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Accueil du site > Culture & Loisirs > Culture > « Speed Racer » : de la voiture-balai XXL au film prototype incroyable (...)

« Speed Racer » : de la voiture-balai XXL au film prototype incroyable !

Pitch ulta-simple façon BD : Speed Racer (Emile Hirsch) rêve d’être un grand coureur automobile, mais la mort accidentelle de son frère Rex, accusé d’être un tricheur, l’obsède. C’est comme un frein à l’accomplissement de son destin.

Accrochez vos ceintures, Speed Racer d’Andy & Larry Wachowski, adapté de la série animée japonaise Mach Go Go Go ! (Tatsuo Yoshida, 1967), est une voiture-balai filant à 600 km/h et faisant feu de tout bois. Ce Grand 8 filmique, élevant les montagnes russes au rang d’art majeur (la mère du héros voit moins son fils comme un pilote standard que comme un artiste de la piste), remixe à tout-va : jeux vidéo, graphisme, Pop Art, animation japonaise, Metropolis, Spy Kids, 007, F-Zero et j’en passe. Vroum badaboum ! Certes, par moments, on frôle l’indigestion chromatique (tons sursaturés, voire fluo ou phosphorescents), mais, en même temps, tout est tellement assumé, jusqu’à une certaine idiotie (les séquences plutôt débiles de Young Speed et de son chimpanzé survolté rappellent le fun et l’esprit provoc d’un Robert Rodriguez), qu’on ressort emballé de ce gros bonbon rutilant nous en faisant voir de toutes les couleurs. Ce film survitaminé, c’est comme si on rentrait dans une confiserie géante pour engloutir tout de go fraises tagada, gélatine acidulée, nounours en guimauve, caoutchouc translucide, chewing-gum rose bonbon, bonbons anglais et autres macarons multicolores. Trip hallucinogène et psychédélique, d’entrée de jeu Speed Racer annonce la couleur : nous en mettre plein la vue, provoquer la jouissance de et par l’œil : les logos du tout début (emblèmes des distributeurs du film) rappellent l’art optique, il s’agit de faire de l’écran de cinéma un art des surfaces ouvrant un champ d’expérimentations et de sensations pour le regardeur. Ici, on se balade librement dans l’image, en quelque sorte on est moins spectateur que regardeur. Tout fait sens et signe parce que tout est hyper-codifié à l’extrême : logos, marques, chiffres (bolide labellisé Mach 5), blasons, pictogrammes, panneaux signalétiques, drapeaux à damiers, néons, ellipses, trames et pixels apparents, aplats de couleurs : tout est ramené à la platitude de l’image et à la frontalité d’apparat pour peut-être mieux nous inviter, via les lignes de fuite des circuits automobiles qui créent l’illusion de profondeur, à gratter la surface de l’image et à découvrir ce qui se trame derrière. Oui, voilà bien, même s’il vient cinquante ans après (les Warhol, Rosenquist et autres Lichtenstein ont commencé dans les sixties), un véritable monument pop. Selon moi, rarement un film de cinéma, à l’exception des Demoiselles de Rochefort de Demy, de Dick Tracy de Warren Beatty (cf. les couleurs pétantes du chef-op génial Vittorio Storaro) ou des films estampillés Movida d’Almodovar, n’a eu une telle intelligence à se déplacer dans le langage du Pop Art. Non seulement il en retient les codes graphiques, à savoir la forme (on est dans le recyclage à toute berzingue), mais également le fond : un certain désenchantement quant à la nature humaine (les patrons et sponsors, Royalton & autres industries, sont des ripoux), une attraction-répulsion pour la société de consommation et pour l’Amérique comme miroir aux alouettes et un goût fort prononcé pour le morbide, une attirance pour les gouffres. Eh oui, chez un Warhol par exemple, derrière les couleurs acidulées de ses sérigraphies-drapeaux, que de destins brisés (Monroe, Dean, Presley), de crashs, de chaises électriques et de vanités. Il faut savoir gratter la surface de l’image Canada Dry pour s’apercevoir que celle-ci n’est pas aussi rose bonbon qu’elle en a l’air - n’en déplaise aux détracteurs du Pop Art qui n’en retiennent, paresseusement, que l’aspect décoratif et l’impact publicitaire façon « industrie culturelle ».

Eh bien, Speed Racer, c’est pareil. Les enfants n’y verront certainement qu’un grand parc d’attractions avant, un film pour enfants, et c’est tant mieux. Ils seront émerveillés par la beauté plastique et fractale de ce jeu vidéo XXL dont les circuits automobiles hallucinants, mixant pistes de slalom de ski et parcours de skate, tels des rubans de Möbius s’enroulant ad libitum sur eux-mêmes, les fascineront au centuple. Beauté du design, sur fond de futurisme eighties (on pense à Tron), fluidité des courses, ingéniosité des tracés que les voitures kamikazes semblent dessiner au fur et à mesure de leurs entrelacs sur l’asphalte de la piste aux étoiles : on est pris dans une course-poursuite truffée de bolides délirants et de décors kitsch, entre F-Zero, Astro Boy, Haribo, Ranx Xerox et Fischer-Price, de bâtons dans les roues style fers de lance et où tous les coups sont permis ! Film rond, chaud, tournant merveilleusement sur lui-même et tenant largement la route, ce film-bulle nous embarque dans ses stases spatio-temporelles en roue libre et sait aussi, derrière son côté parcours du combattant et épreuve de force, se faire chemin de traverse, à savoir parcours initiatique : l’amour de la vitesse et des grosses cylindrées se transmet de père (appelé Pops, tiens tiens) en fils et l’art de la conduite de frère en frère : de Rex Racer à Speed Racer via Racer X, la boucle est bouclée. Bonbonnière flashy, viennoiserie arty, ce film-vroum vroum, reposant sur l’amour de la vitesse et de la… famille (US !), est un vrai film familial : Susan Sarandon et John Goodman, en parents middle class fiers de leurs rejetons, sont formidables et les enfants, petits ou grands (!), pourront s’identifier à loisir au duo débile « gamin-chimpanzé » du film ou à tel ou tel as du volant faisant office de super héros, gentil ou méchant, au choix.

Pour autant, derrière sa trame manichéenne cousue de fil blanc, on a aussi un film pour adultes, tant au niveau du fond que de la forme. Oui, il n’est pas sûr que le régime hyperbolique des images du film, jouant sur les textures façon le Frank Miller revisité dans 300 (explosion étoilée de couleurs, trip optique à la 2001, architecture pop lorgnant du côté de Cosmopolis du Metropolis de Fritz Lang), parle tant que ça aux gamins. Pour nous, c’est un vrai feu d’artifices – dans tous les sens du terme –, et les greffes, il faut bien l’avouer, prennent remarquablement là-dedans, comme dans une combine painting de Rauschenberg : Speed Racer ou du bon usage du tout-numérique au cinéma. En outre, concernant le fond, en soulevant l’image dérivée d’image, on restera ému par l’histoire de ce film mortifère, hanté par les fantômes parce que reposant ad vitam aeternam (attention spoiler !) sur un mort, une absence, un grand frère (Rex/Racer X) tant aimé et trop tôt disparu. Le petit Speedy ne cesse de courir après son frère mort, allant même jusqu’à écrire en gros R.E.X. en remplissant les cases d’un QCM. Il y est donc question du double, du dédoublement de la personnalité, de la répétition du même (on est bien toujours dans un esprit pop) et de « l’attaque des clones ». Comme dans V pour Vendetta, produit par les Wachowki, on passe de l’image double à la double image et on ne distingue plus vraiment la copie de l’original (Racer X en remplaçant de Rex, Trixie, alias « Dominatrix », en remplaçante de Tajeo) : on est dans la doublure, l’ersatz, l’artefact, l’avatar. Au passage, via ce jeu de dupes et cet amour des feintes autour d’un défunt, on retrouve aussi la problématique majeure de la trilogie Matrix : comment savoir si la réalité n’est pas une vaste illusion ? Dans cette frontière flottante entre réel et virtuel et dans cette symbiose tant recherchée entre homme et machine (la voiture, comme dans Christine de Carpenter, est vue telle un organisme vivant), on reconnaît bien là la patte des deux frères.

Oui, Speed Racer est un film schizophrène, trans-genre, car si l’on y regarde de plus près, en grossissant sa trame, il se pourrait bien qu’il y ait ici de la part des deux Wachowski une charge autobiographique assez manifeste. Dans ce parcours de deux frères unis dans une quête artistique (la course automobile passe pour un art dans Speed Racer) et dans cette histoire en eaux troubles d’un homme masqué (le frère pilote soi-disant mort) revenant sous de nouveaux traits (twist final poignant), il est difficile de ne pas y voir un autoportrait à peine masqué des Wachowski, d’autant plus quand on sait que l’un d’eux, selon une rumeur persistante à Hollywood Boulevard (!), aurait changé de sexe et se ferait appeler Lana au lieu de Larry. Tiens, via ce travestissement, il y a bien du Andy Wachowski, euh… pardon, Warhol à fond la caisse dans Speed Racer. Objet filmique passionnant à suivre (du 4 étoiles sur 4 pour moi), ce film prototype est un grand film qui, sous ses faux airs de « film de famille », sait nous sortir des sentiers battus - casque bas ! Pour ça et pour sa maestria graphique (un pur plaisir visuel), il est pour l’instant en pole position dans mon classement des meilleurs films 2008. A l’instar des quelques mots en français de Johnny « Goodboy » Jones, alias Melvil Poupaud, entendus dans le film, j’ai envie de crier - « Mais ce film, putain de sa mère, c’est incroyable ! »

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6 réactions à cet article    


  • morice morice 23 juin 2008 11:05

     De la débilité profonde sur pellicule, encensée avec toujours ce même vocabulaire de geek. "Un grand film", il dit en clair, entre deux "trans-genre" et autres "tons sursaturés"... au pays des navets, mon cher Delaury, vous venez de décrocher la palme de jardinier en chef. 

     


    • lamorille 26 juin 2008 00:09

      un scorpion contre un blaireau...on dirait un naja contre une mangouste...bof


    • prijker 23 juin 2008 22:58

      Chapeau, votre texte ! Il m’a donné envie de voir le film.

      Attention tout de même à ne pas donner trop d’importance à un objet culturel mineur en déployant une prose outrageusement suranée...

       


      • Vincent Delaury Vincent Delaury 23 juin 2008 23:09

        Prijker : " (...) un objet culturel mineur (...) "

         

        Oui, mais parfois, du mineur au majeur, il n’y a qu’un pas...

        Et les frères Wachowski (Matrix, V pour Vendetta, Speed Racer) font des films plus complexes qu’ils en ont l’air à première vue.


      • lamorille 24 juin 2008 21:36

        perso, j’aimerais savoir ce que les wachowski brothers ont apporté au cinéma...un "bound" copié sur les films noirs, un matrix collé sur 2001 avec des effets spéciaux "de la mort"...et un discours oiseux...les good brothers sont les coen...selon moi...


      • FrankDumont 25 juin 2008 21:54

        Ce film est extra. Entièrement d’accord avec l’auteur !

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