Réalité, ou le cinéma iconoclaste de Quentin Dupieux
Vu Réalité, le dernier film de Quentin Dupieux. J’avais déjà vu il y a quelques années Rubber, l’histoire d’un pneu serial killer, qui m’avait fait forte impression. Réalité est dans la même veine, avec une part plus importante accordée aux dialogues et au jeu d’acteur. Il ne faut pas longtemps, devant un film de Quentin Dupieux, pour comprendre ce que le réalisateur a en tête : son but est de heurter de front toutes les attentes du spectateur lambda, de faire exploser tous ses schémas mentaux, de le confronter à une expérience cinématographique d’une altérité radicale, en un mot de le faire souffrir autant que possible. Il rejoint en cela Nicolas Winding Refn, qui déclarait : « Art is an act of violence. It’s about penetration. » Bien entendu, tout est loin d’être parfait dans cette Réalité. Il y a des maladresses, des lourdeurs, le propos se perd un peu dans des méandres oiseux. Mais combien je sais gré à Dupieux d’oser violenter son public, d’aller à l’encontre des attentes de la ménagère ou des ados qui constituent le contingent majoritaire des salles de cinéma, pour imposer sa propre voie, creuser obstinément son sillon de non-sens, film après film, dans une indifférence hautaine à l’actualité ou aux modes.
La plus haute jouissance que l’on peut éprouver face à une œuvre d’art, c’est l’impression de voir se déployer un univers autonome, nullement subordonné aux lois du monde réel. C’est ce que je ressens devant Paludes d’André Gide, devant les récits de Lovecraft. Et c’est dans cette direction, clairement, que semble s’orienter Quentin Dupieux.
Je me souviens du sentiment particulier, à la fois euphorique et désappointé, que j’avais éprouvé en voyant Rubber. On dépasse alors l’expérience esthétique pour accéder à un plan quasi existentiel. Devant ce mélange de perplexité, d’ennui persistant et de solitude que l’absence de repères et de logique provoque en lui, le spectateur est amené à s’interroger sur lui-même, sur ses limites, sur sa capacité de résistance à l’imprévu et à la monotonie. De tels films, comme 2001, l’Odyssée de l’espace de Kubrick ou Valhalla Rising de Nicolas Winding Refn, sont des déserts cinématographiques : le spectateur est seul, perdu, il fait froid, nulle chaleur empathique de la part du réalisateur n’est à espérer. Et au fur et à mesure que les minutes s’égrènent et que le désarroi grandit, l’on n’a pas d’autre choix que de remettre en cause toute notre vision des choses. On en ressort lavé, purifié de notre ancien moi et de nos préjugés.
Quentin Dupieux n’est pas encore Kubrick, loin de là. Mais il détonne, il se démarque, il ne laisse pas indifférent. Espérons qu’il saura résister aux sirènes et ne rentrera pas dans le rang. Cela me réjouirait d’autant plus qu’ayant à peu près son âge je serais ainsi assuré de voir des films authentiquement iconoclastes jusqu’à la fin de mes jours.
3 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON