Coupés du Monde
Se prendre les pieds dans la toile ...
Le réseau en rade …
Nous vivons une époque résolument moderne, ne cesse d'affirmer notre ami Philippe Meyer ; à juste titre d'ailleurs, tant nous sommes capables de faire d'une pauvre souris une montagne et d'un cataclysme un événement qui passera inaperçu. L'échelle des valeurs est un curieux promontoire : plus nous sommes nombreux à y monter, moins notre perception des choses, fixe des yeux l'essentiel. Il est vrai que notre prisme ne doit être que le bout de notre nez, nez qui ne s'allonge que pour le factuel, le dérisoire, l'information d'une totale vacuité.
N'en soyons pas choqués : ce bilan est le double résultat d'une nature humaine qui reste désespérément collée à son petit bout de jardin, à son espace vital et d'autre part, à la volonté farouche des maîtres du monde d'abrutir le peuple pour continuer à lui faire accepter l'inacceptable : un système qui mène la planète et l'humanité à leur perte. La convergence de ces deux effets nous transforme en bêtes égoïstes, idiotes et sans empathie.
Je ne suis guère différent de la masse du troupeau. Je bêle parfois pour des broutilles et me laisse tondre comme tous les autres malgré la haute estime que je peux avoir de moi-même. Nul n'échappe au conditionnement, pas même celui qui se croit capable de le voir venir, se donne des airs en refusant ce qu'il finit par accepter de manière déguisée. Rares sont, hélas, les véritables résistants, les combattants de la mondialisation, les francs-tireurs du modernisme, les apôtres de la décroissance. Seuls, ceux-là sont dans le vrai mais pour l'heure, ils prêchent dans le désert de notre cécité collective.
Ce long et indigeste préambule pour vous dire que l'orage, la foudre, la tempête maintenant se sont abattus sur la côte landaise et qu'en corollaire, le lien magique qui nous unit à nos lointaines connaissances est rompu. La vague s'est écrasée, la toile s'est déchirée devant les éléments en furie et surfer devient impossible, y compris pour les experts de la chose sur clavier. C'est la catastrophe ; les dieux nous tombent sur la tête et la migraine qui s'ensuit est épouvantable.
Une journée durant j'ai été comme une épave à la dérive cherchant vainement un petit signe d'éventuels sauveteurs. Les yeux rivés sur la clef 3G à la recherche d'un signe de vie, j'espérais que cesse le maléfice, l'ensorcellement technique ! Hélas, l'écran n'affichait que ce terrible voyant rouge, annonciateur d'une absence d'écho parmi le monde encore civilisé. Et ainsi, la journée durant, nous fûmes des milliers de naufragés à chercher un signe lointain en oubliant de nous serrer les coudes parmi les survivants de cette îlot devenu désert.
Pauvre de nous, coupés de nos sites, de nos contacts, de nos familles ou de nos amis virtuels, incapables de donner la seule nouvelle qui vaille : » Nous sommes ! » Qu'importe d'ailleurs ce que nous étions, nous voulions signifier notre présence et, en ce jour noir entre tous, nous ne le pouvions pas. Comment savoir s'il faut du pain, où se trouvent les enfants, qui a envie d'aller au cinéma, ce qui passe justement dans les salles voisines, que deviennent ceux qui sont partis le matin même et quelles sont les prévisions météorologiques. Autant de banalités qui passent par cette toile d'araignée numérique qui chapeaute nos vies.
Il faut se résoudre à vivre une seconde journée de silence. Les techniciens n'ont rien pu faire ; nous errons comme des âmes en peine, le réseau demeure silencieux. Que vont s'imaginer ceux qui nous suivent régulièrement, qui attendent de nos nouvelles avec inquiétude ? Vaste question sans réponse. Plus rien n'existe en dehors de l'espace dans lequel nous devons subir les assauts du vent et de la pluie, sans même pouvoir envoyer au monde interloqué des photographies saisies sur le vif, des commentaires édifiés sur la violence des flots et de la force du vent.
À quoi bon vivre quand on ne peut plus le faire savoir en direct ? Le réseau est en rade, l'existence ne tient plus qu'à un fil, celui du bon vieux téléphone qui demeure aux abonnés absents. L'heure est grave, la planète a dû cesser de tourner, nous n'avons plus Internet !
Numériquement vôtre.
Ce billet et le précédent ont été mis en ligne grâce à des abonnés Bouygues. Mon cher et inefficace opérateur SFR demeure inoppérant une fois de plus après 48 heures de silence.
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