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Economistes en déroute

Des mages mis à mal
 La crise aura eu au moins un avantage : mettre en évidence la faiblesse, le caractère hypothétique de la (trés) faillible science économique , celle du moins qui dérive du monétarisme et ses mystifiantes équations, celle des économistes d'influence, ou médiatiquesde ceux qui ont pignon sur rue, de ceux qui se pavanent devant les caméras, de ceux qui psalmodient régulièrement dans "la bande à Calvi", dont un certain nombre, les disciples des  Evangélistes du marché, a des liens très étroits avec des intérêts bancaires puissants et enseigne à Sciences Po ou autres écoles prestigieuses, transmettant une bonne parole maintenant disqualifiée...

 Ce qu'on a appelé la faillite des économistes, qui n'ont pas vu venir la crise pour la grande majorité, alors qu'elle nous pendait au nez pour Roubini et quelques autres, a finalement du bon. Elle démystifie trop d'années de prétentions et d'obstinations dans l'erreur, avec un impensé majeur : les économistes sont aussi des hommes de la cité qui partagent pour partie les mêmes préjugés que leurs contemporains, les mêmes choix implicites mais qui ont un puissant et singulier tropisme, celui d'être souvent en sympathie avec les intérêts dominants, financiers notamment, tel notre récent prix faussement nobélisé.
 Un autre Nobel, qu'il faudrait relire, a fait là-dessus une remarque de bon sens :
«  A toutes les époques de l’histoire, le succès des doctrines économiques a été assuré, non par leur valeur intrinsèque, mais par la puissance des intérêts et des sentiments auxquels elles paraissent favorables... La science économique, comme toutes les sciences, n’échappe pas au dogmatisme, mais le dogmatisme est ici considérablement renforcé par la puissance des intérêts et des idéologies  ».
[Maurice Allais_ 1968]
   L'échec a été si grand et si manifeste qu'il en a aveuglé plus d'un et a provoqué un tel déni qu' il a renforcé certains dans leur dogmatisme antérieur. Quand on écoute, par exemple, un Dessertine sur la Cinq pérorer presque tous les soirs, répéter les mêmes antiennes, on se dit qu'il a manqué quelque chose et on aimerait lui conseiller ne serait-ce que la lecture de Krugman ou de Stiglitz...

    Dire qu'ils furent et sont des imposteurs est peut-être insuffisant. Ils sont aussi victimes d'un enseignement à sens unique, qui se contentait d'une vulgate essentiellement néolibérale, sous-produit de l'école de Chicago et qu'ils sont surtout évolué dans la quantophrénie (comme disait le sociologue Gurvitch), l'économie purement quantitative, aveugle aux réalités sociales de base.
 Le récent livre du néo-keynésien australien Keen bouscule un certain nombre de dogmes tenaces dans ce monde trop fermé et trop compromis.
 Gaël Giraud, dans la préface de son ouvrage dénonçant les idées fausses qui ont puissamment contribué aux dérapages dont nous subissons encore toutes les conséquences, déclare :
" ...L'ouvrage examine et déconstruit tout ce qui constitue la pensée économique : la théorie de la demande, celle de l'offre, la concurrence parfaite, les rendements décroissants, la monnaie, le chômage, etc.
Sa force, est de présenter la théorie néo-classique, de la remettre en perspective historique et d'en démonter les arguments en utilisant des arguments de bon sens. Certains sont évidents, d'autres sont beaucoup plus subtils. Son autre force repose sur le fait que pour chaque question traitée, l'auteur s'efforce de montrer que même des économistes non critiques sont d'accord avec lui. Et souvent, on arrive en effet à trouver tel ou tel spécialiste qui, un jour, a été suffisamment honnête pour « avouer » que tel aspect de la théorie ne tient absolument pas la route.
 Ce livre produit donc une véritable critique interne de l'économie néo-classique, en montrant de l'intérieur qu'elle n'est pas cohérente, qu'elle ne prouve pas ce qu'elle affirme : être une vérité intangible. Il fournira un élément essentiel à la critique de ceux qui veulent changer l'enseignement de l'économie, et de ceux qui cherchent dans une autre direction que le simple commentaire de la doxa..."
  Un livre qui ébranle la pensée néolibérale, ou une grande part de ses mythes, dont Jean Gadrey fait une analyse nuancée.

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14 réactions à cet article    


  • Francis, agnotologue JL 3 novembre 2014 08:53

    Bonjour Zen,

    je crois que le propos de Maurice Allais prend tout son sens quand on examine à quels intérêts cette doxa économiste est favorable.

    Je pense que les intérêts concernés sont évidemment le Grand capital, et parler de capital international serait une précision inutile.

    La mondialisation libérale fait sauter un à un tous les gardes fous érigés patiemment par la sagesse des nations, et c’est à une véritable curée sur les patrimoines publics ou privés que se livrent sans foi ni loi et dans une concurrence dévastatrice, tous les grands prédateurs de la planète.

    Je crois qu’en France nous sommes très menacés puisque le pays a fait le choix d’exceller dans l’industrie du luxe, une industrie qui est clairement tournée dans le sens de ce malheureux processus.

    Quand Manuel Valls déclare qu’il aime l’entreprise, il oublie que l’entreprise n’a pas vocation à assurer le plein emploi mais les profits, et que les entreprises de luxe sont de ce point de vue, les plus exécrables.


    • Diogène diogène 3 novembre 2014 09:08

      La « pensée » néo-libérale et l’école de Chicago ne sont que des constructions idéologiques destinées à justifier une réalité simple : les pillage des richesses par la violence de quelques familles et la destructions des rares structures progressistes (sécurité sociale, retraites, allocations familiales, droit du travail).


      Les ténors néo-libéraux ne font jamais d’économie ; ils enseignent à une bureaucratie sélectionnée (ENA, sciences-po, Hec, ESSEC....) comment trahir les familles d’où ils sont issus en leur faisant croire qu’ils seront du côté des prédateurs carnassiers alors qu’il continuent à manger de l’herbe.

      Et ils ressassent en la martelant l’idée de « crise » pour maintenir les « masses » dans un état de torpeur.
      Or il n’y a pas de crise, mains un saccage des richesses et un ratissage du fruit du travail pour le profit des organisateurs qui, eux, n’ont jamais été aussi riches.

      De même que le « libéralisme » n’a pas de méthode en matière d’économie, mais une stratégie politique sommaire et claire (le racket), la solution n’est pas économique mais politique (la révolution).

      • Daniel Roux Daniel Roux 3 novembre 2014 10:24

        Bonjour Zen

        Comme ton article le démontre, ce n’est pas la science économique qui est en cause mais l’usage qui en est fait par le Système, c’est à dire par l’oligarchie financière à travers les médias qu’elle contrôle.

        La science économique est plus proche de la Météorologie que de la géométrie. Les paramètres à prendre en compte pour une prévision à moyen terme sont trop nombreux et d’importance trop variable pour être mis en équation.

        Mais l’économie n’a pas la prévision pour unique but, elle est nécessaire à la gestion des politiques publiques et privées.

        Le problème est l’utilisation idéologique et politique de cette science forcément inexacte pour convaincre les citoyens que le Capitalisme, c’est à dire la concentration et le contrôle de la richesse par une petite partie de la population (l’oligarchie financière) est l’unique voie possible pour la société humaine et que s’y opposer, c’est s’opposer au progrès et se montrer anti social, voire « terroriste ».

        Les hommes politiques servent l’oligarchie, comme les journalistes et les économistes et tous ceux à qui elle permet d’accéder aux médias. Ils ne sont pas au service des citoyens comme ils veulent le faire croire mais à celui de leur employeur.

        Là est l’illusion démocratique.


        • Crab2 3 novembre 2014 11:39

          INTÉGRATION

          Chacun ou chacune, à sa porte, qu’au chômage ou « abandonnées » dans une extrême précarité peut observer, constater que chaque famille est ni plus ni moins qu’une autre concernée tant dans les milieux dits « français de souche » que dans toutes les autres couches de la population de notre pays

          Suites :

          http://laicite-moderne.blogspot.fr/2014/11/integration.html

          ou sur :

          http://laiciteetsociete.hautetfort.com/archive/2014/11/03/integration-5481901.html

          °

          https://twitter.com/?lang=fr


          • BA 3 novembre 2014 13:23

            La base monétaire, ou « monnaie de banque centrale », désigne la monnaie qui a été créée directement par la banque centrale. Elle se compose :

            • des billets en circulation qui représentent environ 15 % de la masse monétaire M1 ;

            • des avoirs monétaires détenus par les titulaires de comptes auprès de la banque centrale, c’est-à-dire principalement les banques commerciales.

            (source : Wikipedia)

            Aux Etats-Unis, la base monétaire était de 800 milliards de dollars en 2008. Depuis, elle a explosé. Elle est de 4500 milliards de dollars en 2014.

            Regardez le graphique 4 :

            http://cib.natixis.com/flushdoc.aspx?id=79791

            Aux Etats-Unis, cette création de monnaie n’a pas du tout profité à l’économie réelle.

            En revanche, cette création de monnaie a profité à la Bourse des Etats-Unis !

            Partout ailleurs, c’est pareil.

            Aux Etats-Unis, au Japon, au Royaume-Uni, en zone euro, etc, la création de monnaie par les banques centrales ne profite pas à l’économie réelle. Elle ne profite qu’à la Bourse.

            En clair : sans le vouloir, les banques centrales ont créé de gigantesques bulles boursières, partout dans le monde.

            Le jour où ces gigantesques bulles boursières éclateront, nous vivrons une crise de type 1929, mais en plus violent.

            Alan Greenspan a dirigé la banque centrale des Etats-Unis de 1987 à 2006. Alan Greenspan vient de déclarer :

            « Les QE n’ont pas aidé l’économie, le dénouement sera douloureux, achetez de l’or. »

            Jeudi 30 octobre 2014 :

            Marchés  : quand Alan Greenspan broie du noir...

            L’ancien président de la Fed sort de son silence pour mettre en garde la banque centrale américaine !... Alan Greenspan pense ainsi qu’il ne sera pas possible pour la Fed de dénouer sa politique monétaire ultra-accommodante sans provoquer des turbulences sur les marchés financiers.

            Lors d’un discours prononcé hier à New York, M. Greenspan a estimé que le programme d’achat d’actifs de la Fed (« QE ») a eu un « effet formidable » en gonflant la valeur des actifs, mais en revanche, il n’a pas soutenu la demande dans l’économie réelle. L’effet positif n’a ainsi été « majeur » que sur les multiples de capitalisation en Bourse et sur les prix immobiliers, via l’abaissement des taux d’intérêts à long terme, a-t-il ajouté.

            « Les marchés réagissent souvent de façon imprévisible »

            Interrogé sur la capacité de la Fed à normaliser sans remous sa politique monétaire, après 5 ans de taux à zéro et d’injections de liquidités, il a répondu « je ne le pense pas ».

            "Nous n’avons jamais connu une telle situation, et je ne peux pas vous dire exactement ce qui va se passer" a-t-il ajouté, tout en soulignant que les marchés réagissent souvent aux changements de politique monétaire de façon "imprévisible et pas totalement rationnelle".

            Lorsqu’il dirigeait la Fed, de 1987 à 2006, M. Greenspan avait mis en garde contre l’« exubérance irrationnelle » des marchés à la fin des années 1990, sans pouvoir empêcher la bulle des valeurs internet d’exploser en 2000, ce que lui ont reproché certains experts par la suite.

            Alan Greenspan conseille d’acheter de l’or

            Aujourd’hui, M. Greenspan est si inquiet pour l’avenir qu’il conseille aux investisseurs d’acheter en priorité de l’or comme valeur refuge...

            Il s’est en outre montré pessimiste sur l’euro, estimant que la seule façon pour que la devise européenne survive est de réaliser une intégration politique complète des pays membres de la zone euro. A défaut de cette intégration, les déséquilibres augmenteront et conduiront en fin de compte à un effondrement de l’euro, a-t-il conclu...

            http://www.boursier.com/actualites/macroeconomie/marches-quand-alan-greenspan-broie-du-noir-601385.html

            Article en langue anglaise :

            http://online.wsj.com/articles/former-fed-chief-greenspan-worried-about-future-of-monetary-policy-1414597627


            • ZEN ZEN 3 novembre 2014 13:56

              BA
              En fidèle disciple de Ryan, Greenspan sonne le tocsin, après avoir été complètement aveugle en 2008. Maintenant il fait dans le catastrophisme
              Paul Ryan affirmait. "Si je devais créditer une personne pour mon engagement au service du public, ce serait Ayn Rand, expliquait ce dernier, en 2005, avant de minimiser l’influence de l’écrivain athée sur sa pensée. Ne vous trompez pas, le combat que nous menons est une lutte de l’individualisme contre le collectivisme."
              Ce qu’il appelle le collectivisme, c’est juste le minimum de solidarité et de redistribution nécessaire qu’un Etat doit garantir pour faire société.

              Les pauvres et les précaires sont donc les seuls responsables de leur sort et ce que Ryan appelle collectivisme est juste une meilleure répartition de la richesse (quand on sait que  aux USA, les 20 % des ménages les plus pauvres ne disposent que de 3,4 % de l’ensemble des revenus, mais les 5 % les plus aisés en perçoivent 21,2 %. A eux seuls, les 20 % les plus riches perçoivent près de la moitié du revenu national  ). Les fantasmes de la guerre froide servent toujours à quelque chose...
              Enfin, je vais tout de même acheter quelques petits lingots et conserver précieusement mes vieilles couronnes en or, au cas où... smiley


              • alberto alberto 3 novembre 2014 14:52

                Salut ZEN,

                Je vois que tu as de bonnes lectures : maintenant Keen, mais peut-être aussi Piketty ?

                Et puis pour te rejoindre, il y a aussi ça !

                Comme quoi tout n’est pas perdu...


                • ZEN ZEN 3 novembre 2014 15:05

                  Salut alberto,

                  Piketty m’a intéressé
                  De bons diagnostics, mais pas d’analyse du système de production comme source des inégalités
                  Et puis il est devenu une idole à la Maison-Blanche...où on l’a certainement mal lu.
                  Quant à tonton, on ne l’entend plus beaucoup
                  La dernière fois que je l’ai vu à l’écran, il semblait désabusé, sans esprit offensif.
                  Lassitude passagère ?


                • jojoduchato jojoduchato 3 novembre 2014 15:47

                  Il n’y a pas de sciences économiques mais seulement des sciences sociales . C’est là une des arnaques de notre temps et qui n’est pas sans incidence sur le cour des choses...


                  • aimable 3 novembre 2014 17:50

                    tous ces pseudos économistes, ont tellement abusés de la tisane qu’ils planent très haut , tellement haut qu’ils ont bloqué l’altimètre et perdu toute notion d’équilibre terrestre
                    l’économie virtuelle nourrit très mal les peuples !!!
                    faire du fric ne devrait pas être un but en soi et ils devraient méditer ceci « jamais un coffre-fort n’a suivi un corbillard »


                    • agent ananas agent ananas 3 novembre 2014 17:54

                      Le charabia de ces imposteurs sert d’écran de fumée pour cacher la « main invisible » qui spolie le peuple au profit des ploutocrates.


                      • Bastienou Carcajou 3 novembre 2014 17:59

                        Le plus marrant à mon sens est le prix Nobel d’économie. Je sais, il existe aussi un Nobel de la Paix, pas piqué des hannetons non plus.

                        Si l’économie était une science, il n’y aurait pas de crise ou elle serait résolue rapidement.

                        Mais y a-t-il une crise ?

                        « Ce monde n’est je vous l’assure qu’une immense entreprise à se foutre du monde ! » disait Céline. Il avait raison. Reste à savoir jusqu’au le « monde » se laissera foutre de sa gueule ?

                        Je pense qu’en flinguer quelques phynacier (il n’y a pas de faute d’orthographe) ferait réfléchir les autres comme le disait Voltaire à propos des Amiraux. Ou pour le moins leur foutre une trouille suffisante. L’important est qu’’ils qu’il prennent conscience que l’impunité est terminée.

                        Solution provisoire, certes, mais cyclique dans l’Histoire.

                        Cordialement


                        • Renaud Bouchard Renaud Bouchard 3 novembre 2014 21:01

                          Bonsoir Zen, Dominique, Alberto.Bon billet.Observations intéressantes.Je ne résiste pas au plaisir de vous renvoyer à la lecture de cet texte de F. Lordon intitulé « Les Disqualifiés », tous ces Prophètes ou Clairvoyants que l’on continue de voir et d’entendre pérorer sur le fonctionnement et la marche d’un monde qu’ils ne comprennent pas, continuant sans vergogne à affirmer des contrevérités en récitant le même catéchisme.http://kiosquenet.free.fr/TEXTES/Frederic-Lordon-Les-disqualifies.html

                          Si c’était une attraction de la Fête à Neu-Neu, pour y faire venir des intellectuels, on l’appellerait « le trombinoscope giratoire » — et pour les plus petits « le manège aux cornichons ». A la télévision, à la radio, dans la presse écrite, qui pour commenter l’effondrement du capitalisme financier ? Les mêmes, bien sûr ! Tous, experts, éditorialistes, politiques, qui nous ont bassinés pendant deux décennies à chanter les louanges du système qui est en train de s’écrouler : ils sont là, fidèles au poste, et leur joyeuse farandole ne donne aucun signe d’essoufflement. Tout juste se partagent-ils entre ceux-ci qui, sans le moindre scrupule, ont retourné leur veste et ceux-là qui, un peu assommés par le choc, tentent néanmoins de poursuivre comme ils le peuvent leur route à défendre l’indéfendable au milieu des ruines.

                           Parmi eux, Nicolas Baverez est visiblement sonné et cherche son chemin parmi les gravats. L’effet de souffle a dû être violent car le propos est un peu à l’état de compote : « La mondialisation conserve des aspects positifs (1) », maintient-il contre vents et marée, non sans faire penser à Georges Marchais. Pourtant, lâche-t-il dans un souffle, c’est bien le « capitalisme mondialisé qui est entré en crise (2) », et « l’autorégulation des marchés est un mythe (3) ». Il n’empêche : « Le libéralisme est le remède à la crise (4. » Or qu’est-ce que le libéralisme, sinon la forme d’organisation économique déduite du postulat de l’autorégulation des marchés ? Peut-être, mais Baverez décide qu’il ne reculera plus d’un pouce là-dessus et qu’il faudra faire avec les complexités de sa pensée : « Le libéralisme n’est donc pas la cause de la crise », quoique par autorégulation interposée il soit le problème... dont il est cependant « la solution (5) » — comprenne qui pourra.

                           D’autres sont moins désarçonnés et font connaître avec plus d’aisance que, si les temps ont changé, eux aussi sont prêts à en faire autant. « Cette bulle idéologique, la religion du marché tout-puissant, a de grandes ressemblances avec ce que fut l’idéologie du communisme (...). Le rouleau compresseur idéologique libéral a tout balayé sur son passage. Un grand nombre de chefs d’entreprise, d’universitaires, d’éditorialistes, de responsables politiques ne juraient plus que par le souverain marché (6). »

                           Celui qui, telle la Belle au bois dormant, se serait endormi avant l’été pour se réveiller et lire ces lignes aujourd’hui croirait sans doute avoir affaire une fois de plus à ces habituels fâcheux d’Attac ou bien deL’Humanité. C’est pourtant Favilla, l’éditorialiste masqué des Echos, qui libère enfin toute cette colère contenue depuis tant d’années. Car on ne le sait pas assez, Les Echos sont en lutte : trop d’injustices, trop de censures, trop d’impostures intellectuelles. N’a-t-on pas étouffé la « vérité » même : « Toute voix dissonante, fût-elle timidement sociale-démocrate, en rappelant les vertus d’un minimum de régulation publique, passait pour rescapée de Jurassic Park. Et voici que tout à coup la vérité apparaît. L’autorégulation du marché est un mythe idéologique. » Prolongeant les tendances présentes, on peut donc d’ores et déjà anticiper qu’un sonnant « Il faut que ça pète ! » donnera bientôt son titre à un prochain éditorial d’un Favilla déchaîné.

                          Prophètes diplômés

                           Décidément Blanche-Neige aurait du mal à reconnaître ses nains. Laurent Joffrin, qui il y a quelques mois encore aidait Bertrand Delanoë à pousser son cri d’amour pour le libéralisme et fustigeait la « gauche Bécassine (7) », celle qui n’a pas compris les bienfaits du marché, a visiblement mangé de la mauvaise pomme — en fait la même que Favilla : « Depuis plus d’une décennie, les talibans du divin marché financier ont rejeté tous les avertissements, méprisé tous les contradicteurs et récusé toute tentative de régulation (8). »On en était resté au moment où les talibans faisaient cause commune avec les critiques de la mondialisation. Se peut-il que les enturbannés aient si brutalement changé de camp, en fait depuis si longtemps, et sans même qu’on s’en soit aperçu ?

                           A leur décharge, ces pauvres éditorialistes ne faisaient qu’ânonner ce que leur avaient seriné pendant tant d’années leurs répétiteurs experts. Or, de ce côté, l’hécatombe est impressionnante également. Elie Cohen, qui a beaucoup donné de sa personne pour avertir de l’effrayante aberration en quoi consiste l’intervention publique, et soutenu la privatisation de tout ce qu’il y avait à privatiser, est maintenant d’avis qu’il faut nationaliser — on imagine sa tête si on lui en avait soumis l’idée il y a deux mois. Comme elle semble loin l’époque où il enjoignait encore les socialistes de rompre avec le « discours d’ultragauche fondé sur le déni de la réalité (9) » et regrettait beaucoup qu’ils soient « devenus altermondialistes par peur d’une mondialisation qu’ils ne comprenaient pas et dans laquelle ils ne voyaient que les manifestations de multinationales assoiffées de profits, les dérives d’une finance débridée et les inéquités d’une régulation au service des puissants ».

                           Il n’est pas un mot de cette adresse qui n’impressionne par sa lucidité puisque, comme chacun sait, non seulement le Parti socialiste est un repaire d’altermondialistes, mais il faut en effet ne rien comprendre à la mondialisation pour en donner pareil portrait que la réalité infirme chaque jour davantage. Il est vrai qu’en matière de « réalité » Cohen est un expert : « Dans quelques semaines, le marché se reformera et les affaires reprendront comme auparavant », écrit-il le 17 août 2007 (10), avant de livrer sa philosophie (presque) définitive des crises financières : « Il faut s’habituer à l’idée qu’elles ne constituent pas des cataclysmes mais des méthodes de régulation d’une économie mondiale qu’on n’arrive pas vraiment à encadrer par des lois ou des politiques (11). »

                           Des gens malintentionnés iront sans doute suggérer que Cohen n’est pas le type même de l’économiste académique et que, avec le temps qu’il passe sur les plateaux, on se demande s’il a jamais pu faire effectuer le moindre progrès à une science autre que celle de sa propre notoriété. Sans même trancher sur le fond cette épineuse question, disons tout de suite qu’il y a quelque chose de très injuste dans cette insinuation : les économistes les mieux certifiés font tout aussi bonne figure que lui sous le rapport qui nous intéresse. David Thesmar et Augustin Landier étaient formels dès l’été 2007 : sous le titre prophétique « Le mégakrach n’aura pas lieu (12) », le meilleur jeune économiste de France (Prix 2007 du Cercle des économistes, qui sait reconnaître les siens) et son acolyte sont formels : « Disons-le tout net : [la correction] sera limitée et surtout sans effet sur l’économie réelle. » Le fait est que c’est dit assez « net » et, d’ailleurs, conclu de même : « Le danger d’une explosion financière, et donc le besoin de régulation, n’est peut-être pas si grand qu’on le pense. »

                           Il y a pourtant mieux que les clairvoyants ; il y a les prophètes. « Dans son rapport commandé par l’Elysée, l’économiste prévenait déjà des dangers de la spéculation financière. » C’est sur cet hommage aux capacités extralucides de Jacques Attali et de son fameux rapport que s’ouvre la double page signée Renaud Dély et offerte (par mégarde ?) par Marianne à l’un des produits multimédias les plus célèbres de France. Mais Dély, qui recueille les oracles d’Attali, a-t-il seulement lu une ligne du rapport qu’il encense ? La question se pose car, faut-il le dire, non seulement le rapport Attali ne compte pas la moindre remarque sérieuse quant aux dangers de la déréglementation financière, mais il n’est qu’une longue ode aux prodiges des marchés de capitaux — et une exhortation à s’y rallier plus complètement encore.

                           Dès la page 7, le modèle qui réussit est indiqué à l’imitation de la France : c’est le Royaume-Uni, qui « s’est engagé durablement dans la valorisation de son industrie financière » — n’est-ce pas là une idée que son excellence range évidemment dans la catégorie du prophétique ? Il y a ainsi « des révolutions à ne pas manquer », celle des « secteurs porteurs » (p. 54) ; parmi eux, « la finance » (id.). C’est pourquoi « faire de Paris une place financière majeure » est l’« objectif » qui préside à la dégelée des propositions 96 à 104.

                           Décision 97 : « Harmoniser les réglementations financières et boursières avec celles applicables au Royaume-Uni pour ne pas handicaper les acteurs européens par rapport à leurs concurrents internationaux. »Décision 101 : « Multiplier les initiatives communes entre les enseignements supérieurs et les institutions financières dans le financement de chaires dédiées aux recherches sur la modélisation financière », car si l’université doit être condamnée par l’attrition des budgets publics, rien n’est trop beau pour les formations des futures élites de la classe parasitaire. Pour la fin, la meilleure, la décision 103 : « Modifier la composition des commissions et des collèges de régulateurs, pour que les champions de la finance puissent s’exprimer et influencer la position du haut comité de place. »

                           A ce stade, on rêve d’interviewer l’intervieweur : « Au 10 octobre 2008, quel effet vous fait l’expression “champions de la finance” et plus encore l’idée de leur confier la régulation des marchés ? Pensez-vous que l’auteur de ce genre de propositions, pourtant formulées après plus de six mois de crise financière ouverte (13), entre plutôt dans la catégorie des prophètes ou dans celle des cuistres ? Pensez-vous persister dans le journalisme ou envisagez vous une reconversion dans le microcrédit ? »

                           Il faudra sans doute laisser à Dély un peu de temps pour mûrir sa réponse et aussi pour déguster la fin du rapport, qui n’est pas moins goûteuse que le commencement puisque la décision 305 lâche enfin le morceau en suggérant de « réorienter massivement le régime fiscal de l’assurance-vie et du plan d’épargne en actions vers l’épargne longue investie en actions (à coupler avec les fonds de pension) ».

                           Nous y voilà. On ne sait trop si Attali a tout prévu de la crise autrement que sur le mode de l’hallucination rétrospective, mais, en janvier 2008 en tout cas, il est d’avis de propulser toute l’épargne des Français sur les marchés financiers — se peut-il que ce soient les mêmes marchés à propos desquels il dit si bien « tsunami » à la télévision ?

                           Le rapport Attali plaide donc ouvertement pour le passage à la capitalisation — « la montée en puissance de l’épargne- retraite individuelle ou collective est donc nécessaire » (p. 213) — au moment précis où les ménages américains, du fait de la crise, voient leurs pensions partir en fumée et quand l’extrême détresse où ils se trouvent ne les a pas déjà forcés à puiser dans leurs comptes-retraite. Quel heureux sens de l’histoire de pousser à la capitalisation en une période où l’on ne tardera pas à voir apparaître les premiers vieux miséreux sur les trottoirs des villes américaines !

                           Et, puisque le message de ce rapport est de soumettre toute la société française à la logique de la finance, qui démontre si spectaculairement ses vertus, on n’oubliera pas de mentionner la décision 22, qui vise à faire monter en puissance le rôle des fondations privées dans le financement des universités avec, on s’en doute, retrait équivalent des financements publics. Mais comment fonctionnent au juste ces fondations ? Elles placent leurs capitaux sur les marchés et vivent à l’année avec « les petits » (les intérêts). Dans les conditions d’effondrement de tous les secteurs de la finance que le prophète a anticipées de longue date, il se pourrait donc que les universités américaines se préparent quelques années au pain sec et à l’eau. N’est-ce pas le modèle qu’il nous faut absolument imiter ?

                           De tout cela finalement, qui se soucie ? Les girouettes tournent folles mais empêchées par rien. A de rarissimes exceptions près, tous ces gens que Favilla, dans son éditorial bizarrement éclairé, nomme « chefs d’entreprise, universitaires, éditorialistes, responsables politiques » ont organisé leurs débats entre eux et sans que la moindre contradiction sérieuse ne s’y immisce. Il faudrait bien de la naïveté, dans ces conditions, pour s’étonner qu’il n’y ait nulle part dans le système la moindre force de rappel, pas même un commencement de régulation de la décence, la plus petite possibilité de sanction pour de si formidables contradictions, ni de ridicule pour de si gigantesques bouffonneries, dès lors que tous en sont convaincus et choisissent logiquement de s’en absoudre collectivement.

                           Et contradictoirement pourtant, ayant dit cela que la lucidité impose de toute manière, il faut bien de la tempérance pour ne pas s’ahurir de l’état de cette chose si dégradée qu’ils persistent, par une ironie sans doute involontaire, à appeler « la démocratie », et pour résister à la violente impulsion de leur demander ce que la dignité leur commanderait, s’ils en avaient deux sous : prendre des vacances. Et peut-être même disparaître.

                          • Notes

                          1. Marianne, Paris, 4-10 octobre 2008.

                          2. Ibid.

                          3. Le Monde, 15 octobre 2008.

                          4. Ibid.

                          5. Ibid.

                          6. Les Echos, Paris, 7 octobre 2008.

                          7. Laurent Joffrin, La Gauche Bécassine, Robert Laffont, Paris, 2007.

                          8. Libération, Paris, 24 septembre 2008.

                          9. « Lettre ouverte aux socialistes », L’Hebdo des socialistes, Paris, 12 septembre 2007.

                          10. Le Monde, 17 août 2007.

                          11. « “Il faut juguler la peur et sanctionner le risque” », Nouvelobs.com, 13 août 2007.

                          12. Les Echos, 27 juillet 2007.

                          13. La crise est patente dès le mois d’avril 2007, et le rapport Attali est publié en janvier 2008.



                          • galafrin 3 novembre 2014 21:05
                            Le problème c’est que l’économisme en tant que variations de commentaires sur une courbe c’est assomant et on a tendance à tout leur abandonner jusqu’à un certain point pourqu’ils arrêtent de nous enquiquiner.

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