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Jules Jeanneney bousculé par le nouveau pouvoir qu’il a promu

Comme nous l’avons vu, lors de la séance au Sénat du 8 juillet 1940, le président Jules Jeanneney a vivement recommandé à ses collègues la personne du maréchal Pétain, garant non seulement de "l’autorité des valeurs morales", mais de "l’autorité tout court". Nous savons également qu’il n’a guère bronché devant Pierre Laval venu l’initier à ce que serait la suite, c’est-à-dire la remise, proposée aux deux Assemblées, des pleins pouvoirs à Pétain, et donc, indirectement à Laval…

Mais, revenu à son Journal, le bon Jules se prend à réécrire un peu l’Histoire. Voici ce que nous y trouvons à la date du 10 juillet 1940, jour où s’effondra la République :
« On eut dû amender encore le texte du gouvernement. On l’aurait pu, si depuis trois semaines, la carrière n’avait pas été laissée libre aux néo-nazistes et si, ce matin [devant l’Assemblée nationale réunissant le Sénat et la Chambre des députés], une personnalité qualifiée du centre ou de la droite avait élevé la voix pour constater que les institutions républicaines n’ont démérité que parce qu’on les a perverties et que, au premier rang de ceux qui en dénoncent la faillite, se trouvent de grands coupables - de grands profiteurs aussi - de cette perversion. »

Il n’y a plus de communistes, mais il y a les amis d’Hitler… Décidément, Jules Jeanneney parle d’or… et ne se sent pas le moins du monde impliqué !... Mieux, il se risque à conclure avec le plus grand aplomb :
« Cette voix a manqué. C’est dommage. Elle eut pu préserver l’Assemblée de l’"entôlage" qu’elle semble bien avoir subi. » (page 98)

"Entôlage" ! Allons bon… Par qui donc ? Certainement pas par notre Jules à nous, qui mène une lutte terrible contre Pétain et Laval depuis si longtemps ! Ah, si on l’avait écouté… "On eut dû amendé…" Mais, d’ailleurs, on l’a fait un peu, et sans doute trop tardivement, c’est-à-dire en un moment où l’"entôlage" était irréversible… D’où cette amère constatation d’un Jules qui n’est pour rien dans tous ces malheurs :
« Même amendé, comme il l’a été en séance, le texte des pleins pouvoirs donnés au Maréchal a de quoi inquiéter en soi. De plus, le Maréchal n’a pas paru. Il a donné à Laval pouvoir de le représenter. Il est au Pavillon. C’est Laval qui a conduit toute l’opération et continuera à la gouverner. Il y a de quoi faire peur. » (page 98)

Et c’est vrai qu’il a un tout petit peu la trouille, notre héros :
« Il serait normal qu’ayant présidé la séance je m’abstienne au vote final. » (page 98)

Entre deux chaises, quoi…

Encore que, en y réfléchissant mieux… Ne serait-il pas possible de s’agripper un tout petit peu à une certaine forme de courage ?...
« Mais en raison de la gravité du cas j’étais disposé à voter, comme j’ai fait en quelques circonstances, et à voter bleu [Note de Jean-Noël Jeanneney  : C’est-à-dire contre le texte]. » (page 98)

Et donc à ne pas appuyer publiquement un Pétain qu’il avait toujours soutenu dans la coulisse !...

Jules, aura-t-il failli être le premier résistant de France ?... Le 8 juillet, aplati en séance devant Pétain (Laval ?) au Sénat, et le 10 brandissant, devant la réunion du Sénat et de la Chambre des députés, l’étendard du "non" !

C’est beau… Mais ce "non" n’est que dans le Journal… qui nous donne la suite :
« J’ai donc fait prier Herriot aussitôt après l’ouverture du scrutin, de venir me parler au fauteuil et lui ai dit mon sentiment, avec insistance. Je le sentis troublé : mais il expliqua que des amis de la région lyonnaise et lui avaient convenu de "s’abstenir volontairement" et qu’il jugeait préférable de s’en tenir là. Je m’en tins moi-même à ne pas prendre part au vote. » (page 98)

La résistance de Jules Jeanneney - dévoué serviteur de l’autorité, morale et autres, du maréchal Pétain - aura donc très vite viré à la pantalonnade, si pas pire. Certes, Léon Blum a essayé de repeindre le tableau pour sauver tout ce qui pouvait encore l’être du président du Sénat. Le résultat est plutôt mitigé. Qu’on en juge, puisque Jean-Noël Jeanneney, le petit fils de Jules, a pris le parti de faire figurer en note un extrait des Souvenirs du leader socialiste :
« Tout le scénario avait été réglé d’avance avec une minutie savante. Laval redoutait, à juste titre, l’impartialité et la fermeté morale de M. Jeanneney, le Président du Sénat, auquel une disposition expresse de la Constitution attribuait la présidence de l’Assemblée Nationale [c’est-à-dire de la réunion du Sénat et de la Chambre des députés]. Mais il connaissait aussi son attachement un peu cérémonieux à la forme et le faible état de sa santé. Dès le premier engagement, M. Jeanneney fut donc attaqué, bousculé, avec une brutalité de boxeur, par Fernand Bouisson, ancien président de la Chambre, ancien et présent ami de Laval, qui réduisit le malheureux Jeanneney au silence, et s’empara haut la main de la direction effective. » (page 443)

Remember les députés communistes…


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