• AgoraVox sur Twitter
  • RSS
  • Agoravox TV
  • Agoravox Mobile

Accueil du site > Culture & Loisirs > Parodie > Cuisine et dépendance

Cuisine et dépendance

L'absurde ménager

Pauvre de moi …

Au crépuscule de ma vie professionnelle, le temps est venu de faire un premier bilan tandis que j'ai encore assez de lucidité pour me livrer à cette nécessaire introspection. La vérité alors me saute aux yeux et c'est le rouge au front et la honte en étendard que je suis contraint de vous faire un terrible aveu.

J'avais déjà manqué le redoutable virage de la cinquantaine. Nulle Rolex au poignet : je faisais déjà parti des exclus de la galette, des incompétents notoires, des parasites chroniques. Je n'avais pas assez amassé, je n'avais pas profité du labeur des autres pour m'offrir cette marque de la vanité et de l'orgueil, j'étais un perdant …

Mais cette fois, la faute est plus lourde encore. Je suis mis au ban du commun, à l'écart de la norme, à la marge de ce qui doit être. Il me faut admettre la sombre réalité ; elle s'impose comme un constat d'échec, un bilan proche de la faillite d'une existence sans valeur. C'est à un aveu qui me coûte que je vais me livrer devant vous. Je souhaite que vous ne me tourniez pas le dos après cette confession si douloureuse.

Je n'ai jamais eu de cuisine aménagée. La chose peut vous paraître incroyable, impossible même ! Je devine des sceptiques parmi vous et même des lecteurs mettant en doute ma parole. Pourtant, je vous assure que c'est tout à fait exact. J'ai échappé à cette règle du bien-être ménager, cet incontournable du confort domestique. J'ai raté ma vie ; y compris dans les dépendances de mon intérieur intime, moi qui me prends à mes heures perdues pour un maître queux sans piano ni frisette, ni mandoline.

Les marchands indécents, les solliciteurs téléphoniques, les démarcheurs à la petite sonnette, les princes du prospectus auraient donc œuvré sans trêve ni jour de repos pour rien, ou du moins, pour me laisser sur le bord du chemin de la dépense incontournable ! Ma cuisine est faite de briques et surtout de broc, d'éléments disparates à l'esthétisme discutable, à la fonctionnalité improbable, à l'ergonomie déplorable.

Oui, je touche le fond, je suis au bord de la relégation. Comment pourrais-je montrer ma demeure à des gens qui ont tout le confort sans essuyer leurs sarcasmes et pour le moins un sourire condescendant ? Mais pire que cela encore : il me faut admettre par cette lacune détestable mon manque de civisme, mon refus de mettre la main à la poche pour la prospérité des marchands de soupe et de formica.

J'ignore tout du rangement rotatif des grosses gamelles, de la subtilité de tiroirs à coulisse, de la prodigieuse inventivité des empilements rationnels. Je vis dans la morosité d'une cuisine sans unité chromatique, sans subtilité électrique, sans ordonnancement robotique élaboré. Je me demande si je cuisine véritablement dans ce capharnaüm anarchique que constitue ma pauvre cuisine ou si je me contente de faire à manger, sans harmonie ni fantaisie. Il serait grand temps que l'Europe se préoccupe d'interdire de tels espaces insalubres ...

Oui, je reconnais que, chaque matin, en pénétrant dans cette expression manifeste de ma déchéance sociale, je comprends la vacuité de mon existence. Ma cuisine me montre du doigt : elle m'accuse de tous les maux d'une société qui prospère loin de ma présence. Je végète à petit feu, je passe à côté du grand souffle de la modernité. Je ne peux exposer les quelques robots ménagers dont je dispose : ils dorment silencieusement dans un tiroir si profond qu'ils n'en sortent jamais …

Le plus inacceptable pourtant, je ne vous l'ai pas encore dévoilé. Je ne dispose pas de la cafetière électrique incontournable, de la machine à fabriquer des capsules vides et une dépense toujours plus grande. J'ai regardé passer le wagon-restaurant de la folie domotique sans monter à son bord. Ma vie n'est qu'un champ de ruines : il n'y a rien à tirer de ce pauvre bougre. Je ne suis pas de la grande confrérie des amis d'expresso.

Je vous prie de ne pas me jeter la pierre. Je vous promets de tout faire pour remédier à cette inconcevable négligence. Dés demain, je me mets en quête de la dernière boîte à gogos. Je n'aurai d'ailleurs pas grand effort à faire, avec un tel billet : mon téléphone ne va pas cesser de vibrer à l'appel des indécents de la vente téléphonique.

Domestiquement vôtre.


Moyenne des avis sur cet article :  4/5   (20 votes)




Réagissez à l'article

12 réactions à cet article    


  • cevennevive cevennevive 16 mars 2015 11:16

    Salut C’est Nabum,


    Vous n’êtes pas seul, je vous l’assure, vous n’êtes pas seul !

    Plein de gens que j’ai côtoyés ont des cuisines rutilantes pour y faire chauffer des surgelés, bien incapables de faire une quiche lorraine ou simplement un gratin de macaronis...

    Mes gamelles s’empilent sur l’étagère d’un placard en bois de noyer, dont la date, inscrite au dos d’une des portes, est 1850. Elles y sont très bien et cuisent avec plaisir des petits plats mitonnés.

    Le coût d’une de ces cuisines modernes suffirait à nourrir toute une famille pendant un an !

    Je me souviens encore avec horreur de cette publicité pour les « arts de la table » où un couple jetait toute sa vieille vaisselle en rigolant. Quel cynisme !


    • C'est Nabum C’est Nabum 16 mars 2015 11:49

      @cevennevive

      J’espère qu’un jour nous aurons l’occasion de nous inivter dans nos modestes cuisines désordonnées.

      Les arts de la table ? Le surgelé n’en fait pourtant pas partie ...

      Merci 

    • cevennevive cevennevive 16 mars 2015 15:30

      @oncle archibald

      Effectivement, je n’ai pas de cafetière électrique, et je n’en veux pas. J’ai toujours de l’eau chaude sur la cuisinière à bois, je me demande pourquoi j’irais faire chauffer de l’eau dans une cafetière (ou une théière, encore plus dingue) électrique...

      Quant aux petits plats, gratins, tartes et pain frais, nul besoin d’électricité.

      Mais je suis tout de même heureuse que la fée électricité existe. Elle me permet de vous parler, de vous lire, et surtout d’éclairer mes soirées. Une bougie, ce n’est guère suffisant.

      Et puisque je suis en conversation avec vous, je veux vous dire que les commentaires que vous avez laissés sur un autre fil, à propos de la grève des médecins, représentent tout ce que j’en pense moi-même.

      Bien cordialement.


    • bourrico6 16 mars 2015 16:42

      1982 Tahiti suite au passage de Veena.
      - 1 mois sans école. (ne restaient que les murs en durs, ni toit ni fenêtre ni mobilier, rien)
      - Electricité et téléphone, 1 et 2 mois sans, mais je sais plus qui ou quoi. (tous les poteaux étaient à terre)

      En 1979 j’étais à Rangiroa, nous avions l’électricité car nous étions dans l’enceinte de l’Internat, mais pour les autres, pas l’électricité, un seul téléphone à la mairie, et quand je dis téléphone, c’est le machin ou il faut appuyer pour causer et dire « à toi » à la fin.
      Une seule station radio dont les émissions démarraient à 6h00 du mat par la marseillaise.

      Au final, tout ce matérialisme est très superflu, et on peut vite s’en passer.


    • TSS 16 mars 2015 11:21

      J’ai une cuisine amenagée mais j’ai tout fait moi même ,plan et execution ! elle ne doit

       rien aux cuisinistes... !!


      • C'est Nabum C’est Nabum 16 mars 2015 11:50

        @TSS

        C’est mieux

        Félicitations

      • Le p’tit Charles 16 mars 2015 11:34

        ++
        Bof...à défait de cuisine...faut vous ménager... ?
        humour !


        • C'est Nabum C’est Nabum 16 mars 2015 11:51

          @Le p’tit Charles


          Se ménager est tout un art qui a sa foire naturellement

        • Abou Antoun Abou Antoun 16 mars 2015 12:03

          C’est Nabum,
          A mon avis, notre ami Google étant ce qu’il est attendez vous à recevoir un maximum de pub dans les jours qui viennent.
          Maintenant, pour ce genre d’achat en général c’est Madame qui râle. Donc si elle ne dit rien faites le mort, sauf si vous êtes commis aux casseroles (ces choses là arrivent dans la vraie vie) dans ce cas il faut réfléchir et trancher.


          • C'est Nabum C’est Nabum 16 mars 2015 12:41

            @Abou Antoun

            Curieusement, je m’attendais à ce genre de chose. Ce billet est sorti depuis une semaine ailleurs et je n’ai reçu aucun appel
            Il y a crise du répérage téléphonique ...

            Quant à votre remarque, je traîne tellement de casseroles que c’est moi qui fait la cuisine

          • Olivier Perriet Olivier Perriet 16 mars 2015 20:20

            Je suis aussi surpris de cette mode :

            les cuisines intégrées restent attachées au logement, mais les goûts et les couleurs des précédents occupants il faut se les farcir. C’est dommage car c’est souvent tout neuf mais ce n’est pas forcément ton goût...

            On ne vend presque plus d’armoires de cuisine « à l’ancienne »


            • C'est Nabum C’est Nabum 16 mars 2015 20:37

              @Olivier Perriet

              Il y a dans cette pratique preque quelque chose qui relève de l’injonction sociétale
              Il faut avoir une cuisine aménagée ou alors, c’est la honte

              La pub fonctionne à plein dans de tel comportement absurde d’autant qu’il y a bien d’autres manières de faire un lieu agréable

              Merci

Ajouter une réaction

Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page

Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.


FAIRE UN DON



Publicité



Les thématiques de l'article


Palmarès



Publicité