Pourquoi Léonard de Vinci a-t-il peint un Jean efféminé dans sa célèbre cène ?
Le Da Vinci code a été un grand succès de librairie. Et pourtant, c'est un tissu d'absurdités. Sauf sur un point important que personne ne peut nier : Léonard de Vinci a peint un Jean qui ressemble beaucoup plus à une femme qu'à un homme. Pourquoi ? Parce que, selon Dan Brown, le très savant et énigmatique Léonard avait connaissance de secrets cachés et qu'il a voulu suggérer dans sa fresque, à la barbe des moines du réfectoire où il l'a peinte, que la personne assise à la droite du Christ était Marie-Madeleine, la femme, pêcheresse certes, mais repentante et aimée. Et, enfin, que le couple aurait eu une descendance.
Laissez-moi rire !
J'ai une autre explication tout aussi romantique mais qui a le mérite de s'appuyer sur des documents historiques et sur une argumentation beaucoup plus sérieuse.
Premiers croquis préparatoires.
Rien de génial ! Une ébauche tout ce qu'il y a de plus classique ! Tellement classique que cette répétition en devient ennuyeuse, une sorte de copier-coller des représentations habituelles. Petite innovation d'un intérêt discutable : Jean n'est pas penché sur la poitrine du Seigneur mais couché sur la table. Judas, de dos, s'approche pour recevoir du Christ le pain de sa trahison. De toute évidence, Léonard de Vinci se cherche et hésite. D'après Serge Bramly, il aurait commencé à peindre la Cène vers 1495. Je doute. En 1497, elle n'était toujours pas terminée. La preuve en est la plainte du prieur commanditaire auprès de Ludovic Le More et l'explication que donne Léonard de son retard par la nécessité de réfléchir avant de passer à l'exécution.
En mal d'inspiration, une visite en Bourgogne ?
Et, en effet, c'est ce que m'a signalé un commentateur de mes articles précédents sur le site Agoravox. Un document d'archives concernant la réalisation du canal de Bourgogne nous apprend que Léonard de Vinci serait venu dans notre région à une date qui, malheureusement, n'est pas indiquée. Il aurait eu l'idée, le premier, d'un projet de canal reliant la Saône à la Loire par le couloir de la Dheune. Or, le point de jonction se situe au pied de la ville murée, anciennement comtale, de Mont-Saint-Vincent. Tout porte à croire qu'il y a été hébergé. Tout porte à croire qu'il a visité son église et qu'il y a vu un antique bas-relief sculpté représentant apparemment une cène.
Pour moi, cela ne fait aucun doute ; la scène sculptée est tellement en accord avec ce que Léonard préconise dans ses notes sur l'art et la peinture qu'il n'a pu être qu'ébloui. C'est en voyant ce bas-relief qu'il a compris qu'il lui fallait passer d'une représentation statique à une représentation beaucoup plus dynamique. En outre, ce document, tel qu'il le comprenait et tel qu'on le comprenait à cette époque, lui apportait une justification théologique pour se libérer des représentations classiques habituelles. Il lui suffisait de s'en inspirer et de reproduire la géniale composition.
Voilà pourquoi Léonard de Vinci a peint un Jean efféminé car le Jean qu'il a identifié dans la sculpture l'était... et même plus.
Le problème, c'est que Léonard ne pouvait pas comprendre, à cette époque, que cette sculpture n'était pas la cène de l'Évangile mais la représentation d'un repas mystique de type essénien du III ème siècle après J.C. Il ne pouvait pas comprendre que le personnage qu'il croyait être Jean n'était pas Jean mais quelqu'un d'autre. Car le personnage du bas-relief est bel et bien une femme et Léonard de Vinci ne pouvait pas ne pas s'en rendre compte. Que s'est-il passé dans son esprit ?
Sur un fond de tenture or semée de croix, au centre, le messie essénien des documents de Qumrân met la main droite sur le pain de vie et, de la gauche, il fait le geste d'accueil en offrant à la cité la prospérité par son assiette remplie d'une abondante nourriture. Le document de Qumrân dit à peu près la même chose (Rouleau de la Règle, II, 18 à 22).
A la droite de ce christ, l'empereur gaulois Posthumus entoure de ses bras amicaux sa population de Chalon-sur-Saône et la colonie juive qui s'y trouve, Judas réhabilité avec sa bourse. Derrière ce groupe de trois, Victorinus César approuve l'alliance en faisant le signe de croix tandis que, derrière lui, ses notables font, l'un, le signe de renoncement au péché, l'autre, le signe d'acceptation.
À gauche de ce christ essénien toujours espéré mais pas encore venu, le Pierre de l'Évangile est surpris et doute. N'a-t-il pas hésité trois fois avant de suivre le Nazaréen ? L'incrédule Thomas fait le signe de croix mais doigts repliés. Marie-Madeleine présente son linge de cueillette vide. Ensuite, viennent trois apôtres. Ils sont en plein débat au sujet du codex des évangiles que l'on voit, posé sur la tranche. L'un fait le signe du refus en direction du christ du ciel de la ville de Chalon.
A gauche, des plats riches de nourriture, à droite, quelques poissons.
Explication repensée de la Cène de Léonard de Vinci.
Léonard de Vinci a repris la même composition par groupes de trois mais en la resituant dans une interprétation évangélique. Il a choisi le moment précis où, après l'oblation du pain, Jésus s'apprête à faire celle du vin nouveau : mais voilà qu'à la stupéfaction de l'assemblée, l'eau des verres se change en vin. Véritable idée de génie, Léonard de Vinci, en quelque sorte, a "surimprimé" à sa cène le miracle de la multiplication des pains - chaque disciple a son pain devant lui, y compris Judas - et celui des noces de Cana de l'eau transformée en vin. Le choix de cet instant lui permet de saisir, comme dans une photographie instantanée, les réactions des personnages dans le même dynamisme qu'il a remarqué dans le bas-relief de Mont-Saint-Vincent (je laisse le lecteur imaginer les moines du réfectoire quand, après l'eau, le vin leur était apporté).
En voyant le miracle du verre du Christ, l'incrédule Thomas est stupéfait. Surnommé didyme, le jumeau, il a le même visage que Jésus. Derrière lui, Marie-Madeleine est repentante comme il se doit. En arrière-plan apparaît Aristote, le philosophe préféré de Léonard, tel que Raphaël l'a représenté dans son école d'Athènes, de profil mais la main dirigée vers la terre.
À l'extrême gauche du Christ, Léonard a repris l'idée d'un débat animé. Il s'est représenté au centre débattant avec le saint Augustin que Botticelli a peint en plus jeune et Raphaël en plus âgé (les moines du réfectoire suivaient la règle de saint Augustin). A sa droite, son fils adoptif réhabilité, Salaï, tout jeune homme, participe à la conversation. Il fait un geste dirigé vers le christ de sa foi.
A droite du Christ, Pierre rassure un Jean dont la peine est évidente, lui laissant entendre qu'il ne va pas se laisser faire. Il cache dans sa main droite l'arme tranchante avec laquelle il va couper l'oreille de Malchus. Judas s'identifie par sa bourse et par sa position en retrait.
Figures de référence :
Extraits photos Wikipédia. E.Mourey, 31 janvier 2014
Pour plus de détails, faire une recherche à partir de mots-clés associés, par exemple : Posthumus Agoravox, Bibracte Agoravox etc.
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