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Bobos contre hipsters

Dans leur livre « La République des bobos », les journalistes Laure Watrin et Thomas Legrand tentent d’expliquer et de définir un mouvement particulier : le bobo. Ce bourgeois-bohème ultra-urbain dispose d’un capital culturel très élevé, de revenus suffisant pour vivre en ville, d’un goût prononcé pour les idées progressistes et avant-gardiste, malgré une tendance prononcée pour l’individualisme. Mais quid du hipster ?

Les bobos forment une catégorie bien distincte dans la culture populaire, se reconnaissent à travers leurs manières de consommer, de penser, de raisonner, s’affichent en tant que groupe à part entière et participent à ce sentiment de distinction. Ils revendiquent une certaine idée du mélange, du respect d’autrui, votent la plupart du temps à gauche et forment ce que les sociologues appellent une sous-culture.

 

CONCEPT SOCIOLOGIQUE

Une culture est, par définition, ce qui regroupe les idéaux et les valeurs communes d’une classe. A travers les processus de socialisation – la transmission, dès l’enfance et tout au long de la vie, des normes et des valeurs du groupe d’appartenance – les individus acquièrent un rôle et s’intègrent plus facilement dans la société. Cette dernière, avec les évolutions économiques et sociales, avec la modification du système politique et démocratique, a contribué à la montée de l’individualisme et à une transformation des liens sociaux. La culture commune s’est brisée en une multitude de sous-groupes et de sous-cultures regroupant des individus unis par des idéaux et des concepts bien séparés sont apparus.

La classe bobo n’est pas épargnée et s’est constituée, au fil du temps, comme une catégorie sociale à part, une sous-culture, que les sociologues se sont dépêchés d’étudier et d’assembler. Une récupération politique a même eu lieu et certains partis ont désigné les membres de cette cohorte comme des opposants farouches et dangereux, ils deviennent « cette gauche-bobo », « les bobos de saint-germain des près ».

Pourtant peut-on vraiment considérer le mouvement bobo comme un véritable phénomène social ? Par nature, les individus doivent avoir conscience de leur appartenance pour vraiment constituer une classe, un groupe particulier, avoir ce que Karl Marx appelle « la conscience de classe ». Une conscience de soi et pour soi qui forme le devenir et l’action du groupe, une solidarité commune tournée vers les mêmes principes et les mêmes convictions. C’est l’action, à la fois intellectuelle et directe, qui devrait alors conduire le mouvement et façonner la catégorie sociologique des « bobos ».

 

PIERRE BOURDIEU ET LES BOBOS

Or, est-on vraiment bobo lorsqu’on habite en ville, lorsqu’on a des convictions écologiques, humanistes et progressistes ? Lorsqu’on dispose d’un capital culturel plus élevé que la moyenne ? Le sociologue Français Pierre Bourdieu montre, dans « La distinction » (1979), que c’est l’action consciente d’un groupe, dans la manière qu’il a de constituer les marques d’appartenance et sa défense contre l’extérieur, qui forme une véritable classe sociale. Bourdieu reprenait ainsi la hiérarchie faite par Marx avec la classe bourgeoise et la classe prolétaire. La bourgeoisie réagissait consciemment à la moyennisation de la société pour poursuivre sa stratégie de distinction en perpétuant des rites et des habitudes, des codes de vie et des pratiques culturelles différentes et uniques. A l’inverse, la classe prolétaire, à travers l’amélioration des niveaux de vie, s’installait dans une grande classe moyenne, faites d’habitus plus ou moins clivés mais tous semblables entres ses membres.

Dans cette idée, le concept sociologique du bobo ne peut pas être posé. Cette notion se définit strictement par des pratiques culturelles suivies et une idéologie politico-sociale précise mais la conscience de classe disparait au profit de l’individualisme. Les bobos n’ont pas conscience d’appartenir à un groupe et, au contraire, s’y opposent avec force. Cela vient contredire leur idéal de mélange et de brassage culturel. Rien n’est fait dans la distinction du bobo, ses pratiques culturels apparaissent naturellement à partir de son origine sociale, de son groupe d’appartenance, de sa socialisation, de ses fréquentations. Aucune action différenciatrice dans l’âme du bobo. Il n’y a ni conscience de classe ni capital symbolique au sens de Bourdieu. La société se divise seulement entre ceux qui disposent d’un haut capital économique, les bourgeois, et ceux qui ont un faible capital économique, la classe moyenne et populaire. Les sous-groupes aux pratiques culturels différentes ne sont que l’affirmation de l’individu dans la société moderne. Dans cette logique, les bobos viennent de tous les milieux.

 

L’ARRIVÉE DES HIPSTERS

Si l’on veut parler d’un phénomène distinctif en plein essor, d’une sous-culture affichant véritablement sa conscience de classe, son affirmation d’être soi et ses dotations supérieurs en capitaux économiques, culturels et sociaux, il convient de parler des hipsters. Ce mouvement apparu au cours des années 2000, à l’origine en Amérique du Nord, se démarque depuis le début par un comportement volontairement négatif. Tout comme les bobos, ce sont le plus souvent, des jeunes urbains à la pointe de la mode, dotés d’un capital culturel élevé mais aussi de capital économique et social très élevés, sauf qu’ils refusent catégoriquement l’attachement au concept d’hipster.

On peut donc facilement associer l’analyse de Bourdieu ici : comme les « hipsters » refusent d’être catalogués comme tels, ils font tout pour se distinguer des catégories « à la mode », ils créent naturellement une conscience de classe. Ils ne doivent pas être à la mode, ils doivent créer la mode, ils ne doivent pas montrer l’appartenance à un groupe, ils doivent s’en détacher totalement. Les hipsters, avec cette volonté quasi-schizophrénique de n’appartenir à aucune vogue, par la facilité matérielle à se mouvoir culturellement dans la ville, apparaissent comme des néo-bourgeois.

Il y a une volonté de distinction, un combat permanent, quotidien pour la différence, pour la nouveauté, pour ce qui sort du lot, pour ce que la masse silencieuse n’a pas encore appréhendé. Et dès lors que leurs goûts, leurs pratiques et leurs choix culturels viennent à toucher le reste de la population, les hipsters s’en séparent dans l’instant. Ce qui est la mode est mainstream, donc pas suffisamment classe pour ce groupe élitiste.

Il convient ainsi de marquer la différence entre les bobos et les hipsters. Ces deux sous-groupes ne se valent pas. Le premier ne regroupe que des individus liés par une idéologie socio-politique similaire et par des pratiques culturelles valorisées et valorisantes. Quant au second, c’est une sous-classe de la bourgeoisie qui cherche en permanence la distinction et va faire l’effort d’évoluer constamment pour bâtir des barrières entre les individus.

Pierre Rondeau @Lasciencedufoot


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8 réactions à cet article    


  • Claudius Claudius 10 février 2014 12:58

    « .. dispose d’un capital intellectuel plus élevé .. »


    Vous êtes osé ! Pour des gusses qui vont acheter leur opinion au prisunic et au spectron

    Vos deux groupes pèsent pas lourd face au rapport Meadows

    • Rincevent Rincevent 10 février 2014 14:13

      Comment peut-on être « farouche et dangereux » en étant de St - Germain - des - Prés. C’est du second degré ?


      • cyril 10 février 2014 19:55

        « dispose d’un capital culturel très élevé » 


        Certes mais cela ne les empêches pas d’etre extrêmement manipulable : glissez les mots « écologie—solidarité -antiracisme » dans votre programme et vous êtes sur de capter leur vote (quel que soit la réalité du programme que vous appliquez).

        • bnosec bnosec 11 février 2014 07:50

          +1

          Vous avez oublié « culture ».


        • Aldous Aldous 11 février 2014 09:43

          A quoi reconnait on au Bobo ?


          Le Bobo dit à sa fille : « tu sera un bonobo, mon fils ! » smiley

          • Ecureuil Bleu Ecureuil Bleu 11 février 2014 09:58

            Hipster... connaissais pas. J’ai fais le test quand même, pour m’auto dépister, c’est bon, je suis juste un bûcheron qui a mauvais goût. « Lol »

            Il faudrait imaginer un tableau de toutes les étiquettes, histoire de s’y retrouver dans ce supermarché sociétal.

            Le bobobio : souche des bobos, garantie sans phyto, sans Ogm, pousse de gauche.

            Le babos : descendant du babacool, garantie chanvre bio, abstentionniste, pousse anarchiste.

            Le plouk : descendant du bougnat, garantie lait de vache, pousse dans tous les sens pourvu que ça germe.

            le Hipster : hybride hamster écoutant du hip hop, portant des chemises canadiennes, pousse sur le béton. Incompatible avec le bobo, le babos, le plouk, l’anar...


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