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Accueil du site > Tribune Libre > L’agonie des anges

L’agonie des anges

 Dix ans aujourd’hui. De sa bouche édentée, dans un effort concentré, elle expulse l’air de ses petits poumons épuisés et, dans un demi-sourire fait vaciller la flamme de ses dernières bougies d’anniversaire. La troupe familiale rassemblée autour du lit de draps blancs applaudit des deux mains l’exploit de Julie.

 La mère, les yeux humides, coupe le gâteau. Le cœur n’y est plus vraiment et l’espoir fond comme neige au soleil. L’oncologue est formel, la tumeur sous le petit crane chauve s’étend de jour en jour et répand son mortel poison. Nous sommes en avril et le petit ange ne verra pas le soleil de juillet. Pronostique à la con, insulte à la vie, verdict contre nature.

 Julie a de la peine, pas parce qu’elle va mourir, elle le sait et pour elle ce n’est que partir au paradis comme lui a dit son papa. D’ailleurs papa, depuis l’annonce de la terrible nouvelle, a soudainement vieilli. Les semaines passées ont triché avec le temps et se sont transformées en années pour venir s’écrouler sur ses épaules voutées. Son regard bleu d’acier a viré au gris pâle des pires jours d’automne, les poches sous ses yeux prouvent qu’il pleure beaucoup et que les nuits sont courtes.

 Maman est plus forte, du moins en apparence, car elle persiste à croire au miracle. Elle en arrive même à implorer un Dieu qu’elle a toujours nié. Elle la scientifique pour qui même voir n’est pas suffisant car il faut prouver pour croire. Elle qui, comme toute les mères, donnerait sa vie et plus encore pour faire cesser le cauchemar de l’agonie de son enfant. Seulement voilà, la vie est ironique et cruelle car dés la naissance elle vous condamne à mort et de plus, j’ajouterai qu’elle est sourde aux prières et aux jérémiades de ses locataires.

 Paul, son petit frère de cinq ans, ne maitrise pas toute la situation et voudrait que Julie l’emmène dans ce paradis imaginaire où, d’après des sources sûres, il y aurait plein de confiserie, de jouet et surtout pas d’école.

   Il n’y a que des enfants comme elle dans ce service, à croire que les grands y sont interdits. Certains jours, des clowns viennent les faire rire et jouer avec eux et, pendant ce temps, ils oublient leur mal et la tristesse de ne pas être chez eux. A cet étage, j’ai vu l’immensité de l’amour dans des larmes d’infirmières, pourtant expertes dans la dissimulation de leur chagrin. Quand elle pouvait encore tenir sur ses jambes, Julie les suivait en douce et les observait.

 Voilà c’est comme ca. C’est une situation plutôt inattendue, un écueil qui ne faisait pas partie des projets d’avenir de la fillette et qui, si j’en crois l’homme en blouse blanche, est actuellement plus que précaire. Un gros caillou dans sa chaussure qui fait qu’elle arrête ici sa ballade terrestre. Papa et maman vont devoir lâcher sa main, la laisser partir. Existe-il plus cruelle expérience pour des parents ? Observateur externe à leurs souffrances, je ne le pense pas.

 Julie ne deviendra pas une adolescente rebelle, elle ne sera jamais une femme, aucun homme ne l’a serrera dans ses bras en lui disant : « Je t’aime » et aucun enfant ne l’appellera un jour maman. J’ai comme l’impression qu’à peine arrivée on lui demande déjà de partir, que la vie l’a grugé sur le temps et que la maladie a profité d’un contrat mal ficelé pour venir squatter son petit corps en pleine croissance.

 Devant l’agonie d’un enfant on a envie de crier à l’injustice, d’accuser le Dieu qu’on c’est fabriqué, hurler sa colère devant l’impuissance de la médecine, haïr la société qui dépense mille fois plus d’argent à tuer qu’à guérir et puis, et puis se terrer dans un coin sombre pour pleurer et se laisser mourir jusqu’à ce que la vie reprenne ses droits et que le spectacle, même triste, même laid, continue. 

 Quelle que soit sa race, son pays ou sa couleur, à chaque fois qu’un enfant meurt, ce sont des pages du livre de l’avenir que se déchirent. La mère africaine devant le petit corps privé de nourriture de son fils qui agonise ou le père irakien perdant sa fille sous les bombes d’une guerre imbécile ont la même équivalence en terme de douleur que ces parents là, dans cet hôpital de France.

   Tous les enfants qui quittent notre terre ne peuvent que partir pour un monde meilleur, j’en suis persuadé ou alors, plus rien n’a de sens, pas même cette existence. C’est aux parents et aux proches de porter cette lourde croix que le départ a créé jusqu’à la fin de leurs jours. Le vide abyssal qu’ils nous laissent détruit une part de notre humanité qu’il faut malgré tout essayer de rebâtir sur les ruines éternellement fumantes de leurs absences et garder, dans un coin de notre mémoire, le sourire qu’ils sont en train de faire au dessus de nos têtes.

 Je regarde cette stèle noyée sous les fleurs blanches. L’écart entre les deux dates gravées sur la tombe me donne le vertige par sa trop courte durée et ses années volées. Le père, à quelques mètres de ce petit jardin funéraire, vacille en équilibre précaire. Sa foi est morte noyée sous un inconsolable chagrin, il croyait en un Dieu mais ce n’était pas réciproque.

 Aujourd’hui, dans ce cimetière, j’entends le silence des tombes, je suis triste comme les pierres et pleure avec la pluie…

 


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23 réactions à cet article    


  • claude-michel claude-michel 13 mai 2014 12:36

    Bel article sur ces gamins qui meurent dans cet Hôpital (je connais bien le service)...Un nombre impressionnant de gens viennent les soutenir tous les jours..J’aimerais donné ma vie pour sauver un gamin... !


    • marmor 13 mai 2014 12:46

      ... la rage au coeur et les larmes aux yeux... insupportable réalité...


      • Ronfladonf Ronfladonf 13 mai 2014 14:35

        Très bien dit. Un beau texte, tellement triste.


        • Mowgli 13 mai 2014 20:59

          En France on n’a jamais eu de pétrole et on n’a plus d’idées. Mais on a des beaux textes.


        • Alois Frankenberger Alois Frankenberger 13 mai 2014 14:54

          Valar Morgulis : tous les hommes doivent mourir.


          C’est à peu près la seule chose ont on est certain : on va tous y passer.

          Les uns plus vite que les autres.

          Il est même étonnant que certains en soient encore à s’indigner que des enfants meurent tous les jours alors qu’il est évident que les maladies ne font pas de différences entre les jeunes et les vieux.

          • marmor 13 mai 2014 15:28

            Frankenberg, il ne vous a pas échappé qu’il s’agit d’une gamine innocente de 10 ans qui n’aura connu de la vie que la souffrance, ce qui ne semble pas être votre cas. Comme d’habitude, il y en a qui se croient plus égaux que d’autres ! Bien sûr que nous devons tous mourir, mais beaucoup méritent la mort plus que cette enfant, qui pourrait être ma fille, qui elle a 6 ans aujourd’hui....


            • Pierre Pierre 13 mai 2014 18:38

              C’est très émouvant. C’est difficile de rester insensible devant cette injustice devant laquelle on est totalement impuissant.
              Merci de nous rappeler cette réalité et de nous avoir fait partager cet article avec des mots tellement justes.


              • cklat cklat 13 mai 2014 18:43

                Merci... Gabriel.


                • fmAA52 13 mai 2014 21:08

                  trés bel article
                  juste et émouvant !
                  merci


                  • Yohan Yohan 13 mai 2014 22:37

                    Tellement injuste


                    • doctorix, complotiste doctorix 14 mai 2014 00:03

                      Je sais, ce n’est pas l’endroit pour dire que mourir du cancer n’est pas une fatalité.

                      Mais si ça peut aider certains, après tout...
                      Plus d’un sera surpris. Et découvrira que ce monde n’est pas joli, joli.
                      Si c’était vrai, ça se saurait ?
                      Pas si sûr...

                      • Gabriel Gabriel 14 mai 2014 08:22

                        Merci pour le lien


                      • Patrick Samba Patrick Samba 14 mai 2014 12:33

                        Bonjour,

                        il est difficile, voire déplacé, de débattre dans les commentaires d’un tel témoignage qui réclame réserve et pudeur.

                        Néanmoins puisque vous êtes médecin doctorix, médecin, anticonformiste et dénonciateur, et que pour cela vous vous référez, notamment, à ce livre de Griffin sur la vitamine B17, dans l’introduction duquel on peut lire ceci : "Il est de plus en plus évident que notre alimentation moderne a un rôle néfaste sur l’organisme, sans même parler des pesticides, insecticides et OGM que nous ingérons, mais simplement en ne considérant que la qualité nutritive de ce que nous consommons.", je ne peux pas ne pas souligner un manque dramatique.
                        Et peut-être justement parce qu’il s’agit ici d’un témoignage qui a le cancer pour arrière-plan.

                        Comment au 21ème siècle peut-on évoquer les causes du cancer sans même citer la cause, principale probablement, que sont les radionucléides ? Et notamment lorsqu’on est médecin ? N’est-ce pas curieux ? Quand on connait le nombre d’essais nucléaires réalisés dans le monde depuis 1945 (Tous les essais nucléaires dans le monde de 1945 à 1998 - Vidéo Dailymotion) et le nombre de centrales nucléaires, dont deux au moins crachent leurs radionucléides en grande quantité ?
                        Comment peut-on écarter les radionucléides des causes principales des cancers ?


                      • Patrick Samba Patrick Samba 14 mai 2014 12:43

                        du livre de Griffin sur la vitamine B17 (« Un monde sans cancer, l’histoire de la vitamine B17 »), dans la présentation duquel...


                      • doctorix, complotiste doctorix 14 mai 2014 17:35

                        Eh....

                        Je ne peux pas parler de tout !
                        Bien sûr que je m’insurge aussi contre l’usage immodéré des rayonnements, et même en particulier dans leur usage diagnostique et thérapeutique.
                        Le dépistage du cancer du sein en particulier me donne des boutons.
                        Entre ceux qu’on diagnostique bien inutilement et ceux qu’on provoque par les mammographies répétées, il y a beaucoup à dire.
                        Aucun rayonnement n’est sans danger, aucun.
                        Quand aux bénéfices : voyons ce qu’en dit la revue Prescrire, une des seules revues médicales indépendantes et non financée par des intérêts privés :

                        "En termes de mortalité totale, un bénéfice du dépistage mammographique dans la population générale n’est pas démontré. Si un effet (positif ou négatif) sur la mortalité totale existe, il est de faible ampleur. Si on tient compte des résultats des essais de bonne et de médiocre qualité, on peut estimer que l’effet va d’une diminution relative de la mortalité de 1 % à une augmentation relative de 3 %, au bout de 13 ans (pour une mortalité totale absolue de l’ordre d’environ 3 500 pour 100 000 femmes âgées de 50 ans à 59 ans suivies 13 ans, dans un essai canadien ; dont environ 450 décès dus à un cancer du sein, pour environ 2 500 cancers survenus).

                        De moins 1% à plus 3%, vous avez bien lu ! C’est-à-dire une moyenne de plus 1% de mortalité chez les dépistés. Des centaines de millions dépensés en pure perte, ou pire, en aggravant les dégâts !

                      • Patrick Samba Patrick Samba 14 mai 2014 19:14

                        Bien sûr on ne peut pas parler de tout. Mais je ne parlais pas de l’utilisation médicale des rayonnements ionisants, je parlais de la dispersion des radionucléides sur la surface de la terre du fait de l’industrie nucléaire, et de ses répercussions sur la santé.

                        Va-t-on accepter encore longtemps que la concentration globale, et surtout localisée, de ces radionucléides augmente, alors qu’elle a forcément une incidence sur le nombre des cancers ?


                      • mortelune mortelune 14 mai 2014 04:46

                        La peur de la mort ma rappelle la peur que pouvaient ressentir ceux qui pensaient que la terre était plate et qu’à l’horizon il y avait un précipice. 

                        Julie ne meurt que pour ceux qui l’aiment dans ce monde, c’est sa vie terrestre qui meurt. Son corps physique va disparaitre de leurs yeux comme tous les corps qui partent en voyage pour quelques semaines, mois ou années. Cela n’aide pas la souffrance de ceux qui restent mais permet peut-être de la relativiser. Préparer sereinement son voyage avec elle et l’accompagner me parait essentiel pour qu’elle puisse partir sans se sentir coupable d’abandon.
                        Aimer une personne c’est l’aimer elle, en s’oubliant le plus possible ; aimer aussi ce qu’elle découvre, aimer ceux qu’elle rencontre. 
                        Le plus difficile étant d’accepter l’intolérable c’est à dire la souffrance du corps. A mes yeux c’est terrible. 
                        Le voyage nous apporte le bonheur, pas la destination.


                        • Gabriel Gabriel 14 mai 2014 08:27

                          mortelune, il ne s’agit pas ici de la peur de la mort mais de la terrible absence qu’elle va générer et de l’injustice ressentie à cause du très jeune age de l’enfant. Il est naturel que les enfants enterrent leurs parents, le contraire à nos yeux et notre coeur ne l’est pas. Merci de votre commentaire. 


                        • Gabriel Gabriel 14 mai 2014 08:29

                          Merci à tous les lecteurs et participants du temps qu’ils ont accordé à cet article.


                          • Grandloup74 14 mai 2014 10:11

                             Triste et injuste.
                             La maladie survient terrible, aveugle, cruelle. On ne peut rien faire ou plutot, il aurait fallu reagir longtemps a l’avance en supprimant certains poisons de notre environnement, mais les hommes et leur rentabilite l’empechent...
                             Et que dire des guerres, ou des hommes qui pretendent apporter « liberte » et « democratie », bombardent civils, femmes et enfants compris, dont certains meurent brules vifs... Oublient ils que la premiere liberte est celle de pouvoir continuer a vivre ???


                            • Baarek Baarek 14 mai 2014 11:04

                              Pauvres enfants qui naissent avec de tels maladies... Mince, vous m’avez touché avec ce texte. Avez-vous eu ce genre de problème Gabriel ? Vous semblez si réel dans vos mots... Si oui sachez que je suis désolé.

                              Cordialement.


                              • Gabriel Gabriel 14 mai 2014 11:44

                                Bonjour Baarek et merci de votre commentaire.


                              • agent ananas agent ananas 18 mai 2014 11:48

                                J’ai presque honte en lisant ce texte bouleversant. J’ai une fille à peine plus âgée (11 ans) pleine de vie, rayonnante de santé.
                                Gabriel, merci pour Julie qui ne partira pas dans l’anonymat.

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