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Un tout petit peu plus loin, en bas, à gauche

L’heure est grave et commande à chacun de se draper dans ses oripeaux d’expert en géopolitique, sécurité intérieure, théologie appliquée et rituels funéraires. Mais le flux oblitère le cerveau, je reste l’œil rivé dans le petit bout de la lorgnette, éloignée du théâtre des opérations, comme je l’étais déjà des épicentres de la mondialisation heureuse.

De toute manière, des experts, il y en a déjà partout, à la télé, dans les journaux et sur les terrasses des cafés, bleus de froid, blancs de peur et rouges de colère. Et toute la gamme des avis, des opinions, a été jouée, des témoignages les plus poignants aux remugles les plus répugnants.

 

Un tout petit peu plus loin, en bas, à gauche, j’ai regardé mon chat mourir.

Enfin, non, j’ai voulu retarder l’inéluctable, le temps de me rendre compte qu’il y a d’autres flux, d’une indifférence inexorable, qui ne suspendent même pas un instant leur vol. La vie, la mort, tout ça. Le grand chrono du temps qui nous mastique, nous recrache et nous avale enfin.

C’était un sacré chat, un marqueur historique. D’avant Charlie, d’avant Daesh, d’avant Sarko et sa sombre clique, d’avant la baffe à Jospin et d’un Le Pen au second tour. D’avant même la chute des deux tours et le commencement de la guerre éternelle contre le terrorisme.

 

Il est arrivé chez nous comme le font les chats, par effraction. Elle nous avait fourgué la panière deux étages dans laquelle il n’a jamais daigné s’installer, un lion en peluche façon Crédit Lyonnais qu’il étranglait avec une belle constance, un immonde sweat à capuche en polaire en guise de matelas et que j’utilise toujours comme veste d’intérieur et nous a collé le matou dans les pattes en déclarant :

Je vous le laisse un mois, deux au pire, le temps d’aller voir l’amour de ma vie, et je le reprends.

Des deux propositions de cette phrase, l’une était forcément fausse.
Elle n’est donc jamais revenue.

 

Les chats, ça ne s’apprivoise pas. Ça ne s’adopte pas. Ça ne se dresse surtout pas. C’est un peu comme un coloc’ : des fois ça colle tout de suite, des fois pas du tout. Avec lui, ça a été compliqué. D’abord parce qu’il s’était déjà choisi une maitresse, une maison et une vie et ce n’était pas chez nous. Il nous l’a bien fait payer : attentats urinaires, re-décorations murales, rideaux ajourés et meubles labourés. On a fini par s’habituer à notre nouvelle déco de squatteurs et au service serpillère à la demande. On a bien essayé le coup du retour à l’envoyeur. On avait programmé un aller simple par avion au-dessus de l’Atlantique et paf, nos petites affaires se prennent les pieds dans la grande Histoire, c’est le 11 septembre 2001 et les restrictions de vol, de nouvelles règles sanitaires et impossible de renvoyer le mauvais coucheur avec son mal des transports sans le condamner à mort à l’arrivée.

Alors il reste. Il voit mourir notre premier chat et arriver un nouveau rescapé, toujours un peu tombé du ciel, puis un bébé et un déménagement qui sera la révélation pour cet animal né dans une grande ville : la campagne, immense, rien que pour lui, son terrain de jeu et d’exploration.

 

Les chats, ça ne s’apprivoise pas, ce sont eux qui finissent par nous adopter. Peut-être qu’un jour, il a estimé qu’il nous avait suffisamment bien dressés. La gosse a grandi avec lui, on s’est tricoté des tas de petites habitudes, de codes, de gestes, de rituels. Et toutes ces choses inracontables : les jeux, les calins, les siestes d’hiver, les séances cinéma maison avec les genoux retournés, la taxe féline sur les découpes de poulet, les modulations de miaulement, les embuscades derrière les portes, les inspections de cartons, paniers, sacs, même les trucs ridiculement trop petits, la course au soleil, le partage des prises de guerre ou même cette manière unique de montrer son agacement d’une petite tape sans sortir les griffes.

Autant de petits vides et de grandes absences à présent.

Comme me le disait ce matin mon père au téléphone quand j’ai eu fini de lui raconter l’ultime visite chez le véto :

C’est marrant, ça faisait longtemps que nous n’avions pas eu une conversation sans parler de politique !


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15 réactions à cet article    


  • Abou Antoun Abou Antoun 28 novembre 2015 11:26

    Il faut bien parler aussi des choses de la vie.
    Le chat est bien tel que vous le décrivez. Avec les humains il n’a pas la mentalité ’collabo’, c’est ce qui fait son charme.


    • Hector Hector 28 novembre 2015 13:06

      Mon chat est mort il a environ un an, empoisonné par un voisin qui en avait assez de se faire gratter la platebande et de se faire faner les fleurs.
      Il avait sept ans, beau chat roux en pleine force de l’age, avec des joues rondes comme des pommes.
      Je l’ai eu tout petit, il avait à peine deux mois, tout juste sevré, à tel point que je me demandais si sa mère n’allait pas lui manquer pour de bon.
      Il ne m’a jamais quitté, sauf pour ses promenades nocturnes à la minette desquelles il revenait toujours.
      Ce jour là il s’est arrêté à quelques mètres de la porte d’entrée.
      On voyait bien à ses pattes avant tendues qu’il avait tenté un dernier effort pour avancer un peu encore en vain.
      J’en ai eu le cœur meurtri et ma peine est encore vive.
      J’ai retrouvé dans votre description tout ce qui avait fait le charme de cette relation et j’en avais les larmes aux yeux.
      Ah ! les embuscades derrière la porte, les coups de pattes et les câlins du soir.
      Et tout le reste.
      Mais je n’ai pas déménagé et je ne pense pas partir de sitôt. Alors je n’aurai pas d’autre compagnon, il risquerait de me survivre.
      Merci pour ce joli témoignage animalier, rare sur le site.


      • Monolecte Monolecte 28 novembre 2015 14:02

        @Hector
        Ça, c’est super affreux. À moment donné, le voisin se plaignait que le chat faisait ses griffes sur le siège de son tracteur. On a eu peur qu’il lui règle son compte, mais en fait non. Il avait lui-même adopté un chaton et avait assez mal vécu de le retrouver aplati sur la route.

        Un type capable de faire du mal à un animal pour son petit confort, j’aurais un mal de chien à cohabiter avec…


      • Hector Hector 28 novembre 2015 15:58

        @Monolecte
        Moi aussi, j’ai du mal à ne pas lui sauter à la gorge quand je la croise dans la rue. Il faut parfois beaucoup de courage pour être lâche.


      • hunter hunter 28 novembre 2015 18:44

        @Hector

        Salut,

        Ce genre de personnage qui se plait à tuer des animaux pour des peccadilles, ne mérite que mépris !

        Je ne sais pas comment est ce voisin, mais en général ce genre de type est maladivement attaché à sa bagnole, aussi je vous suggère pour bien l’atteindre, d’effectuer un petit « sabotage » à sa précieuse caisse (genre une bonne petite rayure bien profonde au tournevis.......il y a plein de solutions, je vous laisse juge.....), et il sera plus atteint encore que vous ne le fûtes par la mort de votre chat, avec laquelle je compatis sincèrement !

        Il faut frapper le con là où il a le plus mal, et puis l’avantage, c’est qu’aucune vie n’est atteinte, car n’en déplaise à ce genre de gens, leurs bagnoles ne sont que des machines, et donc pas vivantes.

        Adishatz

        H/


      • Hector Hector 29 novembre 2015 08:39

        @hunter
        Bonjour Hunter,
        J’ai imaginé des tonnes de scenarii mais je ne me résous pas à passer à l’acte et pourtant ce serait d’autant plus facile que c’est une femme déjà âgée.
        Je ne la salue plus lorsque nous nous croisons et je vois bien qu’elle sait parfaitement pourquoi.
        Je la déteste mais j’ai aussi pitié d’elle.
        Il y a vingt ans, peut être aurais-je été plus méchant mais je sais aujourd’hui que des représailles ne changeraient rien à son comportement et la vengeance n’est pas mon fort.
        Mais vous avez à coup sur raison, une rayure sur sa voiture, je crois qu’elle en mourrait de chagrin.
        Merci en tous cas de votre soutient.


      • Agafia Agafia 29 novembre 2015 13:53

        @hunter

        Une bonne giclette de lookeed de frein sur la carrosserie, c’est pas mal non plus.
        Mais me connaissant, je l’aurais attaqué de front ! Onn ne tue pas un membre de ma famille sans morfler sévère.

      • Monolecte Monolecte 29 novembre 2015 19:12

        @Agafia
        Je pense que mieux que la tentative de meurtre, il y a le fait d’énoncer clairement et calmement ce que l’on pense de la personne bien en face. Ça jette un bon froid polaire et ça a le mérite d’être clair.
        Par contre, faut savoir se contrôler.


      • Radix Radix 28 novembre 2015 13:32

        Bonjour Monolecte

        Merci pour cette respiration bienvenue après ce déferlement d’experts ès-attentat largement autoproclamés.

        Vous ne seriez pas un peu belge une fois ?

        Radix


        • Monolecte Monolecte 28 novembre 2015 14:03

          @Radix
          Mon père est ch’picard, ça doit être ça !


        • hunter hunter 28 novembre 2015 18:32

          Bonjour Monolecte,

          Très très beau texte, plein de pudeur, parfaitement écrit, mais chez vous c’est une constante, une habitude que je ne manque jamais de louer.

          Ça fait plaisir de lire quelque chose qui ne parle pas d’attentats, de guerre, de politique........c’est par overdose de toutes ces substances toxiques, que je ne regarde plus la télé.

          J’espère que ce pauvre chat n’a pas trop souffert, et je pense savoir que la tristesse doit vous peser (à chaque fois qu’un de mes animaux part, j’en chie pendant des jours......), alors je vous soutiens de loin, mes humbles pensées, puissent-elles vous accompagner !

          Maintenant il est temps de me taire et de vous remercier une dernière fois pour ce bel hommage à ce compagnon d’une tranche de votre vie.

          Adishatz

          H/


          • Monolecte Monolecte 28 novembre 2015 18:57

            @hunter
            C’est un peu rude. Y a le côté affectif, mais il y a surtout la déshabituation : chaque fois que je rentrais à la maison, il me faisait la fête, presque pire qu’un clébard ou le fait qu’il demandait très régulièrement à entrer ou sortir, le fait qu’il venait tout le soir sur mes genoux (moins en été, où il guettait le moment du hamac pour venir se blottir).
            Bref, il était très présent, ce qui fait de sa mort une très grosse absence qui se rappelle à moi plusieurs fois par jour, au gré des actes quotidiens où il ne manquait jamais de se manifester.



            • Agafia Agafia 29 novembre 2015 14:19

              Bonjour Monolecte,


              Je vous accompagne car je sais combien est difficile de perdre un compagnon à quatre pattes.

              Lundi soir, un de mes amis inquiet a vu son jeune chat revenir en se trainant, une patte arrière totalement détruite. Plaies ouvertes, peau et muscle arrachés, multiples fractures ouvertes.
              Nous l’avons conduit en urgence à la clinique accessible 24h/24. 
              Après examen, le véto a conclu à l’attaque d’un chien et a comparé les dégâts à une blessure de guerre. Tous les os fracturés. Premiers soins et observation. Mon ami devait choisir entre tenter une opération compliquée exigeant, plaques, broches, vis, etc. ou une amputation avec la pose d’une plaque sur l’os du bassin qui a morflé. Sans vouloir l’influencer, j’étais pour l’amputation. A mon avis mieux vaut pas de patte du tout, qu’une patte douloureuse, difficile à utiliser.
              Le destin a choisi pour lui, le véto a du amputer en urgence car la gangrène s’installait. 
              Ayant eu une chienne amputée, qui m’a bluffée, j’ai rassuré mon ami. Son chat, comme tous les animaux, fera preuve d’une adaptabilité à cette nouvelle donne qui lui permettra de vivre sa vie de chat sans trop de séquelles, d’autant plus qu’il a 8 mois et qu’il compensera aisément la perte de ce membre. C’est triste, mais il est en vie, et il surmontera d’autant plus qu’il est entouré d’affection et mon ami sera aux petits soins pour lui.

              Tout ça pour vous dire que ce drame a occupé nos esprits toute la semaine, que malgré d’autres problèmes (panne de voiture, etc) c’était le souci number one monopolisant toutes nos conversations, que j’ai vu mon ami extrêmement attristé, inquiet, hypersensible à l’idée que son pauvre minet souffre. Et encore tout hébété de l’avoir vu ainsi, le corps lésé, déchiré...
              Nos chats, nos animaux prennent beaucoup de place dans notre vie, et leur disparition laisse toujours un grand vide.

              Quand cela m’arrive, je me console en me disant que je lui aurais offert la meilleure vie possible, et qu’il aura été heureux près de moi.

              Merci pour votre joli texte et pour cet hommage à votre félin. smiley

              • Monolecte Monolecte 29 novembre 2015 19:20

                Tous les proprios de chats craignent aussi les bagnoles, les chiens et les crétins.
                Dans mon coin, il y a également les chasseurs.

                Je me souviens d’une fois où mon chat (le même) avait disparu toute une journée alors que ça canardait dans tous les coins. Comme j’avais entendu des chiens, j’ai appelé un copain qui a une meute pour lui demander s’il n’avait pas vu quelque chose.

                « C’est marrant que tu m’en parles. Figure-toi que je chassais avec mes chiens vers le lac en bas de chez toi quand ils ont levé une grosse fouine. Ce qui m’a étonnée, c’est qu’elle est partie comme une flèche, droit vers ta maison. »

                En fait, c’était bien mon chat, il y a deux ou trois ans. Il avait semé la meute et s’était planqué dans le hangar à tracteurs du voisin. Il n’est sorti de sa planque qu’à la nuit bien tombée.

                Après, j’ai eu la chance qu’il ne soit jamais accroché par une voiture et que chaque fois qu’il a été attaqué par un chien (y compris par celui qui m’a mordue à vélo), il a été plus véloce que son agresseur et bien plus agile en terme de planque.

                J’ai pas mal d’amis qui ont dû ramasser le leur sur la route, le soir en rentrant du boulot.

                Donc, finalement, le nôtre a eu beaucoup de bol.

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