L’unité arabe, alternative à l’intégrisme musulman et à la violence
Pour s’opposer efficacement au rêve d’unité religieuse que Ben Laden et ses émules proposent aux populations de cette région du monde, il faut pouvoir rendre vivant un rêve d’une force supérieure, ou mieux encore s’il existe, un espoir collectif. Et s’il existe un tel espoir, il ne peut être qu’autour de l’idée d’unité arabe, qui constitue, du Maroc à l’Irak, un immense levier psychologique individuel et collectif, propre à libérer les énergies des peuples et des individus.
J’entends déjà les voix des « experts reconnus », ceux pour qui l’avenir se décline à l’imparfait[1] : « Allons, mon bon Monsieur, soyez sérieux, l’unité arabe est une utopie, elle est morte dans les années 1950/1960. Elle n’a plus aucun sens aujourd’hui. ».
C’est ce son de cloche que j’ai entendu en Europe et aux Etats-Unis, depuis plus de deux ans, que je développe l’analyse suivante[2] :
« Il faut un rêve pour s’opposer à un autre rêve.
La démocratisation du Moyen-Orient est un projet rationnel, qui ne parle
pas au cœur des peuples de la région, et qui fait fi des différentes
identités collectives, culturelles et géographiques qui la composent. Pour
s’opposer efficacement au rêve d’unité religieuse que Ben Laden et ses
émules proposent aux populations de cette région du monde, il faut
pouvoir rendre vivant un rêve d’une force supérieure, ou mieux encore,
s’il existe, un espoir collectif[3]. Et s’il existe un tel espoir, il ne peut-être qu’autour de l’idée d’unité arabe,
qui constitue, du Maroc à l’Irak, un immense levier psychologique
individuel et collectif propre à libérer les énergies des peuples et
des individus. »
Comment nous, Européens, pouvons-nous penser honnêtement que les
peuples arabes n’aspireraient pas à l’unité, alors que nous-mêmes, qui
pourtant ne bénéficions pas d’une langue commune comme le monde arabe,
estimons que c’est un objectif essentiel pour notre civilisation ?
Comment pouvons-nous penser que l’image d’une Europe détruite, divisée,
marginalisée il y a 60 ans, qui réussit, grâce à son processus
d’unification, à redevenir une puissance globale de premier plan, riche
et moderne, n’inspire pas les jeunes élites du monde arabe ?
Si
la dernière tentative d’unité arabe est bien morte dans les années
1950/1960, nous en savons quelque chose, nous, occidentaux, car c’est nous
qui l’avons tuée, afin de préserver nos intérêts commerciaux et
pétroliers dans le monde arabe, sur fond de conflit israëlo-palestinien.
C’est d’ailleurs l’élimination de cette composante historique de la
sphère politique arabe, la composante unitaire non religieuse, qui a
laissé le champ entièrement libre à l’intégrisme religieux. L’échec
complet de la politique américano-britannique en Irak[4],
comme l’enlisement du processus EuroMed, imposent désormais aux
Européens de regarder certains faits objectivement : les tentatives de
« diluer » le monde arabe dans un espace plus vaste (Grand Moyen-Orient
de Washington) ou réducteur (Euromed de Bruxelles) ne fonctionnent pas.
Des deux côtés, la partie arabe se dérobe. Les dictateurs que nous
soutenons à bout de bras ne veulent pas de la démocratie qui annonce leur fin ; et les peuples/citoyens ne se reconnaissent pas
dans ces espaces baroques, tissés par des technocrates déconnectés des
réalités de leur civilisation, et des diplomates motivés par
l’affaiblissement du pouvoir arabe (Qui, dans le monde arabe, s’est
jamais senti appartenir à l’EuroMedland ou être un
GrandMoyenOriental ?).
Le résultat de ces échecs est
éloquent : guerres civiles, terrorisme, racisme, insécurité, pauvreté,
risques de guerre... Ce qui ne laisse qu’une alternative : remettre
en cause les hypothèses qui ont présidé aux décisions durant les dernières
décennies, et parler des « tabous » qu’elles supposent.
Mon analyse sur la nécessaire relance de l’unité arabe butait jusqu’à présent sur une question centrale : qui allait la réaliser [5] ?
Mon expérience du monde arabe, développée notamment à travers le
développement de réseaux de terrain sur toute la zone EuroMed dans les
années 1990, me laissait penser, bien entendu, que c’était bien dans les
jeunes générations arabes, les 20/30 ans, que pouvait germer un tel
espoir, mais encore fallait-il en avoir des éléments de preuve.
Ces trois dernières semaines m’ont apporté deux éléments de preuve qui me permettent aujourd’hui d’affirmer qu’il y a bien un processus en cours de renaissance de l’unité arabe, certes encore embryonnaire, mais désormais enclenché.
D’une part, j’ai eu la bonne surprise
d’être spontanément confronté à l’expression de cet espoir lors de ma
récente visite en Israël/Palestine. A trois reprises, des publics
différents de jeunes Arabes (étudiants, jeunes politiciens ou
technocrates) ont directement et spontanément abordé la question de
l’unité arabe, en relation avec leur réflexion sur le Moyen-Orient en
2020. Pour citer une jeune responsable palestinienne ayant
récemment étudié aux Etats-Unis : « Avec mes amis étudiants jordaniens,
saoudiens, marocains, égyptiens... à Cambridge (Massachussets), on
parlait souvent du besoin d’unité arabe, du fait que les Européens nous
offrent un exemple que nous devons suivre pour le monde arabe. »
L’espoir est donc bien là, dans les têtes des futurs cadres arabes.
Parallèlement, j’ai découvert dans la revue de presse GlobalEurope UE-Monde arabe[6] d’Europe 2020 que la première réunion du Parlement arabe venait de se dérouler au Caire[7] le 27 Décembre dernier[8].
Bien entendu, le chemin est encore infiniment long, vers
l’unité arabe ; mais enfin, nous, Européens, savons que ce qui importe,
c’est de commencer, et qu’ensuite, pour persister, il faut que cet
espoir habite aussi les jeunes générations. Hasard du calendrier et de
mes déplacements, j’ai pu constater à cette charnière 2005-2006 que les
deux conditions nécessaires étaient remplies : un processus
institutionnel s’engage et une partie des jeunes générations a l’espoir
qu’il réussisse. Associés à la crainte de l’effacement historique
(Guerre froide), et à l’existence d’un parrain bienveillant (les
Etats-Unis), ce sont bien là les ingrédients qui ont fait le succès du
projet communautaire européen.
Désormais la question est donc simple pour l’Union européenne : veut-elle accompagner ce processus et l’aider à aboutir, ou pas ? Veut-elle être ce « parrain bienveillant » de l’unité arabe ? Et si oui, comment s’y prendre ?
A la première question, ma réponse est claire, nette et définitive : oui, l’Union européenne peut et doit être ce « parrain bienveillant ». Cela doit même devenir la priorité stratégique de ses relations avec l’ensemble de cette région du monde.
Pour réussir, elle va devoir élaborer une doctrine entièrement neuve pour les relations UE-Monde arabe à l’horizon 2020/2025 (une génération)[9]. Ce qui est une chance, car elle pourra ainsi se dégager des politiques nationales traditionnelles en la matière, qui sont incapables d’aborder ce nouvel enjeu, faute d’y avoir jamais pensé et d’avoir la taille pertinente.
Parallèlement, cela implique de remettre en cause fondamentalement l’intégralité du processus EuroMed, et d’abandonner le concept sans objet du « Grand Moyen-Orient ».
Paradoxalement,
une telle évolution vers l’unité arabe, à condition qu’elle se fasse
avec une finalité démocratique (et là les années à venir de
construction européenne vont être cruciales, en tant qu’exemple),
constituera une opportunité unique de règlement du conflit
israëlo-palestinien. Un monde arabe unifié, dans le cadre d’un
processus politique ouvert, ayant notamment bénéficié d’un
accompagnement constructif de l’Union européenne, n’aura aucune crainte
d’Israël et pourra sereinement aborder la question de ses relations
avec lui[10].
[5] Et c’est d’ailleurs la question que m’ont posée rapidement ceux qui, de plus en plus nombreux ces derniers temps, conviennent du potentiel d’un tel projet.
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