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Le bourgeois gentilhomme, de J-P Daguerre, et Molière vole en éclats

Les idées reçues ont la peau dure. En matière de production artistique, il n’y a pourtant rien de plus complexant et réducteur que l’idée reçue, qui tue dans l’œuf tout désir de réflexion et de lecture non schématique d’une œuvre.

Prenez l’exemple du théâtre de Molière. Peut-être parce que Molière est au programme des classes de collège, et qu’il y a, comme ça, des préjugés tenaces, on le présuppose auteur comique. On dit Voltaire raisonneur et Molière drôlatique, alors qu’à bien des égards, c’est tout le contraire. Le bourgeois gentilhomme ? Un idiot sans culture, Harpagon, un vieux grincheux, et ceux qui les entourent ne valent pas mieux sans doute. Et puis Molière est l’auteur des Précieuses ridicules, dès lors tout son œuvre dramatique est vu à travers la fente du "ridicule", ce qui réduit encore les chances de voir un jour un théâtre populaire de grande comédie apparaître et réinvestir nos agoras et nos lieux de culture, comme le souhaitait Molière.

Après tout, la même erreur est commise depuis trente ans, à lire les contemporains derrière les lunettes de la psychiatrie. Les salles se vident, et pourtant ces dramaturgies, qui n’en sont pas, continuent leur travail de sape.

C’est à pareil constat que ce Bourgeois gentilhomme oblige. "Le plus grand chef d’œuvre du répertoire français" (selon le metteur en scène) est présenté au théâtre de la Porte St-Martin par la compagnie ECLA Théâtre (soutenue par la direction de l’Académie de Paris, s’il-vous-plaît). Sous couvert de drôlerie, pas une once d’humanité chez M. Jourdain, tout comme chez les laquais qui n’ont pas d’autre vie que le planton. Le décor, tellement figuratif, se perd dans une grande salle à l’italienne ; et si les musiciens sont là pour se moquer, si les ballets sont fouillis, on comprend alors que le prosateur involontaire reste sourd aux beautés de la musique -et nous aux beautés du théâtre.

Mais ça n’est heureusement pas ce que l’auteur a voulu dire. Ses comédie-ballets n’étaient qu’un prétexte pour écouter les Musiciens du Roy ou voir les danseurs du ballet. L’intérêt pour la pièce passait après. Là, évidemment, même le texte passe inaperçu, et se noie dans une gestuelle forcenée, venue à la rescousse du vide. On passe alors de la caricature à la trahison. De qui se moque-t-on ? De Molière (il est mort), des personnages (est-ce l’acteur ou le personnage) ou du spectateur (il paie) ?

Difficile de faire une critique constructive sans érafler malheureusement les comédiens, qui font bien ce qu’ils peuvent, mais ne croient pas plus à ce qu’ils font que les spectateurs ne croient à ce qu’ils voient, rassurés toutefois d’entendre quelques enfants de moins de six ans rire aux cabrioles désespérées de quelque couturier germaniste (on a les références qu’on mérite) ou professeur de danse hystérique (tous les danseurs le sont, c’est bien connu).

C’est à cette tendance que les spectateurs d’aujourd’hui sont confrontés : l’émergence de compagnies théâtrales hyper-organisées, tenues en main par de bons gestionnaires fiscaux, mais désertées par les artistes, "desartistées" pourrait-on dire. Les notes d’intention qui précèdent le spectacle vous mettent toujours l’eau à la bouche. Dans le cas qui nous occupe, le metteur en scène nous dit : "Les intermèdes et ballets sont chantés, dansés et joués en direct avec de vrais instruments (comprenez une guitare folk et une épinette miniature, une flûte à bec) par de vrais comédiens-danseurs-musiciens-chanteurs dans un style barocco-classico-contemporain". Comprenez dans une esthétique syncrétique de mauvais goût, voire insipide. Les aveux sont donc faits... La compagnie devrait plutôt s’interroger sur ce qu’est un "vrai" danseur, un "vrai" musicien et un "vrai" acteur, dans une mise en scène où tout sonne faux !

La comptabilité l’emporte donc sur l’esprit. Le chiffre sur la lettre. La tournée, les cachets promis suffisent malheureusement à convaincre les professionnels du spectacle, tous intermittents soumis au terrible protocole d’assurance chômage, de prêter leur concours à pareille entreprise de démolition moliéresque.

Monter les grandes comédies en cinq actes est une affaire d’artistes, et l’art est difficile. Ça n’est pas tout de tenir les comptes d’une compagnie, encore faut-il honorer les fonds de la littérature et les faire vivre, au lieu de les condamner, comme le fait l’Education nationale, aux éternels rayonnages des bibliothèques fermées. Or, c’est ce qui arrivera si, pas encore indisposé d’avoir dû lire Molière en classe, le jeune spectateur a encore la curiosité d’aller voir cette représentation ; pour lui, ce sera la référence, ce théâtre façon Draguignan 1942 qui fossoye la culture d’aujourd’hui et tire sur une ambulance...

Mais il est vrai aussi que si la Comédie-Française elle-même n’est plus en veine de montrer l’exemple, ni de transmettre ce qu’elle doit préserver (voir Le Cid monté en 2005), comment l’exiger d’une compagnie indépendante comme l’ECLA Théâtre ?

Le bourgeois gentilhomme par l’ECLA Théâtre, en partenariat avec les Petits classiques Larousse et l’Académie de Paris, jusqu’au 4 mars 2006, au Théâtre de la Porte St Martin (01 42 72 59 47), 2 h sans entracte.


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1 réactions à cet article    


  • gigi64 (---.---.51.85) 11 avril 2006 21:47

    Sans rentrer dans un lyrisme narratif forcené, je ne rejoins pas l’opinion de cet article, j’ai apprécié tout comme la salle ce soir là l’énergie, le mélange des genres, musique, danse et théatre... Un bourgeois sans entracte et qui ne dure pas 3h30, c’est une figure de style pas facile et je trouve la mise en scène originale, maline et fluide ! Je conseille vivement ce spectacle pas conservateur et pas « intellectualisé », ludique, interactif et polygenre ! Merci Molière, merci Daguerre !

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