Les taxis premières victimes de la « Gig society » ?
« Gig » : emploi temporaire, petit boulot. Une « Gig society » est une société où tout devient temporaire, provisoire, incertain : l’emploi, l’amour, la vie…
Les échauffourées récentes entre les chauffeurs de taxi traditionnels et d’autres non professionnels représentent un révélateur d’un changement fondamental de la façon d’exercer un travail rémunéré. Le chauffeur qui va vous conduire peut être occasionnel, il peut avoir plusieurs activités de natures très différentes, il peut organiser sa vie à sa guise. Sa formation n’est pas forcément accompagnée d’un diplôme, son apprentissage peut se faire au fil de l’eau. L’employeur, qui grâce à un logiciel performant met en contact client et chauffeur, s’assure de la qualité des prestations. Chauffeur de Taxi ne sera plus bientôt une profession de plein droit. Des voisins du client, des proches, des relations, des inconnus contactés via Internet peuvent être mis à contribution. Cette formule est a priori applicable à tous les services, en particulier ceux très importants concernant l’aide aux personnes. Elle remet en cause radicalement les relations sociologiques classiques « patron/salarié » jusqu’à ôter leur pertinence aux analyses politiques et sociologiques classiques : les relations dominant/dominé semblent réécrites. Une autre organisation sociale se dessine dans laquelle les structures traditionnelles n’ont plus cours. L’ancestrale « lutte des classes » paraît en particulier impossible tant le prolétariat est émietté et les décideurs inaccessibles.
L’intrusion du provisoire ne se restreindra pas au secteur des services. Les « savants », les chercheurs, ont suivi jusqu’à maintenant de longues et souvent difficiles études. Mais les savoirs sont maintenant rendus plus facilement (et très souvent plus clairement) accessibles par Internet. Les bases de données permettent de consulter les trésors culturels et scientifiques et d’en discuter avec autrui. Les cours et formations peuvent être choisis parmi une multitude d’enseignants, ce qui permet de sélectionner celui qui vous convient le mieux. Le savoir, la création, l’innovation peuvent être dématérialisés. La production matérielle peut ensuite être commandée à des pays tiers spécialisés pour ce faire. La nouvelle division internationale du travail qui se met en place au niveau mondial est partie prenante de ce processus.
Exit donc les emplois définis et pérennes.
L’émergence d’une société de l’instant est-elle détectable dans d’autres secteurs ?
Les États-Nations tendent inévitablement à disparaître lors de la « mondialisation ». Celle-ci ne peut d’ailleurs se mettre en place que lorsque les structures étatiques sont suffisamment affaiblies. Un partage différent des tâches voit alors le jour. Les politiques élus démocratiquement ont pour principale fonction d’assurer le bien-être de leurs électeurs (du moins verbalement). Les « marchés » donnent la direction à suivre et imposent les contraintes. Ces derniers, à l’abri des atteintes du suffrage universel, peuvent obliger à d’immenses efforts des classes ciblées de population. Cette structure dyarchique conduit à deux conséquences. L’une consiste à une redistribution massive des activités en faveur de pays dits émergents ; l’autre à une augmentation très significative des inégalités dans les pays riches comme pauvres
Exit les États-Nations … mais aussi la Démocratie ;
Le nombre de divorce rapporté au nombre de mariage est d’environ 50% depuis une dizaine d’années, avec une progression constante. Dans le même temps le nombre de mariages décroissait de 15%. Dans le domaine familial également, la précarité s’installe !
Père (ou mère) devient un « petit boulot » qui ne dure que le temps d’une attirance réciproque ou d’une passion. Si un couple n’est pas capable d’affronter une difficulté, même immense, il y a tout lieu de s’interroger en effet sur sa raison d’être. L’école, les garde d’enfants, le travail partagé homme-femme facilitent la dissolution de liens dits indissolubles. L’effet mécanique le plus important de la gig-éducation des enfants est d’uniformiser, de standardiser celle-ci : le lien familial qui s’estompe ne permet plus de montrer la richesse des différences.
Exit la famille …
La vie est considérée comme le bien le plus précieux. La collectivité consacre d’énormes efforts pour tenter de porter remède aux innombrables infections ou accidents qui mettent en péril un individu grâce à des prélèvements sociaux. Depuis 20 ans, la dépense totale de santé progresse plus rapidement que l’activité économique, entraînant une hausse de la part du total des richesses produites consacrée à la santé. Les États étranglés par les dettes financières peuvent de moins en moins assurer un service égalitaire de santé. Les technologies les plus récentes, les médicaments les plus avancés sont de plus en plus réservés à ceux qui ont les moyens de les payer. On s’oriente vers une « individualisation » des soins en fonction des contributions versées à un organisme collecteur qui sera de plus en plus privé.
Exit la sécurité sociale pour tous …
L’ « individualisation » du droit à la vie se retrouve également dans le droit à la mort. Le Code de Hammurabi interdisait l'avortement dès 1750 av. J.-C. L’Église catholique condamna, et condamne encore, l’avortement et menace d’excommunication tout contrevenant afin de respecter l’embryon dès sa conception. Dans la clandestinité une myriade de « faiseuses d ‘anges » allait cependant pratiquer leur besogne dans une plus ou moins grande impunité. Une Loi dite Veil du 17 janvier 1975 autorise l’avortement et précise que le délai légal de l'Interruption Volontaire de Grossesse (IVG) est de 10 semaines de grossesse. L’allongement du délai légal de recours à l’IVG de 10 à 12 semaines a été ensuite adopté. À 12 semaines un fœtus possède des organes vitaux partiellement formés et les cellules nerveuses se multiplient et se relient entre elles. Même si les raisons invoquées pour pratiquer l’avortement réglementé peuvent être excellentes, il s’agit bien de supprimer un être en formation. Et les problématiques se rejoignant, la réglementation des fins de vie est appelée à évoluer, les soins des dernières années étant dispendieux.
Exit le respect absolu de la vie
La « gig society » concerne donc tous les aspects qui constituent notre façon d’être et de penser. Les lois du marché sont censées prendre en charge les aspects matériels mais aussi moraux de notre vie. Religions, philosophies, idéologies sont considérées comme non pertinentes voire nuisibles. Depuis des temps immémoriaux il était considéré souhaitable de penser avant de faire : ce ne sera plus demandé : le bon sens du marché vous guidera sans faille. Mais ce marché n’est-il pas animé par un habile manipulateur ? Croyez-vous que chacun de vos messages, chacune de vos connections Internet, chacun de vos voyages, chacune de vos relations soient soigneusement stockés au sein de monstrueux ordinateurs pour ne rien en faire ? Derrière la main invisible du marché, il y a une tête électronique. « Big Brother » devient votre nouveau Dieu, provisoire bien entendu, mais mathématiquement infaillible.
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