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Accueil du site > Tribune Libre > La misère dans mes rues

La misère dans mes rues

Je suis un gosse d'ici. Je suis né dans une petite clinique pas loin de la gare. Mon numéro de sécurité social indique que je suis la 630ème naissance dans ma ville en 1968.

J'ai grandi sur le boulevard puis derrière la place du marché. Tous les jeudis pendant midi, je faisais le tour à vélo à toute vitesse avec les copains. Nous étions heureux d'avoir aidé les marchands à remballer leur étalage contre une grosse pièce de 5 francs parfois. On fonçait chez le pâtissier juste au coin pour nous délecter d'une Pomme d'Amour. Ah les Pommes d'Amour... Deux énormes demi-meringues assemblées autour d'un bâton d'esquimau grâce à une crème prâliné, le tout enrobé généreusement de chocolat au lait avec des éclats de noisettes. Je nous revois la bouche béante essayant de croquer dans cette friandise presqu'aussi grosse que nos têtes !. ! J'adorais mon quartier. Quatre épiceries, trois bistrots, une pharmacie, un tabac-presse-loto, un bar tabac, deux coiffeurs pour hommes, deux coiffeuses pour dames, une maroquinnerie, une parfumerie, une mercerie, une boulangerie, une pâtisserie, deux marchands de chaussures, un marchand d'électro-ménager, une droguerie, un magasin d'équipements électriques, un marchand de tissus, une boucherie, une chevaline, une agence de pompes funèbres, un marbrier, un photographe, une armurerie, sans parler des artisans. A l'époque, le marché et la braderie avaient de la gueule. Et je ne vous parle que de mon quartier de gamin de huit ans. Si je vous parlez de ma ville, il y en aurait des pages entières.

 

J'ai t'ai quitté ma ville pour suivre mes études et vivre ma vie. J'avais 20 ans après avoir obtenu un BTS en communication qui ne m'a mené a rien, à part me montrer la misère en face pour la première fois de ma vie. A la recherche d'un emploi après ma qualification bac+2, l' « anpe » me proposa un poste de formateur en langue française pour illettrés. J'ai essayé trois jours et j'ai fui. J'ai eu peur car je ne me sentais pas capable d'affronter cette misère ni concerné. Alors j'ai bossé tant bien que mal en tant qu'employé de commerces divers dans une autre région, d'autres villes.

Ce fût ma première reconversion professionnelle. Cinq ans d'apprentissage de la vente plus tard, je décide d'entreprendre. Je reviens vivre dans ma ville et j'y ouvre mon premier commerce en rapport avec mes passions. J'ai créé deux emplois. Celui d'un employé à plein temps et le mien plus le comptable. En 1997, je mets la clef sous la porte après quatre années de hauts et de bas. De graves problèmes familiaux et la crise de 1993 ont eu raison de ma petite entreprise. Malgré mes 10 années d'expériences commerciales et ma mobilité, je ne trouve pas de travail.

 

Deuxième reconversion :

La musique, une de mes passions, m'a naturellement amené, de par mes rencontres professionnelles, aux métiers du spectacle que j'ai pratiqué 7 ans en tant qu'intermittent. La concurrence et la précarité de cette activité ont eu raison de moi. Alors je t'ai quitté à nouveau ma ville. J'ai remonté un commerce ailleurs et re-patatra 2 ans après.

 

Troisième reconversion :

Sur les conseils de pôle emploi et faisant suite à mes recherches infructueuses sauf un cdd de 18 mois dans la même boîte, je reprends les études lors de ma deuxième rencontre avec la misère. J'ai 42 ans, étudiant, sans boulot, sans revenu. J'ai un toit mais plus pour longtemps. Je m'endette. Je me nourris avec ce que les associations me donnent. On me coupe l'eau, le chauffage, l'électricité. On m'interdit les crédits, les chéquiers, les découverts, on me fiche, on m'expulse. Je suis à la rue. Je m'accroche et j'obtiens mon 2ème bac+2. Je suis ruiné, endetté, sdf, seul mais j'ai un métier. Je suis enseignant. Mon métier, c'est transmettre ce que j'ai appris. Je suis fier et debout.

Le vie m'a ramené à toi, ma ville. Je revis ici depuis 3 ans, le travail me le permet modestement. Je me promène dans tes rues dès que je peux. J'ai commencé par mon quartier. Troisième rencontre avec la misère.

Qu'es-tu devenu mon quartier ? Que t'est-il arrivé ? Tu ne ressembles plus à mes souvenirs. Tu n'est plus qu'une allée déserte menant au. !. Cette rue qui porte le nom d'un illustre résistant. Elle croise la rue de mon enfance, un autre résistant héros local, celle de la maison de mes parents qui reposent au... tout au bout. Où est passée la vie que j'ai vécu ? Il ne reste rien. Je ne reconnais rien où plutôt si. Je reconnais les ruines du quartier de mon enfance. Qu'est devenue ma ville ?

Je ne te juge pas, j'ai vécu dans des endroits tout aussi abîmés que toi. Mais j'ai de la peine. Partout dans mes rues, je rencontre des misérables de tous âges. Oui, des misérables. Je n'ai plus peur des « sans dents » si effrayants autrefois. J'appelle un « chat », un « chat ». Je les connais, je leur parle, nous échangeons depuis des années. Je les côtoie de près. Ils m'enrichissent de leur rage de vivre. La plupart sont des pauvres gens désemparés, sans défense avec très peu de moyens pour se sortir de leur merde, perdus dans leur désociabilisation, déshumanisation. Je travaille avec eux. Je leurs apprends mon enseignement. Je suis intervenant sur une formation en insertion professionnelle. Ma mission consiste à valoriser et encourager les stagiaires dans leur sociabilisation par la création artistique dans les domaines de l'audio-visuel et de l'expression écrite et orale. Cette formation a pour objectif l'insertion professionnelle ou l'entrée en qualification. Sa priorité est donc l'employabilité de ses participants. Elle concerne toute personne non qualifiée de 16 à 60 ans. Depuis trois ans, cette mission m'apprend à travailler avec ce public en très grande difficulté et surtout m'apprend quels sont les autres besoins que l'emploi.

Avant d'être employables, certains ont besoin d'apprendre à lire, écrire, compter. D'autres à s'ouvrir sur le monde, s'ouvrir aux autres. D'autres encore ont simplement besoin de communiquer, de s'exprimer. Puis il y a les précaires qui ont juste besoin d'un toit et de sécurité pour s'en sortir tout seul.

Partout dans ma ville je lis : « la volonté de réussir » sur ton emblème. J'aurai 46 ans à la fin du mois. Je suis ce que je suis car je suis d'ici. Ma ville est une résistante, comme moi. C'est elle qui m'a façonné au cours de mes promenades remplies des noms célèbres de ses rues chargées d'un passé mémoriel. Combien de combats ma ville as-tu traversé ? Combien de fois t'es-tu relevée malgré la douleur des atrocités que tu as supportées ? Supporteras-tu encore longtemps le poids de toute cette misère qui t'infecte ?

Je veux t'apporter mon aide. Mon histoire et mes batailles ont forgé en moi cette volonté de réussir ma part de lutte contre ta misère. J'ai un projet pour toi ma ville. Une idée pour l'instant. Ce n'est pas politique ni lucratif, c'est humanitaire. Je te dois bien ça. A mon tour de faire quelque chose pour toi. Après la volonté, les actes.

Je te tiens informée. Je dois contacter Monsieur Le Maire.

 

A bientôt,

cordialement.

 

courrier envoyé à la Mairie de ma commune, à l'attention de M. le Maire.


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10 réactions à cet article    


  • Le Corbeau Magnifique Le Corbeau Magnifique 1er octobre 2014 22:21

    On s’en fou de ta vie.


    • lautrecote 2 octobre 2014 08:25

      Magnifique, le corbeau.


    • foufouille foufouille 2 octobre 2014 10:21

      et ça marche, tu leur trouve du boulot ?


      • Brice Bartneski bartneski 2 octobre 2014 11:41

        Mon rôle est de redonner confiance, dignité, estime de soi et espoir. Je ne suis qu’un maillon de la chaîne de la formation. A l’issue de cette formation, 8 stagiaires sur 10 entrent en formation qualifiante ou/et dans l’emploi. Malgré de grandes difficultés, 8 stagiaires sur 10 sont remis sur les rails en moins de huit mois. Ce n’est pas dû qu’à mon travail, mais celui de toute une équipe et surtout, c’est le résultat du travail des stagiaires. Pour tous, se lever tôt pour aller bosser en formation est déjà une très grosse épreuve et la plupart n’ont jamais bossé. C’est du très très lourd. Mais c’est très enrichissant humainement car il s’agit bien de cela, d’humanité. Quand tu es tout en bas et que tu touches le fond, tu penses n’être qu’une sous merde. Quelqu’un qui te prouve le contraire, c’est très motivant pour remonter. Merci pour cette question « foufouille ».


      • foufouille foufouille 2 octobre 2014 12:05

        «  Quand tu es tout en bas et que tu touches le fond, tu penses n’être qu’une sous merde."
        ça dépend des gens, les autres peuvent être des sales cons.


      • cevennevive cevennevive 2 octobre 2014 12:24

        Personnellement, je n’ai jamais pensé être une « sous-merde ».


        Peut-être est-ce de ma part un orgueil forcené ou une opiniâtreté démesurée.

        Je n’ai jamais pensé non plus que les autres soient « des sales cons », et que c’était de leur faute si j’avais des problèmes.

        J’ai fait avec les outils que j’avais. Et j’y suis arrivée.

        Bonjour aussi à Constant !


      • foufouille foufouille 2 octobre 2014 12:27

         « cons. » c’est par rapport aux remarques que certains font


      • cevennevive cevennevive 2 octobre 2014 11:36

        Bonjour Bartneski,


        Merci de raconter une partie de ma propre vie...

        Etudes, reconversions, divorces, re-études. Recommencer, changer de région, de boulot, traîner son bébé, ses enfant partout où l’on va.

        Moi j’avais la chance d’avoir mes parents et la maison de mes ancêtres, où je pouvais me réfugier et où je vis désormais.

        Cette vie bien remplie nous donne une empathie monumentale (ce que ne possèdent pas, apparemment deux ou trois intervenants ci-dessus).

        Permettez-moi de saluer le Capitaine, qui a compris, lui. 

        Bien à vous.


        • Brice Bartneski bartneski 2 octobre 2014 11:45

          Bonjour, c’est justement parce que ma vie est banale et ressemble à celles de millions de gens que j’ai écrit ce texte. Se reconnaître en tant qu’humain comme tout le monde, c’est déjà rassurant et c’est aussi faire un pas en avant pour améliorer sa condition. Bon courage à toi. Les moments difficiles sont des souvenirs que nous partageons.


        • Clojea Clojea 2 octobre 2014 18:22

          Beau texte, bien écris et très explicite. Je pense que beaucoup de gens ont des parcours atypiques avec des hauts et des bas importants. L’essentiel est de remonter, car le fond est très inconfortable. Ne jamais perdre son esprit combatif et rebelle. 

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