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Victor Hugo l’Européen, monument de la culture française (2)

Deuxième partie : « Utopie, soit. Mais qu’on ne l’oublie pas, quand elles vont au même but que l’humanité (…), les utopies d’un siècle sont les faits du siècle suivant. » ("Le Rhin", 1842).



Après avoir brossé très rapidement la trajectoire politique de Victor Hugo, je propose de m’arrêter sur un discours très important prononcé par Victor Hugo à l’Assemblée Nationale Législative.


Le discours du 19 octobre 1849

Revenons en effet à 1849. Le 30 juin 1849, les troupes françaises entrèrent dans Rome, et le 2 juillet 1849, la ville était aux mains de la papauté. Louis Napoléon Bonaparte a finalement aidé le pape à revenir à Rome. C’était Pie IX (1792-1878), béatifié en même temps que Jean XXIII le 3 septembre 2000 par Jean-Paul II non sans polémique. La France avait envoyé initialement ses troupes quelques semaines avant pour protéger la République romaine. L’expédition française commandée par le général Victor Oudinot a été votée par l’Assemblée Constituante le 16 avril 1849 et ce sujet fut l’un des thèmes électoraux des élections du 13 mai 1849.

Victor Hugo avait voté pour l’expédition : « [L’Assemblée Constituante] vota l’expédition de Rome dans ce but d’humanité et de liberté (…) ; elle vota l’expédition afin de mettre l’épée de la France là où allait tomber le sabre de l’Autriche ; (…) nous votâmes l’expédition romaine afin qu’il ne fût pas dit que la France était absente, quand, d’une part, l’intérêt de l’humanité, et, d’autre part, l’intérêt de sa grandeur l’appelaient afin d’abriter en un mot contre l’Autriche Rome et les hommes engagés dans la République romaine, contre l’Autriche qui, dans cette guerre qu’elle fait aux révolutions, a l’habitude de déshonorer toutes ses victoires (…) par d’inqualifiables indignités ! (…) Eh bien ! Je le déclare, et je voudrais que ma parole, en ce moment, empruntât à cette tribune un retentissement européen, les exactions, les extorsions d’argent, les spoliations, les fusillades, les exécutions en masse, la potence dressée pour des hommes héroïques, la bastonnade donnée à des femmes, toutes ces infamies mettent le gouvernement autrichien au pilori de l’Europe ! » (19 octobre 1849).

Mais il s’opposa au changement d’objectif : « Le 2 juillet [1849], l’armée est entrée dans Rome. Le pape a été restauré purement et simplement (…). Le gouvernement clérical a ressaisi Rome. (…) Dès ses premiers pas, l’autorité cléricale, acharnée aux réactions, animée du plus aveugle, du plus funeste et du plus ingrat esprit, blessa les cœurs généreux et les hommes sages, et alarma tous les amis intelligents du pape et de la papauté. (…) On se demanda si c’était pour cela que nous étions allés à Rome, si la France jouait là un rôle digne d’elle, et les regards irrités de l’opinion commencèrent à se tourner vers notre gouvernement. (…) Vous avez devant vous, d’un côté, le Président de la République réclamant la liberté du peuple romain [par sa lettre du 18 août 1849] au nom de la grande nation qui, depuis trois siècles, répand à flots la lumière et la pensée sur le monde civilisé ; vous avez, de l’autre, le cardinal Antonelli refusant [par le motu proprio du 12 septembre 1849] au nom du gouvernement clérical. Choisissez ! (…) Il est bon d’avoir à l’esprit que le motu proprio a paru peu libéral au cabinet autrichien lui-même (…) ! » (19 octobre 1849).

Victor Hugo avait applaudi le 16 juin 1846 l’élection de Pie IX, considéré comme le candidat des cardinaux progressistes au conclave mais qui s’avéra par la suite devenir très conservateur (son pontificat dura plus de trente et un ans et fut le plus long de l’histoire de la chrétienté après saint Pierre), et il en avait son éloge le 13 janvier 1848 à la Chambre des Pairs : « Cet homme qui tient dans ses mains les clefs de la pensée de tant d’hommes, il pouvait fermer les intelligences, il les a ouvertes. Il a posé l’idée d’émancipation et de liberté sur le plus haut sommet où l’homme puisse poser une lumière. (…) Pie IX enseigne la route bonne et sûre aux rois, aux peuples, aux hommes d’État, aux philosophes, à tous. » (en séance).

Mais quelques mois plus tard, Victor Hugo avait quelques inquiétudes sur la poursuite de ce pontificat : « Réconcilier Rome avec la papauté, faire rentrer, avec l’adhésion populaire, la papauté dans Rome, rendre cette grande âme à ce grand corps (…), ce doit être là désormais (…) l’œuvre de notre gouvernement (…). Mais pour cela, il faut que la papauté, de son côté, nous aide et s’aide elle-même. Voilà trop longtemps déjà qu’elle s’isole de la marche de l’esprit humain et de tous les progrès du continent. Il faut qu’elle comprenne son peuple et son siècle… (…) Deux censures pèsent sur la pensée, la censure politique et la censure cléricale ; l’une garrotte l’opinion, l’autre bâillonne la conscience. On vient de rétablir l’inquisition. Je sais bien qu’on me dira que l’inquisition n’est plus qu’un nom ; mais c’est un nom horrible et je m’en défie, car à l’ombre d’un mauvais nom, il ne peut y avoir que de mauvaises choses ! (…) Il faut (…) que [la papauté] se garde de son pire ennemi ; or, son pire ennemi, ce n’est pas l’esprit révolutionnaire, c’est l’esprit clérical. L’esprit révolutionnaire ne peut que la rudoyer, l’esprit clérical peut la tuer. (…) On pousse le pape dans une voie fatale ; on le conseille aveuglément pour le mal ; ne pouvons-nous le conseiller énergiquement pour le bien ? » (19 octobre 1849).

Ces arguments contre la papauté sont intéressants à lire avec plus de cent cinquante ans de recul. Certains sont toujours d’actualité, d’autres restent toujours aussi caricaturaux. On notera en tout cas le grand sens de la formule (très apprécié de ses collègues députés qui l’ont souvent applaudi), une expression exceptionnellement synthétique et percutante. On retrouve d’ailleurs le même état d’esprit que chez Voltaire.

Victor Hugo a montré avec ce discours un esprit vif et clair, capable de reformuler les enjeux majeurs, tout en évoquant un sujet qui est devenu, un siècle plus tard, la cause de la chute d’une future République : « Nous avons un intérêt à Rome, un intérêt sérieux, pressant, (…) c’est de nous en aller le plus tôt possible. Nous avons un intérêt immense à ce que Rome ne devienne pas pour la France une espèce d’Algérie, avec tous les inconvénients de l’Algérie sans la compensation d’être une conquête et un empire à nous (…). » (19 octobre 1849).

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Tout le discours de Victor Hugo fut à la fois incisif et subtil. Défendre le pape tout en fustigeant le gouvernement papal : « Pour pouvoir évacuer Rome, quelle est la première condition ? C’est d’être sûr que nous n’y laissons pas une révolution derrière nous. Qu’y a-t-il donc à faire pour ne pas laisser la révolution derrière nous ? C’est de la terminer pendant que nous y sommes. Or, comment termine-t-on une révolution ? (…) C’est en l’acceptant dans ce qu’elle a de vrai, en la satisfaisant dans ce qu’elle a de juste. Notre gouvernement l’a pensé, et je l’en loue (…). Le Saint-siège pense le contraire ; il veut, lui aussi, terminer la révolution, mais par un autre moyen, par la compression. (…) C’est à vous [députés] de voir s’il vous convient que la France soit au Capitole pour y recevoir la consigne du parti prêtre ! (…) Je ne veux ni de cette humiliation pour nos soldats, ni de cette ruine pour nos finances, ni de cet abaissement pour notre politique. Messieurs, deux systèmes sont en présence : le système des concessions sages, qui vous permet de quitter Rome ; le système de compression, qui vous condamne à y rester. Lequel préférez-vous ? » (19 octobre 1849).

Républicain et patriote, Victor Hugo l’a montré par la conclusion de ce grand discours du 19 octobre 1849 : « Ce qui n’est pas possible, c’est que cette France ait engagé une des choses les plus grandes et les plus sacrées qu’il y ait dans le monde, son drapeau ; c’est qu’elle ait engagé ce qui n’est pas moins grand ni moins sacré, sa responsabilité morale devant les nations ; c’est qu’elle ait prodigué son argent, l’argent du peuple qui souffre ; c‘est qu’elle ait versé, je le répète, le glorieux sang de ses soldats ; c’est qu’elle ait fait tout cela pour rien !… Je me trompe, pour de la honte ! Voilà ce qui n’est pas possible ! ». L’armée française resta à Rome jusqu’au 20 août 1870, date à laquelle elle fut mobilisée pour la guerre franco-allemande déclarée le 14 juillet 1870, ce qui a abouti à la prise de Rome le 20 septembre 1870 (et à la fin des États pontificaux). Quant au Second Empire, il se termina en déroute militaire le 4 septembre 1870 avec la proclamation de la République par Léon Gambetta.


L’éducation pour tous

Comme l’éducation est un sujet très actuel avec la réforme du collège, il est intéressant de voir quelles étaient les positions de Victor Hugo sur ce sujet essentiel. Comme pour les autres enjeux, Victor Hugo épluchait les arguments à la lame fine.

Devant les députés de l’Assemblée Nationale Législative, Victor Hugo a en effet proclamé le 15 janvier 1850 quelques principes qui furent repris par Jules Ferry : « Pour moi, l’idéal de cette question de l’enseignement, le voici. L’instruction gratuite et obligatoire. Obligatoire au premier degré seulement, gratuite à tous les degrés. L’instruction primaire obligatoire, c’est le droit de l’enfant, qui, ne vous y trompez pas, est plus sacré encore que le droit du père et qui se confond avec le droit de l’État. (…) Un grandiose enseignement public, donné et réglé par l’État, partant de l’école de village et montant de degré et degré jusqu’au collège de France, plus haut encore, jusqu’à l’Institut de France. Les portes de la science toutes grandes ouvertes à toutes les intelligences. Partout où il y a un champ, partout où il y a un esprit, qu’il y ait un livre. Pas une commune sans école, pas une ville sans un collège, pas un chef-lieu sans une faculté. Un vaste ensemble, ou, pour mieux dire, un vaste réseau d’ateliers intellectuels, lycées, gymnases, collèges, chaires, bibliothèques, mêlant leur rayonnement sur la surface du pays, éveillant partout les aptitudes et échauffant partout les vocations. En un mot, l’échelle de la connaissance humaine dressée fermement par la main de l’État, posée dans l’ombre des masses les plus profondes et les plus obscures, et aboutissant à la lumière. Aucune solution de continuité. Le cœur du peuple mis en communication avec le cerveau de la France. Voilà comment je comprendrais l’éduction publique nationale. » (en séance).

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En énonçant cet idéal, Victor Hugo savait que ce n’était pas forcément réalisable, car cet idéal serait très coûteux pour les finances publiques, mais on ne peut rien réaliser si l’on n’a pas une vision vers où tendre son action. C’est assez frappant historiquement, c’est que c’est exactement l’idéal mis en œuvre par Jules Ferry quelques décennies plus tard, ce qui montre une vision exceptionnelle de l’avenir à long terme de la France où les utopies ne sont jamais …des folies !

Et l’autre utopie hugolienne très connue, ce fut bien sûr la construction européenne, objet du prochain et dernier article.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (22 mai 2015)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Victor Hugo le politique.
Victor Hugo le républicain.
Victor Hugo l’Européen.
L’élection présidentielle de décembre 1848.
Napoléon III.
Pour l’abolition de la peine de mort.
L’Europe, c’était la guerre.
L’Europe, c’est maintenant la paix.
Jean Jaurès.
Actes du Colloque sur Victor Hugo au Sénat (15 et 16 novembre 2002).

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1 réactions à cet article    


  • Captain Marlo Fifi Brind_acier 26 mai 2015 20:44

    Les européistes encensent Victor Hugo pour ses idées européennes, sans dire que le but était de s’unir pour piller et coloniser le reste de la planète...

     

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