Gauche réformiste : mourir et ressusciter ?
La prochaine élection présidentielle risque fort de sonner le glas du Parti Socialiste tel que nous le connaissons. Un lourd revers, remake du 21 avril 2002, pourrait in fine venir à bout de ce grand corps malade qui, malgré les symptômes de vieillissement de plus en plus évidents, a depuis longtemps soigneusement évité de se regarder dans le miroir, préférant, sous des couches de plus en plus épaisses, cacher ses rides et ses cicatrices. Aujourd’hui, le fard se craquelle, les fissures deviennent des gouffres. L’électorat ouvrier et populaire a fui, on ne lui fait désormais plus prendre les vessies de l’accompagnement social du capitalisme pour les lanternes de la transformation radicale.
L’erreur historique de la gauche réformiste française aura été de ne pas avoir assumé ses choix, quand elle en fit, de ne les avoir pas théorisés, d’avoir continué, au mépris de l’évidence à faire accroire à l’opinion qu’elle demeurait ancrée dans ses valeurs fondatrices, alors même que, passés les premiers mois du premier septennat de François Mitterrand, les signes annonciateurs du renoncement à vouloir transformer la société en profondeur étaient déjà présents à défaut d’avoir été explicités.
Partie la fleur au fusil en 81, toutes nationalisations dehors, la gauche lyrique se heurta très rapidement à l’économie réelle, celle qui ne se décrète pas.
Tandis qu’outre-Rhin, la social-démocratie Allemande abandonnait dès 1959 toute référence au Marxisme, les socialistes Hexagonaux continuèrent d’entretenir l’illusion des origines ; Mitterrand battit Giscard sur un programme ambitieux de transformation économique et sociale allant jusqu’à gouverner avec l’un des seuls partis communistes occidentaux encore largement imprégné de sa culture pro soviétique.
Nul Bad Godesberg n’aurait donc lieu de ce côté-ci du grand fleuve.
Le surmoi Marxiste veillait et veille encore à l’entretien de vieilles lunes que d’aucuns à gauche de la gauche continuaient et continuent contre vents et marées à considérer comme l’alpha et l’oméga de leurs actions et prises de positions.
Renvoyée plusieurs fois à l’opposition par une alternance devenue quasi automatique, traumatisée par l’échec de Jospin qui se vit trop vite en haut de l’affiche nonobstant un bilan relativement flatteur, on aurait attendu de la gauche de gouvernement qu’elle renouvelle son corpus idéologique, qu’elle adopte enfin des positions clairement revendiquées, à l’instar de ses cousines européennes. Rien de tout cela ne se produisit formellement, la synthèse Hollandaise faisant preuve d’une grande élasticité pour verrouiller les débats. Il fallait pour d’obscures raisons électoralistes continuer à tenir les deux bouts de la corde, le romantique et le réel, au risque d’engendrer à terme une confusion mortifère. De la primaire socialiste, même si elle fut un vrai succès participatif, n’émergèrent guère d’idées neuves mis à part le concept fumeux de démondialisation davantage destiné à satisfaire le narcissisme de son concepteur qu’à éclairer le débat.
En janvier 2014, François Hollande voulut renverser la table. La gauche de gouvernement se convertissait à la politique de l’offre. Las, cette adaptation, pour nécessaire qu’elle fût, arriva bien tard, en pleine impopularité pour son énonciateur et surtout en total décalage avec les promesses de campagne. En deux ans, entre Le Bourget et cette conférence de presse, les deux gauches surgissaient du même corps, de la même voix, du même homme, créant, si cela était possible, encore plus de confusion dans l’opinion. Mais de voix collective, de congrès refondateur, point. Le Parti Socialiste manqua de ce courage politique, esquissé naguère mais sans succès par un Rocard vite ostracisé et théorisé par un Delors, grand Européen mais velléitaire en son pays.
Faire sans le dire et pire, dire sans le faire, demeure donc pour l’heure le marqueur de la gauche réformiste hexagonale. Rien ne se passera donc avant l’échec annoncé de 2017 d’autant plus que les institutions et le fonctionnement inhérent de la Vème République ne favorisent guère, c’est un euphémisme, ce nécessaire éclaircissement idéologique.
Les partis politiques de gouvernement sont en crise de crédibilité, en panne d’inspiration, incapables de sortir de leurs micro-luttes intestines et de penser l’avenir. La droite française traverse également une très mauvaise passe mais ce n’est pas le propos de cette tribune. La primaire de l’automne prochain lui donnera, à elle aussi, l’illusion du débat. Laissons-la à ses débats internes. Son impopularité arrivera aussi vite que celle que connaît l’actuel exécutif tant le monde est dans un entre-deux : environnemental, numérique, géopolitique, économique. Le penser à 20 ou 30 ans, pour nécessaire que ce soit, est d’une complexité effarante. Cette équation inédite accroit les peurs, les tensions, les populismes, les tentations de repli sur soi et offre aux illusionnistes des tribunes faciles et des publics fragiles et manipulables.
L’élection présidentielle perdue, la gauche, social-libérale ou social-démocrate, peu importe l’adjectif, devra quant à elle se libérer enfin de son surmoi, de ses carcans, il en ira de sa survie à terme.
Se donnera-t-elle les moyens de penser l’avenir économique et social en y incluant une forte dimension écologique, laïque, résolument européenne, tout en renonçant à de pseudos alliances de circonstances qui brouillent son message ?
Rien ne sera simple, rien ne se fera sans adhésion militante et surtout citoyenne, sans renouvellement des cadres, sans idées réellement novatrices, sans s’attaquer à quelques totems, sans l’apport indispensable des intellectuels, sans pédagogie.
On le voit, le défi est immense. La gauche réformiste ne peut plus se contenter, pour 2022, de ne proposer qu’un énième ravalement de façade. En ce cas, autant laisser faire la droite, elle connaît le job.
13 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON