rwandais, par les guerres civiles au Zaïre (République démocratique du Congo aujourd’hui), en Sierra Leone, au Liberia. Mugabe apparaît alors à ce moment comme le garant de la stabilité, un partenaire incontournable et stratégique pour les puissances occidentales, au détriment des exactions graves contre les droits de l’homme pointées dans les rapports d’Amnesty International, Human Rights Watch et la Fédération internationale des droits de l’homme.

Le tournant décisif

Essuyant l’échec du référendum sur la révision constitutionnelle en 2000, Mugabe remporte le scrutin présidentiel en 2002 malgré les dénonciations de fraudes et d’irrégularités constatées par les observateurs présents. La communauté internationale, comme pour d’autres élections « pourries » organisées sur le continent, prend acte et avale la couleuvre. Mais en 2003, la situation politique se dégrade avec une opposition menée par le Mouvement pour le changement démocratique (MDC). Une opposition bien que fragile, tente de s’organiser et de se présenter comme une alternative aux abus du régime. Le soutien jusque-là indéfectible du gouvernement britannique commence à fléchir. La réaction de Mugabe est brutale : l’expropriation express sur fond de violences raciales des fermes détenues par les Blancs. Des milices d’anciens combattants investissent les fermes et malmènent les fermiers blancs. Pillages et destructions. Le processus d’expropriation devient une mise à sac honteuse et chaotique. On parle désormais de réquisition des terres à la tête desquelles le pouvoir désigne des proches. Inexpérimentés et incompétents, les nouveaux propriétaires n’ont pas les connaissances ni le matériel nécessaire pour maintenir la productivité agricole, ainsi de nombreux lopins de terre restent en friche. On commence à parler de « crise agraire ».

Le réveil de la communauté internationale

Le durcissement de la crise politique au Zimbabwe, arrestations des partisans de l’opposition, homicides, campagnes d’intimidation, et la violence de la crise agraire dont les conséquences commencent à se faire durement ressentir au sein des populations, poussent les Britanniques et le Commonwealth à adopter des mesures de rétorsions contre les principaux dirigeants du régime de Robert Mugabe. Rompant avec une passivité complice, les puissances occidentales, face à l’activisme des mouvements des droits de l’homme, deviennent plus exigeantes envers le pouvoir zimbabwéen. Mais certains pays africains dénoncent le « complot » néocolonialiste des « Blancs » au Zimbabwe et apportent leur soutien à Mugabe. C’est fort de ce soutien de ces pairs que Mugabe, en 2004, réprime plus violemment l’opposition. La crise agraire met le Zimbabwe à genoux, près de 70 % de sa population ne peut plus subvenir à ses besoins et se retrouve sans emploi. Répondant aux pressions internationales, Mugabe se retire du Commonwealth. C’est le début de l’autarcie diplomatique.

En 2005, après avoir expulsé près d’1,5 million d’habitants des bidonvilles de Harare, bastions de l’opposition, la ZANU-PF remporte les élections législatives avec un système de fraudes massives et contre une opposition inexistante. Grand vainqueur, le gouvernement zimbabwéen en profite pour faire passer des réformes constitutionnelles liberticides, restrictions du droit de propriété, privation de passeport pour raison d’intérêt national, etc.

Persécutant la minorité Ndébélé, Mugabe tente d’obtenir le soutien de son peuple en interdisant le recours en appel de l’expropriation des propriétaires terriens. L’exode massif s’accélère vers les pays voisins à l’instar de l’Afrique du Sud. Et l’inflation qui était située en 2006 à 1 000 % passe en 2007 à 100 000 %. Famine, violence et pauvreté laminent la population qui, en mars 2008, vote lors de l’élection législative pour le MDC (109 sièges au Parlement contre 97 pour la ZANU-PF) et propulse le jeune opposant Morgan Tsangiraï, chef du MDC en tête du premier tour de l’élection présidentielle. Un revers historique qui n’est que l’expression d’un ras-le-bol général au sein d’un peuple qui espère des jours meilleurs. Le tout-sauf-Mugabe claironné par les partisans de l’opposition a eu un énorme effet dans les zones rurales, anciens fiefs de Mugabe, qui subissent de plein fouet la dramatique situation que traverse le pays.

Un second tour de tous les dangers

Après avoir tardivement reconnu sa défaite lors du premier tour de la présidentielle, Mugabe semble décidé à ne rien lâcher[1]. Assassinats, intimidations[2], arrestations[3], le pouvoir use de tous les stratèges pour démoraliser et décourager[4] les partisans de l’opposition. Il y a quelques jours Morgan Tsangiraï a été longuement interrogé par la police, son secrétaire général inculpé pour trahison, tandis que les sympathisants de Mugabe sèment la terreur dans les villages et autres localités retirées.

L’Union africaine se cherche une position officielle pendant que les tensions accrues ces derniers jours présagent une échéance électorale de tous les dangers. La communauté internationale a proposé la création d’un gouvernement d’union nationale à la kenyane, une proposition rejetée dans les deux camps. La médiation de Thabo Mbeki, président sud-africain, a été un fiasco complet, trop partial il n’a réussi qu’à se décrédibiliser un peu plus aux yeux des Sud-Africains. Le président de l’African National Congress (ANC), Jacob Zuma, probable futur président de l’Afrique du Sud, a déclaré aux côtés de Gordon Brown, Premier ministre britannique, que « Old Bob » n’était plus l’homme de la situation et qu’il devrait quitter le pouvoir. Une attitude courageuse qui est loin d’être adoptée par les dirigeants africains dont la plupart se maintiennent au pouvoir depuis plus d’un quart de siècle déjà. Condamner ce qui se passe au Zimbabwe reviendrait presque à se tirer une balle dans le pied. D’où le mutisme des gouvernements africains et la timidité de l’Union africaine, qui manque ainsi une occasion de se défaire de l’image de la défunte Organisation de l’unité africaine (OUA), caractérisée par une mollesse politique légendaire.

Avec une commission électorale nationale aux ordres du pouvoir et une volonté de Mugabe d’empêcher toute alternance, le second tour de l’élection présidentielle au Zimbabwe s’annonce comme une tragédie dont l’acte final est en train de se jouer sous le regard impuissant d’une communauté internationale qui se prépare désormais au pire[5].



[1] ."Nous sommes prêts à mourir pour ce pays, (...) prêts à nous battre (pour le pouvoir) si nous le perdons de la même façon que nos ancêtres l’avaient perdu", face au pouvoir colonial britannique, a assuré celui qui est arrivé au pouvoir à l’indépendance, en 1980.

[2] Robert Mugabe a accusé les pays occidentaux d’ingérence."Nous sommes devenus la cible des Britanniques et des Américains. Les Etats-Unis ont fourni 70 millions de dollars au MDC pour que le régime change (...) et le Premier ministre britannique Gordon Brown s’immisce dans nos affaires intérieures, a martelé le président. Le régime britannique est tombé pour toujours. Jamais, jamais, ce pays ne sera gouverné à nouveau par un Blanc !"

[3] Le secrétaire général du MDC, Tendai Biti, arrêté à son retour au Zimbabwe, a comparu devant la justice. Lors d’une séance à huis clos, des procureurs ont déclaré qu’ils comptaient l’inculper de trahison et d’avoir porté atteinte aux intérêts de la nation en faisant certaines déclarations. S’il est reconnu coupable de tels chefs d’inculpation, il risque la peine de mort, a déclaré son avocat, Me Lewis Uriri.

[4] Une association de médecins a indiqué avoir soigné plus de 3 000 victimes d’agressions à caractère politique. Selon l’ONU, la plupart des attaques peuvent être attribuées aux partisans du régime.

[5] L’on a intercepté, il a quelques semaines, au large, un navire chinois se dirigeant vers le Zimbabwé et avec dans sa cargaison des armes.


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