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Accueil du site > Actualités > Economie > La politique monétaire de la BCE : géniale, rationnelle, ou nuisible ? (...)

La politique monétaire de la BCE : géniale, rationnelle, ou nuisible ? (2ème partie)

DEUXIEME PARTIE : Avait-elle le choix de lancer ou non un QE ? Verrez-vous un jour la couleur de l’argent ? La BCE face à la complexité croissante des économies.

Cet article fait suite à la première partie dont voici le lien : La politique monétaire de la BCE : géniale, rationnelle, ou nuisible ? (1ère partie) dans laquelle je développe quelques réflexions sur la création monétaire, la valeur d’une monnaie, les effets escomptés du QE. Cette deuxième partie pose surtout la question de la pertinence des politiques monétaires construites sur des certitudes que la crise récente met souvent en défaut, bousculant des causalités trop évidentes dans un monde devenu complexe.

Avait-elle le choix de se lancer ou non dans un QE ?

Cela fait déjà longtemps que la BCE laisse entrevoir un tel programme. On peut vraiment se demander pourquoi il arrive si tard et si elle avait vraiment le choix. Les principales banques centrales ont a leur manière, et depuis plusieurs années déjà, procédé à des opérations du même type (Japon, Angleterre, Etats-Unis), avec les objectifs et les effets que j’ai évoqué, pas toujours à la hauteur des espoirs. Alors fallait-il faire de même, au prétexte d’un euro fort qu’il faut à tout prix déprécier dans un contexte de guerre des monnaies et d’une inflation devenue négative en zone euro ?

Concernant l’euro, il a effectivement subi plusieurs phases de hausse qui coïncident plus ou moins avec le déclenchement des 3 QE américains ; cependant ces hausses ont été suivies par des phases de correction de même ampleur qui font qu’en moyenne, depuis début 2009, le change EURO/DOLLAR n’a pas fondamentalement changé, ayant même plutôt progressé dans le sens d’une baisse. Par conséquent, d’un point de vue purement technique, il paraît difficile de s’appuyer sur le fait que l’euro est devenu trop cher pour lancer ce QE, où alors pourquoi ne pas l’avoir fait plus tôt ? On peut aussi avoir une autre lecture, en considérant que l’euro est resté cher depuis qu’il a atteint son plus haut niveau en 2008, pénalisant petit à petit notre système de production ; alors il fallait réagir, mais si tel est le cas, la même question se pose, pourquoi aussi tard ?

Concernant l’inflation, il faut être vigilant, car l’exemple du Japon, très pédagogique, nous démontre qu’il est très difficile de sortir d’un processus déflationniste. Cependant, personne ne sait si on est à la fin d’une période de désinflation, avec dernièrement une contribution significative du prix du pétrole, ou si le processus tant redouté est désormais en marche. Comme on dit, mieux vaut prévenir que guérir !

Si on retient l’hypothèse qu’elle n’avait pas le choix, c’est peut-être tout simplement parce que les marchés l’attendaient, qu’il fallait une nouvelle fois ne pas les décevoir, que les principales banques centrales l’avaient fait, et qu’elle porterait une lourde responsabilité si le processus déflationniste venait réellement à se concrétiser. Bien évidemment, il n’y a aucune garantie sur quelque effet espéré que ce soit, les opérations antérieures ayant démontré leurs limites, entravées par les trappes à liquidités empêchant le bon écoulement de l’argent vers l’économie réelle. Trappes à liquidités ou canalisations percées, à vous de choisir la métaphore !

Cet argent ira-t-il un jour dans votre porte-monnaie ?

L’annonce d’un tel montant nous rentre par une oreille et ressort par l’autre, sans imprégner notre cerveau d’une quelconque réalité chiffrée et signifiante pour nous petits consommateurs, internautes, facebookeurs, qui au quotidien manipulons quelques dizaines d’euros tout au plus. Les 1140 milliards représentent 3400 euros par « eurozoneuropéen » et 13600 euros pour une famille de 4 personnes, malheureusement pas destinés directement à votre compte bancaire.

La recette « Mario » mélange des ingrédients aussi variés qu’un retour à une légère inflation, un euro affaibli pour booster les exportations, des prêts aux agents économiques toujours meilleurs marchés, des rachats de dettes pour alléger les bilans bancaires, et quelques arômes artificiels exogènes comme la baisse du prix du pétrole, espérant que les états apporteront la levure pour faire gonfler le gâteau. Mais le gâteau (l’économie) c’est nous, alors croyez-vous que ce mets délicieux dont on peut avoir quelques doutes sur un partage équitable, vous rendra plus riche dans deux ans ? Même si les entreprises retrouvant la santé qu’on leur promet préfèrent garantir ou améliorer leurs marges, nous devrions en récupérer une partie, grâce à un cercle vertueux qui conduira à suffisamment de croissance pour réduire le chômage et soutenir les salaires. En fait, je vais vous décevoir un peu, car cela me paraît trop simple et trop merveilleux. Si on pouvait enrichir un pays ou faire croître une économie par un processus de création monétaire, pourquoi les pays pauvres ne le font-ils pas  ? On note aujourd’hui une certaine reprise, mais celle-ci me paraît bien illusoire, bien artificielle, au regard des moyens dégages par les politiques monétaires ultra-accommodantes, auxquels s ajoute l’argent du financement de nos déficits éternels.

Les banques centrales ont tordu les causalités dans un monde devenu complexe !

Les grandes théories économiques des siècles passés (classique, néoclassique, keynésienne, etc.), bâties dans des environnements qui n’ont plus rien à voir avec le monde actuel et sur lesquelles beaucoup de politiciens et économistes se reposent encore, n’ont jamais pu être amendées par leurs auteurs afin de tenir compte de nouveaux contextes, notamment la mondialisation, la complexification de nos modèles de sociétés, la multiplication des réseaux (de toute nature), la densification des relations entre les acteurs économiques, l’accélération du temps économique, les interdépendances, les nouvelles technologies, etc.

La complexité est passée par là et les approches utilisées pour comprendre la dynamique des systèmes économiques n’ont pas évolué, restant plutôt dans une veine classique, réductionniste, laissant toujours de côté la vision globale, l’analyse ou l’approche systémique, largement négligées par les dirigeants et acteurs influents. Je ne m’étendrai pas sur la complexité, mais il y a un point qu’il est impératif d’intégrer dans nos réflexions : la complexité fait naître des propriétés émergentes que n’ont pas les éléments du système pris isolément. De ce fait, l’économie d’aujourd’hui, de par les multiples liens qui relient les sous-systèmes, ne peut se comprendre sans l’aide de nouveaux outils et de nouvelles méthodes d’analyse et de pensée. Tout cela pour dire que les mécanismes n’opèrent peut-être pas aujourd’hui comme ils opéraient hier dans un monde moins complexe.

Ainsi, ce que l’on croyait vrai hier, peut s’avérer faux aujourd’hui, et ce que l’on croit vrai aujourd’hui pourrait s’avérer faux demain. Le monde est bousculé, chamboulé, tourneboulé, renversé, les banques centrales par leurs politiques non conventionnelles devant en assumer une part de responsabilité.

  • Quel brillant économiste a conçu un modèle ou une théorie prenant pour hypothèse que plus les états sont endettés, plus le coût des emprunts d’état diminue et plus les acteurs économiques sont enclins à leur prêter ? Aujourd’hui c’est la quasi-gratuité (taux à 10 ans proche de zéro !), dans un contexte où les dettes explosent, augmentant théoriquement les risques de défaut.
  • Quel prix Nobel a anticipé que des prêteurs accepteraient en ces temps de crise de perdre de l’argent en prêtant à des états impécunieux (taux à court terme devenus négatifs), considérant qu’il y avait moins de risque à détenir de la dette souveraine d’états en quasi-faillite, que de conserver cet argent sur un compte bancaire ou sous un oreiller !
  • Quel brillant politicien a lu un manuel d’économie l’instruisant que toutes les classes d’actifs pouvaient augmenter parallèlement (actions, obligations, immobilier), mettant en défaut le jeu habituel des vases communiquant, à savoir que quand certains actifs montent, d’autres baissent. (nous sommes entrés depuis longtemps dans des systèmes de création de bulles, particulièrement aux Etats-Unis)
  • Quel banquier central, magicien de l’ombre, doté de ce don mystérieux à faire couler la monnaie à partir de rien, a été alerté même dans ses rêves les plus fous que le principe de causalité entre la planche à billets et l’inflation pouvait dans certains contextes être remis en cause ?(on apprend bien à l’école que faire tourner la planche à billet sans rapport avec les fondamentaux économiques crée de l’inflation !). L’inflation aux Etats-Unis reste maîtrisée malgré les 3 QE et la zone euro est menacée de déflation en dépit d’un gonflement significatif du bilan de leurs banques centrales.

Je vous le dis, on marche sur la tête …

Conclusion

Cette opération était attendue par les marchés, toujours soucieux des garanties offertes pour entretenir une euphorie anesthésiante . Or cette politique correspond à un véritable dogme, fondé sur des axiomes (par définition non démontrables), qu’il faut renouer avec un peu d’inflation pour retrouver de la croissance, des taux à zéro pour relancer les investissements. La complexité croissante d’une économie mondialisée transforme des causalités linéaires en causalités circulaires, où les causes et les effets se confondent. On a l’impression que les certitudes ont la vie dure, que la pensée économique est restée figée dans un monde qui évolue vite, trop vite par rapport aux capacités d’adaptation des Hommes.

Alain Desert


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12 réactions à cet article    


  • lsga lsga 16 mars 2015 15:04

    « Les grandes théories économiques des siècles passés (classique, néoclassique, keynésienne, etc.), bâties dans des environnements qui n’ont plus rien à voir avec le monde actuel et sur lesquelles beaucoup de politiciens et économistes se reposent encore, n’ont jamais pu être amendées par leurs auteurs afin de tenir compte de nouveaux contextes, notamment la mondialisation, la complexification de nos modèles de sociétés, la multiplication des réseaux (de toute nature), la densification des relations entre les acteurs économiques, l’accélération du temps économique, les interdépendances, les nouvelles technologies, etc. »

     
    Vous devriez lire Marx : la mondialisation, la complexification, la multiplication des réseaux, la densification des relations économiques, accélération du temps économiques, les interdépendances, et les nouvelles technologies : c’est le point de départ de sa réflexion. 

    • alain-desert alain-desert 16 mars 2015 15:34

      @lsga
      Mais à son époque on ne parlait pas de mondialisation et autres nouvelles propriétés de notre monde bien agité !


    • lsga lsga 16 mars 2015 17:21

      bien sûr que si. Les auteurs libéraux comme Ricardo et Smith, non. Mais Marx, oui. 

       
      Exemple : 
      « Par l’exploitation du marché mondial, la bourgeoisie donne un caractère cosmopolite à la production et à la consommation de tous les pays. Au grand désespoir des réactionnaires, elle a enlevé à l’industrie sa base nationale. Les vieilles industries nationales ont été détruites et le sont encore chaque jour. Elles sont supplantées par de nouvelles industries, dont l’adoption devient une question de vie ou de mort pour toutes les nations civilisées, industries qui n’emploient plus des matières premières indigènes, mais des matières premières venues des régions les plus lointaines, et dont les produits se consomment non seulement dans le pays même, mais dans toutes les parties du globe. A la place des anciens besoins, satisfaits par les produits nationaux, naissent des besoins nouveaux, réclamant pour leur satisfaction les produits des contrées et des climats les plus lointains. A la place de l’ancien isolement des provinces et des nations se suffisant à elles-mêmes, se développent des relations universelles, une interdépendance universelle des nations. »
       
      Le développement des réseaux et des moyens de communication est au COEUR de sa réflexion sur le processus révolutionnaire. 
      Le développement technologique, qui est incompatible avec le Capitalisme, c’est simplement le centre de sa critique du Capitalisme. 
       
      Je vous conseille de lire cette très courte définition de la composition organique du Capital (qui pour Marx, est la vrai cause de la baisse tendancielle du taux de profit), et ensuite de regarder ce magnifique reportage américain sur l’abolition du travail (le mot d’ordre Marxiste par excellence).
       
      Marx avait 150 ans d’avance sur son temps, c’est tout le problème. 
      Pour lui, le 20ème siècle devait nécessairement être celui de Ricardo et Smith. Rappelons qu’il soutenait les libre-échangistes (on dirait les « néo-libéraux » aujourd’hui) contre les bismarckiens et les réformistes (on dirait les keynésiens et les gauchistes aujourd’hui.)
       
      Enfin, si pour vous, Marx est un peu trop fort en café ; je vous conseille de lire Schumpeter, qui a fait une reformulation petite bourgeoise et tronquée de ses théories. 

    • alain-desert alain-desert 16 mars 2015 20:50

      @lsga
      Merci pour le texte et les références. N’accorde-t-on pas trop d’importance aux théories du passé qui appliquent des modèles linéaires qui ne sont plus vraiment pertinents dans un monde complexe.


    • Pascal L 17 mars 2015 12:56

      @alain-desert
      Vous pouvez lire Marx, sa pensée est toujours plus pertinente que celle des économistes néoclassiques actuels. Mais surtout, éviter de lire les marxistes qui n’ont pas compris grand chose à Marx. Lui-même se déclarait comme non-marxiste.


    • Le p’tit Charles 16 mars 2015 15:09

      NUISIBLE...la démonstration est faîte depuis longtemps...


      • alain-desert alain-desert 16 mars 2015 15:28

        @Le p’tit Charles
        Bonjour. Au moins vous êtes constant dans vos remarques. Oui leur capacité de nuisance est sans limite comme leur planche à billets !


      • Le p’tit Charles 16 mars 2015 16:17

        @alain-desert...La planche à billet est pour les banques bien sur.. !


      • zygzornifle zygzornifle 17 mars 2015 08:33

        La BCE va faire va imprimer des billets de 0€ pour que tout le monde puisse enfin avoir de l’argent......


        • Pascal L 17 mars 2015 13:42

          Il me semble qu’il manque une analyse des méthodes de création monétaire dans votre analyse.

          Les économistes néoclassiques continuent de penser que la monnaie est neutre dans l’économie, mais ce n’est plus vrai depuis l’abandon des « monnaies-troc », comme les monnaies basées sur l’or.
          L’instabilité économique créé par la monnaie a été théorisé dans les années 80 par Minsky et modélisé dans les années 90 par Keen. Keen n’a pas eu besoin de faire des modélisations complexes pour arriver à modéliser les crises successives de 2000, 2008 et la prochaine… Ce n’est pas difficile, il suffit de surveiller la dérivée de Total Crédit/PIB (la variation de la croissance du ratio). Si ça monte, il faut s’inquiéter.
          Steve Keen a par ailleurs montré le lien entre variation du crédit et chômage. Les Etats sont prisonniers d’une augmentation continuelle du crédit s’ils veulent éviter les crises sociales mais le paiement des intérêts finit par les étouffer.

          Les économistes néoclassiques, trop accrochés à leur dogmes, sont au contraire obligés de faire de nombreuses contorsions pour faire rentrer la réalité dans les dogmes. Leurs modèles introduisent des éléments circonstanciels qui n’ont pas grand chose à y faire et ces modèles deviennent incompréhensibles.

          De mon point de vue, il y a deux faiblesses dans les règles actuelles de création monétaire.
          1) la création de la monnaie scripturale est devenu largement majoritaire et se fait exclusivement pas de la dette. On doit pouvoir appuyer cette création sur de la création de richesses (investissement, infrastructures) sans faire de prêt dont le coût financier est exorbitant relativement au cycle de développement (parfois plusieurs dizaines d’années). La création monétaire par le crédit ne crée pas d’inflation, mais la la réduction monétaire qui résulte du paiement des intérêts (ou du remboursement pour éviter les intérêts) crée de la déflation.

          2) la création monétaire et faite exclusivement par les banques. La monnaie doit être la propriété des utilisateurs et les représentants légitimement élus sont manifestement les mieux placés pour gérer la monnaie. Qu’il y ait eu des abus à une époque appelle des corrections, mais pas la confiscation. On a argué des coefficients multiplicateurs (voir Bâle III) pour confier les quantitative easings aux banques, mais dans la réalité, cela s’est passé bien différemment. Aux USA les QE n’ont pas atteint leur objectif et une petite partie des QE seulement s’est retrouvé sur les comptes des entreprises et des particuliers. Les banques n’ont pas changé leur méthodes pour faire des prêts et l’investissement n’en n’a pas profité. Les QE auraient été beaucoup efficaces si cet argent avait été mis sur les comptes des entreprises et des particuliers.

          • alain-desert alain-desert 17 mars 2015 18:23

            @Pascal L
            Merci pour ces commentaires. Je suis en train de lire Steve Keen. Je suis assez d’accord avec le démontage qu’il entreprend à l’encontre des théories néclassiques. Je suis adepte de l’analyse systémique et ces théories ne tiennent pas compte des phénomènes liés à la complexité des systèmes (propriéts émergentes, boucles de rétroaction, chaos, instabilité, etc..)


          • Pascal L 17 mars 2015 23:05

            @alain-desert
            « Je suis adepte de l’analyse systémique » 

            Je le suis également, mais dans le cas présent, à part quelques économistes comme Keen qui maîtrisent les équations différentielles, l’analyse dynamique est totalement absente de l’économie. 
            Il faut bien commencer par le début. D’autre part, si nous voulons convaincre qu’un changement est indispensable, la précision n’est pas nécessaire. Il faut produire des raisonnements facilement accessibles, même s’ils masquent la complexité réelle des phénomènes. Dans ce domaine, les décisions ne sont pas prises par des ingénieurs ; ils ne sont même pas écoutés. Le travail des ingénieurs reste nécessaire pour la suite, quand il faudra mettre au point de nouveaux systèmes financiers. Maintenant que l’on sait qu’un système financier a une forte influence sur le fonctionnement de l’économie, nous ne devons pas nous priver de créer quelque chose d’utile et efficace.

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