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Entre émotions et exceptions : Retours sur le Festival Musical de Namur 2014

Pour le 50ème anniversaire du Festival Musical de Namur, les petits plats étaient mis dans les grands au niveau de la musique dite « historiquement informée » pour les quatre concerts donnés à l’église Saint-Loup. 

Du côté du programme d’abord avec le 05 juillet l’ensemble Les Agrémens de Guy Van Waas dans un programme De Croes/Haydn/Mozart, accompagnant la soprano Jodie Devos, récente deuxième prix du Concours Reine Elisabeth ; avec deux soirs pour Leonardo García Alarcón dirigeant d’une part le 08 juillet la Cappella Mediterranea dans Il Diluvio Universalede Falvetti et d’autre part le lendemain le Choeur de Chambre de Namur dans deux Requiems de compositeurs actifs en Sicile au 17è siècle ; et enfin le 10 juillet avec le récital des deux gambistes Wieland Kuijken et François Joubert-Caillet dans un programme Schenck-Couperin-Sainte Colombe. 

Ensuite du côté de la qualité musicale. Si sur papier tout ce beau monde semblait augurer de belles soirées, force est de constater que le niveau proposé fut constamment de haute tenue, avec par instant le sentiment qu’il ne pouvait y avoir meilleur plaidoyer pour intéresser le public à la musique ancienne.

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Tout commençait le samedi 05 juillet avec le concert intitulé « Vienne Impériale » en compagnie des Agrémens. Si une majorité attendait la deuxième partie pour entendre la soprano Jodie Devos, la première partie fut une parfaite mise en bouche grâce à la recréation d’une symphonie en mi bémol de Henri-Joseph de Croes (1756-1842), fils du violoniste et compositeur anversois plus connu Henri-Jacques de Croes (1705-1746) qui a travaillé à la cour du Prince de Thurn–und-Taxis à Regensburg. Celui-ci fut ensuite Maître de Chapelle à Bruxelles à l’initiative de Charles de Lorraine et c’est à Bruxelles que naîtra son fils Henri-Joseph. C’est grâce à Miel Pieters, premier violon de l’Orchestre Philarmonique des Flandres et amateur de vieilles partitions, que son œuvre sort doucement de l’oubli. D’un pur classicisme, cette symphonie ne dénotait nullement dans une suite de programme plus conventionnel. 

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Mais après « L’Impériale » de Haydn, le deuxième temps fort est arrivé en seconde partie avec le concerto pour trompette du même compositeur interprété par Jean-François Madeuf pour la première fois sur une trompette à 5 clés proche de celle utilisée par Anton Weidinger dans la fin des années 1790. Résultat captivant où l’on pouvait prendre conscience de la virtuosité du concerto dans cette Vienne du tournant 1800.

Enfin, ce pour quoi le public était venu avec la prestation de Jodie Devos (engagée par ailleurs bien avant sa seconde place au Concours Reine Elisabeth) dans Haydn et Mozart. Si la cantate Miseri noi, miseria patria de Haydn était bien défendue quoique d’un matériau mélodique assez restreint, sa prestation dans l’air de concert Vorrei Spiegarvi Oh Dio Ari de Mozart fut éblouissante et une classe au-dessus de sa prestation au concours. Ici point de stress mais un orchestre réduit sur instruments d’époque bien plus chatoyant que la grosse artillerie de La Monnaie et un chant du coup beaucoup plus à son avantage : certains se souviendront encore longtemps de ses pianissimi dans le suraigu. Mentionnons aussi la belle partie de hautbois obligé tenu par Ofer Frenkel.

Le concert se terminera sous des applaudissements mérités et un bis à découvrir ci-dessous, l’air de concert de Mozart « Nehmt meinen dank » K.383 :

Autre attente et autres temps marquants : les deux concerts dirigés par Leonardo García Alarcón les 08 et 09 juillet. Le premier soir semblait déjà exceptionnel par avance puisqu’il était annoncé depuis quelques semaines l’ajout d’une seconde représentation de l’oratorio Il Diluvio Universale de Michelangelo Falvetti (1642-1692) à 21h30, ce qui repoussait la représentation initiale une heure plus tôt. 

Et quel beau chemin parcouru depuis la création en 2010 au Festival d’Ambronay ! Point positif : le casting était sensiblement le même qu’il y a quatre ans. S’en ressentaient une maturité et une cohésion exemplaires. Il n’est nullement exagéré de dire que choeur et le plateau des solistes atteignaient chacun une belle homogénéité et un bel équilibre, avec un investissement qui faisait plaisir à voir et à entendre pour servir des émotions aussi troublantes que intactes. Mentions particulières pour Mariana Flores en Rad, Evelyn Ramirez en Justice Divine et Caroline Weynants en Nature Humaine.

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Voici un des bis « Ecco l’Iride Paciera » avec le chef argentin en pédagogue et une salle survoltée qui n’avait pas volé en guise d’au-revoir la fugue finale de Falstaff de Verdi.

https://www.youtube.com/watch?v=_hBj3AxrkO4

Le lendemain, place était faite au Choeur de Chambre de Namur dans deux Requiems inédits composés par deux compositeurs actifs en Sicile respectivement en 1653 et 1650 : Bonaventura Rubino (1660-1668) et Mario Capuana (c.1600-1647). A l’esthétique encore renaissante de Rubino s’opposait le troublant maniérisme de Capuana ; une vision apollinienne et centripète contre une autre dionysiaque et centrifuge, comme aimait le rappeler Leonardo García Alarcón lors du bis. 

C’est le magnifique Requiem de Capuana qui a retenu l’attention par son écriture avant-gardiste. Composé dans les années 1650, les procédés utilisés sont ceux qui fleuriront dans l’Italie 30 à 40 ans plus tard et qu’un Falvetti, par exemple, reprendra. Drôle d’histoire aussi d’apprendre que Carl Friderich Zelter (1758-1832), le professeur de composition de Mendelssohn, possédait un exemplaire de ce Requiem qui se trouve aujourd’hui à la Berliner Singakademie, avec des annotations et commentaires du maître…

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Le Choeur de Chambre de Namur a indéniablement impressionné. Guidé par un chef passionné s’entourant de choristes qui pour la plupart n’avaient jamais chanté sous sa direction, l’ensemble a délivré comme la veille une véritable leçon de musique ! **

Oeuvres inconnues et interprétées de main de maitre, que demander de plus ? Un disque bien sûr, et ce sera pour dans les mois à venir puisque les mêmes viennent d’enregistrer ce programme chez Ricercar. 

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** Si vous voulez vous faire une idée du bis de ce programme - le très beau Kyrie du requiem de Capuana - mettez la plage 8 du disque Nabucco de Falvetti paru chez Ambronay en septembre 2013. Sinfonia écrite dans la partition ou non, c’est l’exacte transcription instrumentale d’une partie de ce Kyrie.

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En guise de conclusion, terminons cette revue de presse par un extrait du disque Schenck de Wieland Kuijken et François Joubert-Caillet. Programme mis à l’honneur le jeudi 10 juillet toujours dans l’Eglise Saint-Loup, ce concert apaisa les esprits grâce à l’intimité et la poésie d’un dialogue de violes dans des oeuvres de Johannes Schenck (1660-c.1716), François Couperin (1668-1733) et Monsieur de Sainte-Colombe (c.1640-1700). Une soirée toute en promesses grâce à la sonorité chatoyante de François Joubert-Caillet et l’expérience de Wieland Kuijken qui, du haut de ses 76 ans et malgré une justesse faisant défaut dans les aigus, laissait le souvenir d’avoir côtoyé un grand monsieur de la musique aux côtés d’une figure à suivre, notamment à travers son ensemble de consort de violes l’Achéron qui a sorti un disque Holborne extrêmement recommandable en février 2014 chez Ricercar.

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Bien sûr Namur est une terre plus réceptive au développement de la musique ancienne, avec le CAVEMA, avec jusque il y a peu chaque été le Séminaire international de musique ancienne en Wallonie (Simaw) ; bien sûr les interprètes choisis pour cette édition du Festival avaient soit le public déjà pour eux soit un curriculum vitae déjà bien fourni. Cependant, ce à quoi les spectateurs ont pu assister les différents soirs va au-delà d’un simple contrat honoré en bonne et due forme mais tient dans un réel partage entre public et artistes, tous contents d’être là, les uns à interpréter une musique placée sous le signe de la découverte, les autres ravis qu’on leur propose du neuf, du peu courant dans des conditions d’écoute optimales. Qu’on se le dise, ceux qui ont vécu en direct ces concerts ont touché à des moments d’exception !

                                            Frédéric Degroote

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Né à Amsterdam en 1660, Johannes Schenck fit carrière en Allemagne en conjuguant les styles anglais et français de la viole de gambe. Ces six sonates sur douze de l’opus 8 pour deux basses du Le Nymphe de Rheno sont basées sur la sonate italienne, « da chiesa » ou « da camera », tout en se référant aux noms donnés aux danses françaises. Voici un extrait de la sonate n°7 en si mineur.

Johannes Schenck (1660-c.1716)
Le Nymphe di Rheno, Op. 8

I. Sonata No. 7 en si mineur - IV. Allegro, Aria Amoroso

Wieland Kuijken, basse de viole
François Joubert-Caillet, basse de viole

Album “Le nymphe di Rheno”, 2013 Ricercar RIC 336

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Merci à Stéphane Dado de m’avoir permis l’utilisation de ses photos prises durant le Festival.


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