• AgoraVox sur Twitter
  • RSS
  • Agoravox TV
  • Agoravox Mobile

Accueil du site > Tribune Libre > Féminisation des mots : trouble dans le langage

Féminisation des mots : trouble dans le langage

Retour sur cette info : le mot chef ne peut pas être féminisé. Son origine latine ne le permet pas. Conséquemment l’usage du féminin cheffe est un non-sens linguistique et grammatical. Il n’existe nulle part de cheffe. Pourquoi ?

La cheffe est morte, vive le chef !

Dans la décennie 1980 la France, par son gouvernement d’alors, crée une commission pour la féminisation du langage dans les titres, grades et professions. Un décret signé par Lionel Jospin en 1998 impose cette féminisation et sanctionne même son non-usage dans les débats de l’Assemblée Nationale.

Première observation : on est tombé sur la tête. Depuis quand une force politique pourrait-elle manipuler le dictionnaire ? Le gouvernement français n’a aucune compétence ni rôle dans l’évolution de la langue. C’est un abus de pouvoir et une décision autoritaire.

Une langue ne doit pas être soumise au bon vouloir et aux lubies des politiciens. L’évidence veut que l’on soustraie la langue, bien commun à tous les habitants d’un pays ou d’une région, aux aléas des majorités politiques qui se succèdent au pouvoir. Quand un pouvoir change le dictionnaire, on est dans les prémisses de 1984 et de la novlangue. Il ne devrait donc pas prendre de décisions portant sur l’évolution d’un idiome. Et l’on comprend que si des politiciens se permettent cela, si l’exemple de la suprématie idéologique sur l’intelligence et de l’arbitraire sur la règle vient de si haut, les élèves n’aient plus rien à foutre de l’orthographe ni de la discipline à l’école (la France étant l’un des pays cancres de l’OCDE sur ce dernier point).

Le mot chef, comme brièvement mentionné hier, vient du latin caput, mot de genre neutre : « Du lat. class. caput « tête » [par l'intermédiaire d'un lat. vulg. *capum, -i attesté au viies., v. TLL s.v. 384, 40-41], « extrémité (d'où début) », « ce qui est important (notamment d'un écrit) », « celui qui est à la tête de, auteur  ».

Il désigne matériellement la tête, mais sert aussi de métaphore pour indiquer la notion de commandement. Un homme peut prendre « la tête » d’un groupe. Il peut dire : « Je suis la tête pensante ». Il n’est pas féminisé pour autant. Et quand une femme dit « Je suis le chef » cela ne laisse en rien penser qu’elle soit un homme. Ce mot ne peut être féminisé puisqu’il est neutre à l'origine, le neutre étant destiné à éviter la sexuation et la ségrégation causées par les genres masculin et féminin.

français,langue,épicène,féminisation,Genre marqué, genre non marqué

L’Académie Française suit et valide ou non l’évolution de la langue. Elle veille à ce que cette évolution suive certaines règles de base afin de rester compréhensible par tous. Le développement d’une langue est un processus long et complexe. Il ne peut être confié à quelques groupuscules politiques.

L’Académie avait recommandé que les noms de métiers soient féminisés - elle-même en tient compte dans son dictionnaire - mais que les fonctions abstraites restent au masculin non marqué, forme supplétive au neutre, et n'appartiennent pas à des personnes spécifiques femmes ou hommes. Car le français a progressivement abandonné le neutre hérité du latin, même s’il en reste quelques traces. Le « il » peut désigner une personne de sexe masculin ou un fait neutre comme dans « il neige » ou « il faut ». Le contexte ou le sens décide et c’est une des beautés de la langue française de disposer d’autant de nuances. En allemand le neutre est largement répandu. Il ne s’agit donc pas d’une question idéologique et la thèse d’une volonté de rendre les femmes invisibles socialement est paranoïaque. Pourquoi en français et pas en allemand ? Et pas en anglais où le « you » vaut pour le masculin et le féminin, le singulier et le pluriel ?

Il n’y a pas de volonté systémique et universelle d’écarter les femmes. Il se trouve qu’en français le masculin a absorbé la forme neutre. Il y a en réalité deux masculins : le marqué et le non marqué. Le masculin non marqué, dans « L’Homme » par exemple, n’est pas spécifique aux personnes de sexe masculin. Il est extensif et universel. Par contre dans la phrase : « un homme et son épouse traversent la rue » le mot homme est marqué. Il désigne uniquement une personne de sexe masculin, il est donc intensif et amène à une distinction ou une forme de ségrégation. C’est ce qui fait dire à l’Académie : « Le choix systématique et irréfléchi de formes féminisées établit au contraire, à l’intérieur même de la langue, une ségrégation qui va à l’encontre du but recherché  ».

Le masculin non marqué est le neutre actuel. Dans ce sens personne n’imagine que l’expression Droits de l’Homme ne concernerait pas les femmes. Le féminin est toujours un genre marqué puisqu’il introduit une spécificité morphologique. Le féminin ne concerne que les femmes, à la différence du masculin qui, dans sa fonction extensive, non marquée, représente l’ensemble des humains des deux sexes. Si l’on voit cela comme une discrimination alors il faut réinventer la forme neutre. Qui sait, dans cinq siècles ? Retenons ici que l’Académie Française considère que la féminisation systématique est contraire à l’esprit et à certaines règles de la langue et qu'elle établit une ségrégation dans le langage et dans la réalité sociale.

français,langue,épicène,féminisation,Invisibles ?

Les noms de métiers sont pour beaucoup féminisés de longue date. Le terme chanteuse existe depuis le XVIIe siècle, et chanteresse depuis presque mille ans. Pourtant cantatrice, par exemple, n'a pas de masculin. Rappelons ici que la volonté de féminiser la langue a accouché d’une barbarie, le langage épicène ou à double genre masculin et féminin. Les unes écrivent le féminin en ajoutant un tiret, d’autres un point, d’autres des parenthèses. Ce qui dans tous les cas subordonne la forme féminine à la forme masculine, le féminin n'étant graphiquement, symboliquement, qu'un appendice caudal ou un ersatz du masculin. D’autres, plus cohérents, écrivent les deux formes dans la même phrase : « les électeurs et les électrices ».

Les fonctions étant non sexuées, elles sont écrites au masculin non marqué. « Le juge est une femme » est une expression juste. Par contre les professions peuvent suivre les différences sexuées. Cela clarifie même la communication. La féminisation tient compte de l’évolution récente des métiers qui pour la plupart n’existaient pas au XIXe siècle. Mais ce n’est pas tout : la politisation s’en mêle. Des féministes l’affirment, relayées ici par Anne Dister de l’Université de Louvain-la-Neuve en Belgique : « La volonté déclarée des auteurs du décret était d’assurer la visibilité des femmes à travers la langue. En effet, l’utilisation d’une seule forme, au masculin, pour désigner les hommes et les femmes dans l’exercice de leur profession occulte la place qu’occupent aujourd’hui les femmes dans le monde du travail.  »

Les femmes étaient-elles donc invisibles ? Cela fait partie de la mythologie victimaire. En réalité la visibilité n’était pas la même selon que l'on était femme ou homme. La répartition des pouvoirs se traduisait par le règne des femmes sur la maison et l’éducation, et celui des hommes sur la défense donc sur la politique. Les femmes travaillaient dans les exploitations agricoles (95% de la population était rurale), étaient artisanes, marchandes, etc. L’industrie a ensuite favorisé les nouveaux métiers et a eu besoin du travail des femmes. Ce sont des directeurs hommes qui engageaient des femmes en masse dans les grands magasins et les usines françaises du passé. On est très loin d’une oppression et d’une mise à l’écart généralisées, économique et sociale, des femmes. En réalité celles-ci ont toujours eu une vraie place et une vraie visibilité dans la société. Les histoires des femmes se sont racontées dans les familles.

français,langue,épicène,féminisation,Changement à la carte ?

Aujourd'hui l'Académie a assoupli sa position :

« Cependant, la Commission générale de terminologie et de néologie considère – et l’Académie française a fait siennes ces conclusions – que cette indifférence juridique et politique au sexe des individus « peut s’incliner, toutefois, devant le désir légitime des individus de mettre en accord, pour les communications qui leur sont personnellement destinées, leur appellation avec leur identité propre. » Elle estime que, « s’agissant des appellations utilisées dans la vie courante (entretiens, correspondances, relations personnelles) concernant les fonctions et les grades, rien ne s’oppose, à la demande expresse des individus, à ce qu’elles soient mises en accord avec le sexe de ceux qui les portent et soient féminisées ou maintenues au masculin générique selon le cas ». La Commission générale conclut justement que « cette souplesse de l’appellation est sans incidence sur le statut du sujet juridique et devrait permettre de concilier l’aspiration à la reconnaissance de la différence avec l’impersonnalité exigée par l’égalité juridique ».

Dès lors si l'on privilégie l'usage sur la règle le mot cheffe, bien que neutre dans son origine latine, pourrait être féminisé bien qu'il représente une fonction et non une personne. Ce n'est pas le pire. Le mot entraîneuse n'est pas lu comme féminin d'entraîneur... Selon le degré de victimisation ou de.

L'Académie rappelle enfin :

« L’application ou la libre interprétation de « règles » de féminisation édictées, de façon souvent arbitraire, par certains organismes français ou francophones, a favorisé l’apparition de nombreux barbarismes.

 Il convient tout d’abord de rappeler que les seuls féminins français en -eure (prieure, supérieure...) sont ceux qui proviennent de comparatifs latins en -or. Aussi faut-il éviter absolument des néologismes tels que professeure, ingénieure, auteure, docteure, proviseure, procureure, rapporteure, réviseure, etc. Certaines formes, parfois rencontrées, sont d’autant plus absurdes que les féminins réguliers correspondants sont parfaitement attestés. Ainsi chercheure à la place de chercheuse, instituteure à la place d’institutrice. On se gardera de même d’user de néologismes comme agente, cheffe, maîtresse de conférences, écrivaine, autrice... L’oreille autant que l’intelligence grammaticale devraient prévenir contre de telles aberrations lexicales.

Enfin, seul le genre masculin, qui est le genre non marqué (il a en effet la capacité de représenter les éléments relevant de l’un et de l’autre genre), peut traduire la nature indifférenciée des titres, grades, dignités et fonctions. Les termes chevalière, officière (de tel ordre), députée, sénatrice, etc., ne doivent pas être employés ».

L'Uni Genève et l'Académie française recommendent de réfléchir davantage avant de transformer le langage pour des enjeux politiques. Un clip pour ados témoigne de la confusion ambiante - on pourrait écrire, paraphrasant une certaine madame Butler : « Trouble dans le langage » (ciel, un Alzheimer culturel ?). On se dirige peut-être vers des changements de grammaire et de vocabulaire à la carte, pour convenance personnelle, ou motivés par le degré de victimisation réelle ou supposée que vivent les chefs des mouvements victimaires. Ne faudrait-il pas plutôt réhabiliter la forme neutre originelle, afin d'éviter les barbaresques néologismes et autres épouvantables épicénats ?

 

Image 2, Académie Française. Image 4, Corine Diacre, entraîneuse du Clermont Foot.


Moyenne des avis sur cet article :  2.71/5   (28 votes)




Réagissez à l'article

11 réactions à cet article    


  • baron 27 mai 2015 14:14

    Ce que l’on se demande c’est jusqu’ou iront toutes ces conneries, il y a une impression de no limite. 

    Si au nom d’une égalité qui devient glauque, tout le monde y compris les pires détraquées vont faire des rèclamations.ça pas être triste.
    Bon, tout le monde s’en fout globalement de ces délires, mais quand auront été réalisé tout les fantasmes.
    On passe à quoi après ? On autorise le canibalisme, la nécrophilie, le droit des individus en état de mort cérébrales à porter un enfant et pourquoi pas à l’élever
    Au nom de l’égalité on peut tout faire.
    On passe de la tolérance à la promotion de toutes les tares de l’humanités.
    Ça craint pour l’avenir des futurs générations si elles arrivent à survivre à l’expansionnisme de la connerie humaine,,car elle est sans limite.
    Celui qui a le fantasme d’avoir un enfant avec des couilles de chiens ou un museau, n’a plus qu’a demander, c’est open bar pour les délirants, que eux ne voit pas qu’ils délirent c’est normal,,mais que les gens sensés acceptent c’est dingue ...
    Il y a des cerveaux malades, qu’est ce qu’on peut bien avoir à foutre du genre d’un mot ? Franchement, il faut être tocqué et sacrémement se faire chier dans la vie, pour voir du mâle partout.

    • JC_Lavau JC_Lavau 27 mai 2015 16:29

      Mes chers confrères, mes chères connessoeurs, au nom de la volonté de tous les téléspectateurs et tateuses, il ne saurait exister de cheffes de gangs ni de gangstères, alors que des cheftaines de gangs ça ferait rigoler. Certes on rencontre des imposteurs, mais les imposteuses ne sauraient exister, pour cause de barbarisme.

      Ma môman voulait qu’on masculinise « chipie » en « chipien ». Doit-on aussi masculiniser « harpie » et « Gorgone » ?

      Et « charlatane » à son sujet, c’est bon, ou c’est un barbarisme masculiniste réactionnaire et patriarcal ?


      • Jean J. MOUROT Jean J. MOUROT 27 mai 2015 16:34

        On peut être féministe sans maltraiter la langue française ! La langue ou le langage ? Les femmes parleraient la langue française et les hommes un langage français ?


        • baron 27 mai 2015 17:55

          Ce qui est dingue c’est que l’on commence par s’attaquer aux mots, la suite est connue, on censure ou on brule les livres, on s’attaque aux arts, puis au monuments religieux, puis aux monuments tout court.

          On peut aussi détruire les pyramides c’est trop genré la dedans.
          Ces gens là, ouvrent la voie aux pires dérives humaines, ils en seront les victimes bien entendu. Mais pour eux c’est l’égoisme ègocentrè et l’hédoniste immédiat qui compte.
          Ils ne voient pas que les,sociétés humaines sont de fragiles édifices qui nécessitent beaucoup d’efforts, de vigilances et d’équilibre pour subsister.
          Ce sont les jeunes et les fururs générations qui paieront le prix fort de ces lubies. 
          Il fallait laisser du temps beaucoup de temps probablement des siècles pour avancer.
          Il y aura un retour de balancier, en matière de moeurs et de société, la précipitation entraine toujours la chute puis une renversement brutal ....
          Ces gens sont des fous qui ne voient ni ne comprennent rien à rien. 
          Comme si s’exhiber à poil sur un char allait changer le monde et crer un ordre établi durable.
          Il fallait profiter des avancés déjà acquises et constuire l’avenir.
          Les civilisations humaines s’effondrent toujours dans le sang, le pourrissement, par les moeurs et l’’argent, la suite sera tristement biblique et ce n’est pas dans 30 ans....
          C’est de la folie tout ça

          • Xenozoid 27 mai 2015 18:04

            @baron
            le fait que les mots fasse un context est évident, maintenant que des mot défasse un context et le remplace l’est moins, mais présent, c’est le pouvoir


          • Orélien Péréol Orélien Péréol 27 mai 2015 22:23

            Il est faux de dire que tout est dans l’origine et qu’il n’y a pas d’évolution possible. Vous écrivez, à propos du mot chef : « Ce mot ne peut être féminisé puisqu’il est neutre à l’origine, »Ben voyons ! Rien ne peut changer, comme ça sort, ça reste.Un ruisseau. Merde !Une source, elle devient un affluent. Merde !Un fleuve. Merde !Une rivière. Ouf. Vous voyez bien que j’avais raison.Une rivière, qui vient d’une source est un cours d’eau. Merde merde et remerde.Qu’est-ce qui se passe ? on ne peut plus compter sur l’origine pour parler des choses, des mots ou des choses ?Pour un article documenté : Grammaire : le masculin et le féminin


            • Orélien Péréol Orélien Péréol 27 mai 2015 22:31

              Vous écrivez : « Le mot chef, comme brièvement mentionné hier, vient du latin caput, mot de genre neutre : « Du lat. class. caput « tête » [par l’intermédiaire d’un lat. vulg. *capum, -i attesté au viies., v. TLL s.v. 384, 40-41], « extrémité (d’où début) », « ce qui est important (notamment d’un écrit) », « celui qui est à la tête de, auteur  ». »Sont liés à cette origine caput  :

              capitaine (plutôt masc mais qu’on peut employer au féminin sans transformation)
              une capitale (imprimerie, ou d’un pays) ce qui ne serait pas possible selon hommelibre et qui existe cependant
              un chevet,
              un cheveu, mais une chevelure... etc.
              un chapeau, un casque et une casquette.... etc.

              • nemotyrannus nemotyrannus 27 mai 2015 22:38

                Pourquoi faire un drame de la féminisation des mots , pour peu qu’ils soient agréables à l’oreille , j’y vois pas d’inconvénients.

                De plus ça permet de se faire une idée plus précise de quelle type de personne on parle , ici on sait qu’on aura à faire à une femme.

                Par contre la « feministisation » du sens des mots est bien plus dramatique.
                C’est ainsi qu’on bourre le mou des étudiants en socio en leur apprenant que le sexisme/racisme ne peuvent pas toucher les hommes/blancs PAR DÉFINITION...

                • credohumanisme credohumanisme 28 mai 2015 15:05

                  Reste que « le cafetier à pris la cafetière sur le comptoir » ça peut être ambigu :)


                  • JC_Lavau JC_Lavau 31 mai 2015 23:59

                    Je m’interroge aussi : le féminin de « porc-épic », c’est porque-épique ou truie-épique ?
                    Enfin bref, les piquants de la porque-épique sont bien trop longs pour être admis à mon bord, qui est si petit. Et d’ailleurs elle a peur de l’eau.


                    • JC_Lavau JC_Lavau 24 juin 2015 10:51

                      Un leader, une lideuse.
                      Ne pas confonde avec l’hideuse. Quoique, en féminisme...

Ajouter une réaction

Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page

Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.


FAIRE UN DON



Publicité




Palmarès



Publicité