Penser l’islam ? Monsieur Michel Onfray, bonjour...
Dans la présentation de votre ouvrage que je viens de lire avec intérêt, vous écrivez : je lis le Coran, j'examine les hadîths et croise le tout avec des biographies du Prophète pour montrer qu'il existe dans ce corpus matière au pire et au meilleur. Il en est malheureusement ainsi de toute histoire humaine. Mais s'il est vrai que, parfois, ce sont des textes hétérogènes dont les uns disent certaines choses et d'autres des choses contraires à ce qui a été dits quelques versets avant (p.78), il faut aussi, comme vous semblez le préconiser, les replacer dans une histoire du temps pour en retrouver la cohérence. Il faut créer, dites-vous, des lieux de lecture laïcs, autrement dit non religieux, non conventionnels, pour lire le Coran en philosophie, autrement dit en amoureux de la sagesse (page120). Agoravox n'est-il pas déjà l'un de ces lieux ?
I. Le Mahomet prêcheur de La Mecque. Bien que le calife Othman ait bouleversé l'ordre chronologique des sourates, Il n'est pas difficile de retrouver dans le Coran les sourates mecquoises de prédication. Ce sont en effet les plus nombreuses.
Sourate 74, versets 1 et 2. Ô toi qui est couvert d'un manteau ! Lève-toi et prêche...
Sourate 36, versets 4, 5 et 6. Celui qui est puissant et miséricordieux t'a envoyé le Coran afin que tu leur prêches une religion qui n'a point été enseignée à leurs pères ; mais ils vivent dans l'insousciance.
Sourate 6, verset 92. Nous l'avons fait descendre du ciel, ce livre béni, pour confirmer les anciennes Écritures, pour que tu les prêches à la Mecque et dans les villes voisines...
Ces sourates résument l'essentiel : il s'agissait, à défaut de lois établies, de persuader des femmes et des hommes insouciants ou pécheurs qu'il y avait, après la mort, un tribunal de Dieu qui les jugerait. Il s'agissait de les amener à une conduite morale dans le cadre d'une société rénovée ayant une seule et unique religion pour guide. Instruit par les troubles religieux qui déchiraient la société de son époque, il est clair que Mahomet a lutté pour faire l'unité d'une Arabie n'ayant qu'une seule religion. Vu la concurrence chrétienne depuis Byzance et le Yémen et la concurrence juive depuis les colonies juives implantées, il lui a semblé que la solution raisonnable était de les rapprocher dans un islamisme après avoir corrigé les points inconciliables des uns et des autres.
Enfin, pour ne pas être taxé de laxisme, c'est une rigueur tout ce qu'il y a de plus judaïque qu'il a imposée à ses disciples (obligation de la prière, jeûne, nourritures interdites...).
Quel est ce "nous" qui s'adresse au Prophète et qui lui dicte ce qu'il doit enseigner ? Seraient-ce les moines de Bahira, aux portes de Bosra ? Est-ce Dieu qui s'exprimerait par leur intermédiaire ? Serait-ce l'ange Gabriel ? Encore aujourd'hui, on peut voir sur un mur du monastère en ruines des fresques le représendant dans une annonce à Marie.
Le monastère de Bahira était détenteur de livres saints (Tabari page 34). De toute évidence, il est l'un de ces monastères qui se sont opposés aux décisions du concile de Nicée qui fit Jésus, homme et vrai Dieu. De toute évidence, Mahomet est le nouvel apôtre que ces moines ont choisi pour relancer, en Arabie, la religion issue d'Abraham, d'une part avec des chrétiens qui auraient accepté que Jésus ne soit qu'un prophète, d'autre part avec des juifs qui auraient accepté d'ajouter à leurs prophètes, Jésus et Muhammad.
La prédication de la Mecque s'inscrit, avec quelques corrections, dans le rappel de l'histoire sainte et héroïque du peuple élu d'Israël prolongée par les évangiles. Abraham, Moïse, Aaron, David, Salomon, Jésus, y sont présentés comme des modèles de sagesse. Quant aux questions de société, il a bien fallu que le prêcheur cherche à y mettre un peu d'ordre, en particulier au sujet des femmes, éternel sujet de chicayas, première ébauche d'une charia.
Les actes de violence, ce sont Mahomet et ses disciples qui en étaient alors victimes, actes de violence savamment mis en exergue dans le Coran. Cela donnait en effet au mouvement une auréole de martyr tout en justifiant par la suite la légitimité d'une révolte. Le Mahomet de la Mecque s'élève, certes, contre les pratiques idolâtres (sourate 6) mais, dans ce premier temps, il ne condamne ses adversaires qu'à l'enfer.
II. Le Mahomet de La Mecque est-il mort... est-il ressuscité ? Après la mort d'Abou Thalib, les persécutions redoublèrent contre le Messager de Dieu. On lui lançait des pierres ; on lui recouvrait la tête de boue. Un jour, alors qu'il faisait sa prière dans la mosquée, les persécuteurs lui versèrent sur la tête une grande quantité de terre. Ses longs cheveux, sa tête, ses joues, ses épaules furent entièrement recouverts (Tabari page 96).... Que doit comprendre le lecteur ? Qu'en réalité, Mahomet est mort, lapidé et enterré ? De retour à sa maison, une de ses filles, en lui nettoyant la tête (toilette funéraire ?) pleura (des pleureuses accompagnant la levée du corps ?). Le Prophète (?) lui dit : ne pleure pas. Ces choses-là arrivent quand on perd ses parents et ses oncles (Tabari, page 96).
Accablé d'injures, d'outrages et de misères pendant encore deux ans, Mahomet partit pour Taïf. Il y a entre Taïf et La Mecque, trois journées de marche (Tabari, page 97, dans ce paragraphe, je mets mes interprétations en italiques). Trois jours, n'est-ce pas le temps qu'il faut pour une résurrection ? N'est-il pas écrit qu'ils tueront le Fils de l'Homme, mais qu'une fois tué, trois jours après, il ressusciterait ? Marc 9, 31). Mahomet se présenta aux portes de Tâïf pour y demander l'hospitalité, comme un pauvre. Mais les habitants de Taïf le chassèrent, lui lançant des pierres. Jésus avait prophétisé trois fois qu"il ne resterait pas pierre sur pierre de l'infidèle Jérusalem. Craignant qu'un châtiment ne fondit de même sur les habitants de Täïf, et ne voulant pas les voir périr parce qu'ils n'avaient pas cru en lui et qu'ils l'avait accablé de mépris, Muhammad tourna sa face contre le ciel et s'écria : « Ô Seigneur, ne les punis pas, car ils ne savent pas que je suis ton Prophète ! » Père, pardonne-leur, car ils ne savent ce qu'ils font - Luc 23, 34. Il y avait non loin de là une vigne (Tabari, page 98). Un esclave s'approcha de Mahomet, un plat de raisins à la main... Le Prophète en détacha un grain et, le mettant dans sa bouche, il dit : « Au nom de Dieu ! »... Un homme (Dieu) avait planté une vigne. Étant parti en voyage, il la confia à des vignerons. Le temps venu, il envoya vers eux son serviteur, mais les vignerons le tuèrent. Il leur envoya un autre serviteur et il le tuèrent aussi, (évangiles de Matthieu, Marc et Luc). L'esclave s'exclama : « Quel est le mot que tu viens de prononcer ? Il y a longtemps que je ne l'ai pas entendu… depuis que j'ai quitté ma patrie de Ninive. » Mahomet lui répondit : « Ninive est la ville de mon frère Jonas ; Jonas était un prophète et tous les prophètes sont frères. » Symbole de la résurrection, Jonas est le prophète qui, après avoir été avalé par la baleine, fut recraché trois jours après.
— Qui es-tu ? interrogea l'esclave. Mahomet répondit : Je suis Mohamed et Ahmed (c'est-à-dire le Mahomet qui est venu et le Mahomet qui vient). — Es-tu celui dont parle l'Évangile ? Il y est dit que Dieu t'enverra aux habitants de La Mecque, que ceux-ci te chasseront, que tu reviendras pour les soumettre et pour établir sur eux ta religion (Tabari, page 97 à 99).
III. La sourate de la vache, sourate 2, marque le passage du Mahomet pacifique de la Mecque au Mahomet guerrier de Médine.
Constatant l'échec de la prédication du Mahomet de la Mecque, le nouveau Mahomet de Médine dresse un long et sévère réquisitoire contre les idolâtres, les chrétiens et les juifs incrédules (verset 99). Ces incrédules ont refusé de croire au Coran, notamment les deux derniers, qualifiés plus précisément d'infidèles. Ils auraient dû l'accueillir puisqu'il confirmait leurs écritures (verset 83). S'ils vous attaquent, baignez-vous dans leur sang. Telle est la récompense due aux infidèles (verset 187). Mais s'ils quittent l'erreur, le Seigneur est indulgent et miséricordieux (verset 188). Nous sommes à l'époque où le Mahomet deux, devenu guerrier, lance depuis Médine ses expéditions contre les caravanes mecquoises tout en appelant au soulèvement ses partisans restés sur place (Tabari, page125).
Mahomet II exhorte ses partisans restés à la Mecque à le rejoindre dans son exil (sourate 4, verset 101). Il durcit sa position contre les juifs et la modère à l'égard des chrétiens (sourate 5, verset 85).
IV. La sourate 8, le butin, est un chant de victoire après la victoire musulmane de Beder sur les Koraïchites de La Mecque (Tabari, page 137).
Dieu avait dit à ses anges : encouragez les croyants, j'épouvanterai les impies... n'épargnez aucun d'eux (verset 12). Dieu vous montra en songe l'armée ennemie peu nombreuse. S'il vous l'eut fait paraître plus formidable, vous auriez perdu courage, et la discorde vous eût désunis... (verset 45)
Après cette victoire, Mahomet II s'est trouvé conforté dans sa nouvelle religion et dans son projet de réforme d'une société plus juste. Ô croyants ! obéissez à Dieu et à son apôtre ; ne vous écartez jamais de ce devoir ; Écoutez sa parole ! (verset 20). Juste rétribution, toujours selon lui, les biens des impies vaincus sont donnés aux vainqueurs comme une aumône de purification et d'expiation à cause de leur désobéissance... ceci pour la paix de leur âme... si Dieu, l'indulgent et le miséricordieux, le veut bien (sourate 9, versets 102 à 105).
V. Mais après le désastre d'Ohod, où, de toute évidence, le deuxième Mahomet a trouvé la mort - Abou Sofyan l'a affirmé - le troisième Mahomet (ressuscité) se voit bien obligé de renouveler l'acte de foi. Il s'agit de la sourate 3. Il y réaffirme l'origine divine du Coran dans le prolongement du Pentateuque et de l'Évangile mais tout en admettant qu'il s'y trouve des versets allégoriques prêtant à interprétation (verset 5 ou 7 dans d'autres versions). Pour ne pas perdre la face, il rappelle la prodigieuse victoire de Beder de un contre deux que les musulmans avaient remportée avec le secours de Dieu (versets 11 ou 13, 119 à 122 ou 121 à 124). Il réaffirme l'unicité de Dieu (verset 55 ou 62) mais il tend la main aux juifs et aux chrétiens de bonne foi. ... Dis aux juifs et aux chrétiens : terminons nos différends, n'adorons qu'un Dieu, ne lui donnons point d'égal ; qu'aucun de vous n'ait d'autre Seigeur que lui. S'ils refusent d'obéir, dis-leur : vous rendrez témoignage que nous sommes croyants (verset 57 ou 64), c'est-à-dire des hommes de foi, ni idolâtres, ni incrédules, ni infidèles.
Après avoir rappelé la victoire de Beder, ce troisième Mahomet aborde le sujet délicat de la tragique défaite d'Ohod. Tout naturellement, il en rejette la responsabilité non pas sur Dieu mais sur les musulmans qui, après un premier engagement victorieux, avaient couru au butin permettant ainsi à Abou Sofyan de lancer une contre-attaque victorieuse. Dieu avait réalisé ses promesses quand vous poursuiviez vos ennemis défaits ; mais, écoutant les conseils de la lâcheté, vous disputâtes sur les ordres du Prophète (verset 145). Tandis que vous preniez la fuite en désordre, vous n'écoutiez plus sa voix qui vous rappelait au combat (verset 147 et Tabari page 189).
Pour répondre aux survivants qui, dans leurs folles pensées, prêtaient un mensonge à Dieu. Sont-ce là, disaient-ils, les promesses du Prophète ? Le Très-Haut serait-il l'auteur du désastre ? (verset 148), le verset suivant descendit du ciel : Dieu donne la vie et la mort. Il voit vos actions (verset 150). Puis : Dieu choisit les envoyés qu'il lui plaît (verset 174).
VI. C'est ce troisième Mahomet qui, finalement, l'a emporté.
Cela commence par une bavure (Tabari, page 211). Le musulman Amrou avait tué, par erreur, deux ambassadeurs d'une tribu qui voulait se rallier. La tribu envoya un message au Prophète : « Ces ambassadeurs ont été tués par ton serviteur Amrou. Paye-nous le prix du sang ou prépare-toi à la guerre ! » Le Prophète répondit : « Vous avez raison. Je payerai le prix du sang ». Puis il décida que les juifs des forteresses voisines payeraient en application d'un traité. Dans ce traité, il n'était pas prévu qu'un juif paye pour la bavure d'un musulman, mais il était écrit qu'en cas de contestation, il fallait s'en remettre au Prophète. Mahomet décida qu'on commencerait par faire payer les juifs Beni Nahdir.
Le Prophète sortit de Médine et il assiégea leur forteresse (Tabari, page 214). Il ordonna de couper les dattiers. Les juifs criaient du haut des remparts : « Couper des arbres est un crime et Dieu ne peut ordonner des crimes de ce genre. » Allah l'a permis leur répondit-on (Sourate 59 v. 5). Au bout de onze jours, les Beni Nahdir capitulèrent. Ils furent autorisés à partir avec leurs femmes et leurs enfants, mais sans leurs biens. Dieu les donna au Prophète. Ce que Dieu a enlevé aux juifs dans les faubourgs de Médine, vous ne le donnerez pas aux riches mais au Prophète, à ses proches, aux émigrés, aux pauvres et aux orphelins (Sourate 59, v. 7).
Les Benî-Qoraïzha résistèrent 25 jours. Ils étaient 800. Le Prophète leur fit couper la tête (Tabari page 230). Holocauste réel ou symbolique ? Je ne sais pas. Aucun texte extérieur à l'islam en a fait mention, ce qui est très étonnant. À Beder, le Prophète reprochait à Ali son interrogatoire musclé ; à Kaïbar, il donne l'ordre qu'on continue la question jusqu'à ce que l'interrogé parle ou qu'il meure (Tabari, page 256)... images de guerre.
Image de paix retrouvée, entouré de 700 de ses hommes habillés de blanc comme des pénitents, Mahomet se rendit à la Mecque pour accomplir le pélerinage. Les Mecquois se soumirent.
À M. Michel Onfray,
Alors que nombre de philosophes se défilent - n'est pas Socrate qui veut - votre ouvrage et votre courage vous honorent. Comment comprenez-vous l'énigme que pose la sourate 18, versets 8 à 25 ou 26 ?
Le 20 mars 2016.
Références : Tabari, Mohammed, sceau des prophètes, édition Sindbad, 1980. Le Koran, traduction par Savary, Éditions Garnier Frères, 1958. (les numéros de versets peuvent varier en fonction des éditions).
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