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Les dames en noir

On a beaucoup écrit ​sur les cent ans que la merveilleuse Edith aurait eus cette année si la Providence lui avait concédé cette exceptionnelle longévité.

La petite fille de la butte, emblématique de l'impureté raciale avec une part de racines kabyles ou berbères et tôt livrée à elle-même par une mère chanteuse de rue, est devenue, par la grâce qui consent parfois à rayonner en des lieux insolites, cette figure singulière et incontournable de la chanson française.
Par sa voix au timbre exceptionnel, elle a su élever au rang de poésie ses complaintes et ses hymnes, astre trop météorique pétri dans une argile montmartroise féconde en talents, d'Utrillo à Pierre Mc Orlan en passant par Suzanne Valadon et tant d'autres qui firent fleurir leur art dans les rues et ruelles champêtres d'un village oublié en plein Paris.

Grand amoureuse, meurtrie par des passions qu'elle fut souvent incapable de dominer, elle eut d'abord la chance ( mais que doit le talent à la chance ? ) d'être découverte dans les bouis-bouis où elle gagnait sa pitance.
Elle devint vite sa propre égérie, une interprète littéralement possédée par son texte sans les détours ou ces afféteries qu'ont trop souvent les mignardes d'aujourd'hui qui compensent par des artifices ( ça s'appelle communication, paraît-il ) la pauvreté de leur répertoire et leur incapacité à exprimer toutes les fièvres de l'âme.
Edith Piaf se livra, corps et âme, à ses amours, multiples mais sincères : elle était fleur bleue et rêvait au prince charmant, il y en eut beaucoup mais autant d'étoiles filantes qui la laissèrent blessée, désespérée au bord du chemin, que ses amours lui fussent arrachés par les aléas de la vie comme cet Atlantique qui engloutit son Marcel ( Cerdan ) ou qu'ils ne fussent que de passage, sans doute chassés par sa frénésie ou découragés par sa folle envie de vivre.

Car la petite Gassion voulait prendre sa revanche sur sa vie de petit poulbot miséreux, elle croquait les plaisirs à belles dents et en tirait des chefs d'oeuvre comme interprète et comme auteur.

Dans notre imaginaire elle donne la main à une autre grande disparue, Barbara, elle aussi torturée par son passé et qui a composé une des plus belles chansons de la littérature française ( car c'est bien de littérature qu'il s'agit ici dans cet art communément appelé mineur ).

"L'aigle noir " dont elle seule aurait pu nous ouvrir la symbolique. 

S'agit-il de la figure menaçante du père dans son entreprise de viol ? 

S'agit-il de cette maladie dont elle souffrit et qui la poussa même à la tentative de suicide dans un hôtel d'Amsterdam au tournant des années 50, cette dépression – peut-être liée à ce drame de son enfance - dont on ne guérit jamais totalement et qui menace comme un rapace tournant autour de sa proie ? 

L'Aigle noir est-il une allégorie du nazisme qui persécuta sa race et dont elle continuait à percevoir et à craindre la menace ?

C'est le propre d'un chef d'œuvre de se prêter là de multiples interprétations dont aucune n'est entièrement convaincante.

Entre l'immense Piaf et la grande Barbara, il y a une communauté de talent, la même volonté de traduire en chanson la vie dans ses petits bonheurs mais le plus souvent ce qu'elle a de tragique pour celles qui sont en quête d'amour et cherchent désespérément le Graal qui se dérobe à chaque fois à leurs attentes.

Sans doute Piaf fut-elle davantage victime de la muflerie des hommes tandis que Barbara gardait précieusement son quant-à-soi ou donnait en tout cas le change mais toutes deux ont su chanter la vie.

Barbara plus cérébrale qui ne voyait guère la "vie en rose" et Piaf, l'insatiable moineau qui pépiait pour la joie de vivre malgré les aléas.

Point n'est besoin d'être Lamartine pour être poète, Bérenger le paillard ou Fabre d'Églantine répondent à la définition tout comme Jean-Baptiste Clément dont le " temps des cerises " résonne plus que jamais comme un espoir en ces temps tourmentés où de sombres nuages brun foncé obscurcissent notre horizon politique.

Alors il serait vain - si tant est que quelqu'un en eût l'idée - d'opposer les bluettes de Piaf et les variations tragiques de Barbara : elles se répondent, l'une et l'autre font preuve de ma même spontanéité créatrice ( l'interprétation fait partie de la création car si Piaf n'a pas, loin s'en faut écrit toutes ses chansons, elle a transmis à toutes une âme )

Barbara, Piaf... Piaf, Barbara opposent des textes au tragique de leur existence, toutes deux vêtues de noir, frêles silhouettes de Parques attendant de trancher le fil d'un destin injuste et oppressant, à la fois maudites et touchées par la grâce.


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10 réactions à cet article    


  • Phoébée 21 décembre 2015 21:07

    Barbara n’était pas plus cérébrale, elle était cosmétique.

    Quand Piaf était une chanteuse réaliste.

    Posez vous la question de Gainsbourg et de Polnareff. Que reste -t-il ?

    Avec le temps va tout s’en va ****************

    Je préférais à Barbara... Juliette Gréco smiley par exemple ..... * 


    • Elliot Elliot 22 décembre 2015 00:33

      @Phoébée


      On peut apprécier Barbara sans dénigrer cette autre grande artiste qu’est effectivement Juliette Gréco et l’inverse.
      Dieu merci ! Gréco est toujours parmi nous : il me semble si je ne m’abuse qu’elle a entamé sa tournée d’adieu, il n’y a guère.
      Pour le reste, je ne peux m’empêcher de ne pas partager votre jugement sur la superficialité de Barbara et de trouver que de Gainsbourg restent encore beaucoup de choses.

    • eugene eugene 22 décembre 2015 13:30

      @Elliot
      Dénigrer, applaudir...Le tour de chant c’est une chose, mais la posture humaine, c’en est une autre, et les deux interfèrent dans notre appréciation. Un petit cabot, même avec une voix d’or, ça me laisse indifférent ; J’aime bien les gens qui ont du talent dans leur vie, autant que dans leur chanson. Jean Ferrat par exemple. Par contre, cette piaf a sans doute eu un sucés trop grand pour elle. Elle n’a pas laissé un souvenir impérissable, par sa finesse d’esprit et ses manières. Logeant dans un hotel où elle croisait pas mal de soldats vert de gris pendant la guerre, enfin, bien sûr des officiers de haut rang, pas de la gueusaille, on peut pas dire qu’elle a fait partie des résistantes, et c’est un euphémisme. Quand à Gainsbourg, bof....sans doute le type qui a le plus pompé chez les autres, et surtout dans le répertoire classique, qu’il a pillé sans le dire. Il a été bouffé par le personnage qu’il a crée. Un mythe qu’on a crée, bien loin de Brassens et de Brel, qui furent de vrais créateurs.


    • Elliot Elliot 22 décembre 2015 17:45

      @eugene


      Que vous ne soyez pas saisi aux tripes par Edith Piaf transposant dans ses interprétations sa douleur de vivre est, ma foi ! une opinion tout aussi recevable qu’une autre.
      Mais permettez-moi de vous dire que vous avez de curieux critères pour mesurer le talent : l’héroïsme dans la résistance ! 
      Mesuré à l’aune de ces critères, on peut biffer un certain nombre de nos grands écrivains de notre panthéon mémoriel et peut-être le plus grand d’entre eux, Céline.
      Je n’ai d’ailleurs aucune qualification à décerner des médailles de la résistance et là n’était pas mon propos... 

      Si De Gaulle avait dû recomposer une administration avec les seuls résistants - pas ceux de la dernière heure qui acclamaient encore Pétain quelques semaines avant de tomber en pâmoison sur les Champs Elysées en voyant le défilé de la victoire - il n’aurait pas réussi à faire redémarrer la France. 
      Les héros font d’ailleurs souvent de bien médiocres gestionnaires. 
      Quant à Brel ou Brassens ou encore Ferrat, mon objectif en rendant mon maladroit hommage à Piaf et à Barbara, n’était pas de les exclure d’un éventuel hit-parade qui n’était pas à l’ordre du jour et auquel au demeurant je ne me risquerais pas. 


    • eugene eugene 23 décembre 2015 14:48

      @Elliot
      Bien loin des médailles, des postures politiques et commémoratives, qui faisait que De Gaulle devait se boucher le nez, et faire l’hypocrite pour le bien commun, chacun peut se faire son petit panthéon personnel, car nous ne sommes pas nous infeodalisé à la raison d’état . La logique n’a rien à voir la dedans, la morale davantage. Au moins Celine écrivait ses partitions. J’ai admiré le voyage, mais il me faut admettre que mon admiration pour le style est très tempérée elle même par le personnage. La qualité de la personne intercède dans mes enthousiasmes, j’en conviens. Il n’en est pas autrement, et quand j’entend Ferrat chanté « nuits et brouillards », qu’il a écrit, en sachant que son père a fini à Buchenwald, j’ai la larme facile, et beaucoup d’admiration pour cet homme qui émanait d’humanité et de qualité, l’écriture n’étant pas la dernière. 

      Maurice Papon aurait chanté comme un merle comme Pavorotti que je me boucherais les oreilles. Il y a des cris qu’on entend au delà des jolis gammes. C’est vrai Piaf a du talent. Il serait ridicule de le nier ;et je ne dis pas que votre billet est maladroit, dans le sens où il parle de celui ci, mais je me permet d’ajouter mon grain de sel, dire ce que j’en pense, à propos de ce qui ne passe plus quand je l’écoute, à propos de choses que j’ai appris à son encontre pendant la guerre, et qui gâche, le plaisir que j’avais enfant à écouter « Milord »....Il y a l’oreille, et puis le cerveau, et les émotions ne sont pas liées qu’à une organe des sens ! Piaf, qui jurait comme un charretier, n’était pas très maline, il faut le dire, a tout de même fait le voyage à Berlin, et logeait à deux pas, à deux portes du siège de la gestapo, pour faire court...
      Barbara était assurément une grande dame, et je ne peux que déplorer l’usage larmoyant que Bruel en fait, changeant « la vertu des femmes de marin », en « la vertu des chevaliers anciens » Après s’être surement longtemps pris la tête....« Faut il en rire ou en pleurer, comme disait ferrat..Je n’ai pas le cœur à le dire, on ne voit pas le temps passer ! »... Billy Hollyday, chantant « strange fruits »voilà qui me fait pleurer. Pas seulement un numéro de music hall !...La grande humanité. Je ne saurais dire davantage !

    • Piere CHALORY Piere Chalory 21 décembre 2015 21:50

      Souvent chez les femmes, le physique primant aux yeux des hommes ; les belles filles ne se foulent pas la voix et pourtant certaines ont au moins autant de talent que les vilaines.


      Dans les cas que l’auteur (e ?) évoque, on peut dire que leur allure de vilain petit canard et d’allumée psycho-éthérée déclenchèrent un spleen interne, qui sûrement les poussa à revendiquer leur souffrance à travers des chansons bluesy, par la force des choses.

      Je me souviens, dans les années 70, j’avais dix ans, l’apparition de Barbara avec sa frange et sa robe rouge brillant m’énervait grave, je la trouvais horrible. Pour Piaf c’est pas pareil, on la voyait plus à la télé à l’époque, mais bon, déjà sa voix m’insupportait, quant à sa figure...

      Après j’ai compris, les femmes laides chantent le blues et cherchent à compenser par une sorte d’auto-humiliation publique censée ranimer, reconquérir leur rares amours indifférents, alors elles déclament des chansons d’amour tragiques, quelquefois réussies.

      Aujourd’hui d’autres ont pris le relais. Gianna Nannini, malgré son physique masculin carrément anti-bimbo est capable d’envolées lyriques qui me touchent beaucoup plus que les wo-men in black pré-citées.



      • Samson Samson 21 décembre 2015 23:10

        Deux étoiles, deux destins tragiques dont les voix, maintenant numérisées, persistent à m’émouvoir jusqu’à l’âme. Et auxquelles je ne puis m’empêcher de rapprocher Amy Winehouse, étoile filante dont la voix trop tôt éteinte continue d’illuminer avec elles le firmament du blues.

        Merci pour cet hommage et cordiales salutations ! smiley


        • philippe baron-abrioux 22 décembre 2015 08:36

          BONJOUR ELLIOT ,

           Merci pour votre article qui rappelle à ceux qui auraient tendance à l’oublier que l’origine ou l’histoire vécue d’une personne ne déterminent pas leur parcours de VIE.

          quand j’entends Piaf ou Barbara ,je ne peux m’empêcher de penser à un poème de Théophile Gautier tiré d’Espana ,« le pin des landes » ;

               il faut qu’il ait au coeur une entaille profonde 
            pour épancher ses vers, divines larmes d’or .

           nous avons la chance en France d’avoir des poètes, chanteurs, auteurs qui nous apportent encore et bien longtemps après leur départ des magnifiques moments d’émotion .

           beaucoup restent aussi assez confidentiels ;Jacques Bertin ,par exemple ou le Belge Julos Beaucarne .

          des noms sont cités ,Gainsbourg ,Polnareff :on pourrait en ajouter bien d’autres ;je ne le ferai pas tant j’aurais peur d’en oublier beaucoup qui m’ont accompagné dans les moments les plus variés de ma vie ,ici ou bien loin ,quand dans mes bagages je glissais leurs disques .

           BONNE JOURNEE, la première de l’hiver et à bientôt !

          P.B.A


          • Le p’tit Charles 22 décembre 2015 09:40

            Elles furent l’âge d’or de la chanson Française (pour moi) aujourd’hui l’âge des ténèbres... !

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