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Renzusconi franchit le Rubicon

Révolution de palais en Italie : Matteo Renzi, à l’ambition dévorante, est en passe de devenir le nouvel homme fort du pays, après avoir sèchement "renversé" Enrico Letta : « Il faut ouvrir une nouvelle page, on ne raisonne pas en terme de passage de témoin. Il s’agit de changer d’horizon et de rythme, (…) de sortir des marécages. ».

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J’avais évoqué il y a deux jours une conférence d’Enrico Letta à Paris et j’avais expliqué que c’était un exploit de se trouver à la tête du gouvernement italien depuis presque un an, sauf nouvelle crise politique. Mais c’était sans compter avec l’envie pressante de Matteo Renzi, que j’avais cité comme parmi les nouveaux jeunes leaders de l’Europe.


Du duo au duel Letta/Renzi

Pourtant, rien ne laissait prévoir aussi rapidement cette désolante révolution de palais sauf cette ambition démesurée. Matteo Renzi et Enrico Letta, du même parti, de centre gauche, le Parti démocrate, et tous les deux originaires de l’ancienne démocratie chrétienne italienne, avaient pourtant conclu un pacte tacite.

Matteo Renzi, qui avait sans arrêt répété, encore récemment, qu’il n’avait aucune intention de vouloir diriger le gouvernement, était chargé de faire la réforme des institutions, essentiellement remanier la loi électorale (dont la discussion devait commencer le 18 février 2014 et qui vient d’être reportée à la semaine suivante), tandis qu’Enrico Letta restait Président du Conseil jusqu’en fin 2014 ou début 2015, date à laquelle, avec la nouvelle loi électorale, de nouvelles élections législatives auraient lieu, et Matteo Renzi aurait été alors le candidat du Parti démocrate pour diriger le nouveau gouvernement en cas de victoire.

Mais finalement, Matteo Renzi a pressé le pas : la persistance de la crise économique en Italie (même si les données sur le quatrième trimestre de 2013, en principe annoncées ce 14 février 2014, devraient indiquer une sortie de la récession), un fort taux de chômage (12%) et une défiance tant du patronat que des syndicats ont changé la donne. L’un des soutiens les plus engagés de Matteo Renzi, c’est justement l’ancien Président du Conseil Romano Prodi, économiste et également ancien Président de la Commission Européenne, qui a lâché : « On parle de reprise depuis juin, et depuis juin, j’écris régulièrement qu’il n’y a pas de reprise. Quand on a perdu 8% de PIB, on ne peut se réjouir d’un rebond de 0,6%. ». Pendant plusieurs semaines, l’opposition entre Enrico Letta et Matteo Renzi a miné le débat politique.

Rappelons qui est Matteo Renzi (39 ans), la nouvelle coqueluche des médias.


Une ambition dévorante

Ancien chef scout catholique, marathonien et cycliste, diplômé en droit et professionnel de la publicité, il s’était engagé en politique en 1996 pour soutenir activement la campagne de Romano Prodi au sein d’un parti démocrate-chrétien, le PPI (Parti populaire italien). Dès le 13 juin 2004, à 29 ans, il se fit élire président de la province de Florence à la tête d’une coalition de centre gauche, ce qui l’amena à se faire élire assez confortablement maire de Florence le 21 juin 2009 (à 34 ans).

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C’est à partir de ce moment qu’il est devenu une personnalité nationale populaire (il a autour de 54% d’opinions favorables actuellement) et est devenu de plus en plus médiatique, au point d’être comparé à Silvio Berlusconi en raison de ses dents longues, de ses slogans simplificateurs, de son aisance en communication, de sa capacité à reprendre à son compte les arguments de ses contradicteurs, d’où son surnom de "Renzusconi", mais une députée de gauche citée par "Le Monde" du 13 février 2014 notait une différence : « Il y a une différence entre Renzi et Berlusconi. Berlusconi est gentil ! ».

Les 25 novembre et 2 décembre 2012, il se présenta contre Pier Luigi Bersani à la primaire pour diriger la coalition de centre gauche aux élections législatives des 24 et 25 février 2013. Il a réussi à obtenir 35,5% au premier tour et 39,1% au second tour, ce qui fut un bon score face au secrétaire national du Parti démocrate en titre. Il a soutenu la candidature de Romano Prodi au troisième tour de l’élection présidentielle tumultueuse d’avril 2013, après s’être opposé à l’élection de Franco Marini, le candidat soutenu par son parti, ce qui a provoqué la démission de Pier Luigui Bersani de la direction du Parti démocrate, qui avait déjà échoué à former le nouveau gouvernement en mars 2013.

Le 8 décembre 2013, ce fut très confortablement (avec plus de 67%) que Matteo Renzi a réussi à conquérir la tête du Parti démocrate après l’éviction de Pier Luigui Bersani. Depuis cette date, Matteo Renzi, dont le slogan très démagogique est : « Envoyer les vieux politiciens à la casse [rottamare] ! », n’a cessé de critiquer publiquement Enrico Letta.


Le limogeage du gouvernement par le parti

Pour relancer son action gouvernementale et enrayer ces critiques, Enrico Letta avait alors présenté un programme d’action le mercredi 12 février 2014 : « Je suis un homme des institutions. (…) Rompre mon action au service du pays ne fait pas partie de mon ADN. ». En réaction, Matteo Renzi avait réuni d’urgence la direction du Parti démocrate dès le lendemain, jeudi 13 février 2014, réunion à laquelle Enrico Letta avait refusé de participer, et avait réussi dans la foulée à faire adopter une motion de défiance à l’égard du gouvernement (avec 136 voix contre 16).

Réaction immédiate d’Enrico Letta : « À la suite des décisions prises ce jour par la direction nationale du Parti démocrate, j’ai informé le Président de ma volonté de me rendre demain au Quirinal pour présenter ma démission de Président du Conseil. ».

Alors qu’il avait réussi l’exploit de surmonter toutes les crises provoquées par ses partenaires très agités du centre droit (de Silvio Berlusconi), Enrico Letta a été trahi dans ses propres rangs.

Au départ, selon certains, Matteo Renzi aurait voulu la méthode douce, une démission en douceur d’Enrico Letta pour lui laisser la tête du gouvernement et la nomination d’Enrico Letta au Ministère de l’Économie, mais ce dernier aurait refusé cette "combine".

C’est une initiative politique complètement incohérente et plutôt dangereuse politiquement qui ne peut se comprendre que par l’ambition personnelle de son auteur. Enrico Letta devrait donc donner la démission de son gouvernement ce vendredi 14 février 2014 au vieux Président de la République Giorgio Napolitano (88 ans) à l’issue du dernier conseil des ministres.


Et la suite ?

Matteo Renzi devrait être, sauf nouveau coup de théâtre (!), le prochain Président du Conseil italien pour « ouvrir une phase nouvelle avec un exécutif nouveau soutenu par la majorité actuelle » et pourrait demander la confiance de son nouveau gouvernement dès le mardi 18 février 2014.



Soutenu en particulier par Ignazio Marino (Parti démocrate), le nouveau maire de Rome (depuis le 12 juin 2013), Matteo Renzi souhaiterait renoncer à une dissolution et parvenir à rester à la tête du prochain gouvernement jusqu’à la fin de la législature, soit jusqu’au printemps 2018, ce qui est très ambitieux et relève d’un pari quasi-impossible.

Il n’est même pas sûr qu’il obtienne la semaine prochaine l’appui décisifs des berlusconistes dissidents de l’actuel Ministre de l’Intérieur, Angelino Alfano (43 ans), qui avait refusé la politique du pire de Silvio Berlusconi en faisant sécession et en créant le Nuovo Centrodestra, dont les 57 parlementaires restent indispensables pour préserver la confiance parlementaire. Angelino Alfano a précisé ses conditions pour un soutien : « uniquement si c’est un gouvernement de service [au pays], pas si c’était un gouvernement politique avec des connotations de centre gauche ».


Projet de relance radicale ?

Mais au fait, que reproche Matteo Renzi à Enrico Letta ?

De ne pas faire assez rapidement des réformes. Attention, il ne faut pas se méprendre sur les termes. Sans rien détailler, il a affirmé vouloir « accélérer le rythme des réformes et changer d’horizon » et a parlé d’un « projet de relance radicale, de changement profond », mais cela signifie avant tout réduire la fiscalité des entreprises, transformer le code du travail pour relancer le marché du travail, simplifier la bureaucratie. Admirateur de Tony Blair et de Barack Obama, il n’a en effet rien d’un "gauchiste" !

Giorgio Napolitano a déjà insisté pour refuser tout retour aux urnes dans l’immédiat, qui créerait la confusion et l’inquiétude sur la situation économique et politique en Italie : « Il ne faudrait pas que la confiance conquise avec difficulté se retrouve affaiblie par de nouvelles craintes sur la détermination de l’Italie, et de tous les pays de l’euro, sur la voie des réformes. ».

Les politologues sont à peu près conscients que Matteo Renzi ne ferait rien de plus qu’Enrico Letta. Il n’a rien dit sur ses propositions, ne changerait pas de majorité au Parlement. Il n’a jamais expliqué comment il trouverait de l’argent pour relancer l’économie italienne et réduire les impôts sur les entreprises.


Une révolution intérieure en dehors de tout contrôle populaire

Le politologue Giuseppe Bettoni a ainsi commenté : « C’est une sorte de cuisine interne que l’Italie connaît bien malheureusement. Je ne crois pas que cette fracture soit prête à guérir, c’est ça, l’élément le plus inquiétant. » et de poursuivre sans complaisance : « [Matteo Renzi] a quand même utilisé une carte très dangereuse. Il avait garanti qu’il n’était absolument pas intéressé par ce type de remaniement ministériel. Avant-hier, il assurait qu’il n’aurait pas voulu monter un nouveau gouvernement. Pourtant, aujourd’hui, il fait l’inverse et ça, même au sein du Pari démocrate, on lui fera remarquer. ».

Les régimes des partis restent ce qu’ils sont, plus soucieux de l’intérêt particulier que de l’intérêt général. La classe politique italienne montre encore une fois sa permanente incapacité à renoncer aux manœuvres politiciennes qui ont enlisé l’Italie depuis plus d’un demi-siècle.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (14 février 2014)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Enrico Letta, un nouveau visage en Europe.

Habemus Lettam (29 avril 2013).
Discours d’Enrico Letta du 26 octobre 2013 à Paris.
Martin Schulz.
Giorgio Napolitano.
Le compromis historique.
Aldo Moro.
Erasmus.
L’Europe, c’est la paix.
L’Europe des Vingt-huit.

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14 réactions à cet article    


  • claude-michel claude-michel 14 février 2014 17:26

    Un enfumeur Italien qui ne va durer le temps d’un été.. !


    • César Castique César Castique 14 février 2014 18:41

      « Un enfumeur Italien qui ne va durer le temps d’un été.. ! »


      D’abord, on est en hiver, et rien ne démontre que Renzi tiendra jusqu’au 23 septembre 2014, à 2h29’04’’. Et ensuite de cela, on se demande ce qu’il va faire de ce peuple italien dont le Duce lui-même reconnaissait l’ingouvernabilité, dès 1932 :

      Emil Ludwig, écrivain et journaliste allemand : - Il doit être bien difficile de gouverner des gens aussi individualistes et anarchiques que les Italiens

      Benito Mussolini, dictateur : - Difficile ? Mais pas du tout ! C’est simplement inutile.

      L’avantage, c’est que les Italiens, mieux encore que les Belges, peuvent se passer de gouvernement sans dommage pendant des mois et des mois. Forcément... smiley

      Blague à part, comme la France, l’Italie est soumise à Bruxelles, tandis que 40 % des moins de 25 ans sont sans emploi et qu’une famille sur quatre peine à boucler le mois, on se demande vraiment comment il va s’en sortir.

    • lucidus lucidus 15 février 2014 07:45

      César Castique

      Tout à fait d’accord. 
      Tout est décidé par la dictature, à Bruxelles, par des petits laquais des Etats Unis. Comme le disent mes neveux italiens universitaires et tous âgés de moins de 30 ans, inutile d’aller voter, ça ne sert qu’à perdre du temps. Voilà où nous en sommes... Tout était prévu dès 1945. 
      Alors Letta, Renzi, Berlusconi... Sarkozy, Hollande... Obama... Cameron... Bof... Ce ne sont que des marionnettes au service d’un même dessein : L’exploitation totale et l’asservissement final du virus humain et de la planète.

    • César Castique César Castique 14 février 2014 18:10

      « Pourtant, rien ne laissait prévoir aussi rapidement cette désolante révolution de palais... »


      Puis-je vous rappeler mon intervention du 12 février, à 18h43 :

      C’est le moment d’en parler (de Letta), il va peut-être sauter avant la fin de la semaine  ?

      ...alors n’écrivez pas que rien ne laissait prévoir.

      • jullien 14 février 2014 21:36

        Résumé de la situation : Silvio Berlusconi était une anomalie ; maintenant qu’il n’est plus là, l’Italie revient à la normale.


        • César Castique César Castique 14 février 2014 23:13

          « ...Silvio Berlusconi était une anomalie ; maintenant qu’il n’est plus là... »

          Demain, le Cavaliere, en sa qualité de leader du deuxième parti italien, Forza Italia, sera reçu par le président de la République dans le cadre de la formation de la majorité qui soutiendra Renzi... Jusqu’à ce qu’elle ne soutienne plus, cela va sans dire.

          En outre, comme il reste l’un des hommes politique préférés des Italiens, on parle de lui comme tête de liste de Forza Italia, pour les élections européennes du 25 mai prochain. Un songage publié aujourd’hui même donne 27,6 des voix au PD de Renzi, 25,3 % au mouvement 5 Stelle de Grillo et 24,3 % à Forza Italia, de Berlusconi. 

          Je crois qu’il vous faudrait remanier votre résumé...

        • passtavie passtavie 15 février 2014 00:10

          Un guignol de plus


          • Ecodemos Ecodemos 15 février 2014 15:42

            Le plus intéressant est dans l’avant dernier paragraphe, dans ce que les médias ne disent pas. Que propose-t-il politiquement ?

            Dommage que l’auteur n’en ait pas plus parlé...

            En tout cas, en 3 lignes, j’ai compris que c’était une raclure faucialiste ultralibérale...


            • lsga lsga 16 février 2014 15:57

              vivement le retour de l’armée révolutionnaire italienne, Histoire de rappeler à tous ces bozos cinq étoiles gentils comme des boyscoot ce que Révolution veut dire. 


              • ciaobella 27 février 2014 20:32

                C’est un Rastignac à la sauce italienne.


                • agent ananas agent ananas 27 février 2014 21:24

                  Tiens c’est nouveau, un président qui n’est pas élu par le peuple ?...
                  Un tendance bientôt en France ?


                  • Shawford43 27 février 2014 21:26

                    En ce moment, tu votes pour que je crève comme un rat, mec. 


                  • Shawford43 27 février 2014 21:29

                    Right in your shoes, buddy. Thank you


                  • baldis30 3 mars 2014 09:54

                    ce qui est le plus amusant c’est la nomination de trois ministres qui en matière de casseroles tirent derrière eux des batteries de cuisine « trois étoiles », comme la censure, les dépenses inconsidérées, .....

                    Amusant mais triste ! un tel personnage, aux ambitions démesurées fait pendant à l’autre « cinque stelle » tout aussi arriviste et nettement moins marrant que Coluche .

                    Seul point positif qu’on peut lire sur le site de La Repubblica, c’est l’équilibre entre Kiev et Moscou qui semble être privilégié à Rome. Mais attention, à force de poser son cul entre deux chaises on court le risque de se retrouver par terre.

                    l’Italie est l’un des pays fondateurs de l’Europe bien dépendant du gaz russe..., mais aussi membre très participatif de l’OTAN par les bases U.S.

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