Kamel Daoud, la victoire à la Pyrrhus de ses censeurs ! Retour sur les égarements d’une police de la pensée !
Kamel Daoud, la victoire à la Pyrrhus de ses censeurs ! Retour sur les égarements d'une police de la pensée !
Il ne faut jamais lâcher quand une police de la pensée vise à interdire le débat.
Il faut donc encore faire retour sur la contre-tribune qu'un collectif d' « universitaires » a opposé à une tribune1 que Kamel Daoud, écrivain et journaliste, écrivit en réaction aux graves agressions de femmes, à Cologne. Son texte , bien résumé par Fawzia Zouari2, écrivaine franco-tunisienne, disait alors que les agressions de femmes de Cologne : « … par des immigrés issus du monde arabo-musulman sont la conséquence logique d'une tradition portée sur la répression sexuelle et génératrice de frustration chez les jeunes". Kamel Daoud y disait également que ce problème devait être pris en compte sans angélisme lors de l'accueil de réfugiés, ce que lui ont vivement reproché les « universitaires » qui, par ailleurs , l'ont attaqué pour une phrase comme celle-ci : « "Le rapport à la femme est le nœud gordien, le second dans le monde d'Allah. La femme est niée, refusée, tuée, voilée, enfermée ou possédée ... »
La thèse de Kamel Daoud était bien-sûr susceptible d'être discutée sereinement mais ce collectif d'« universitaires » s'est distingué par une volonté farouche de lui enlever toute légitimité en ayant recours à une violente attaque contre la personne même du journaliste et à un discours à visée de disqualification.3
Kamel Daoud se voit ainsi, par exemple, traité « d'humaniste autoproclamé », dont la thèse « .. ne fait qu’alimenter les fantasmes islamophobes » ; il est aussi accusé de soutenir un projet « scandaleux ». Son analyse est décrétée « asociologique » et le journaliste et auteur algérien est l'objet d'une attribution négative quant à sa capacité de penser lucidement puisque : « certainement marqué par son expérience durant la guerre civile ». Et encore le convenu « de quoi Daoud est-il le nom ? », à valeur stigmatisante. La lecture de la contribution agressive des « universitaires » montre une volonté de discréditer, au-delà de la personne, toutes les affirmations de Kamel Daoud et donc d'alimenter un déni d'une réalité décrite, par exemple, Fawzia Zouari et Marieme Hélie Lucas, sociologue algérienne8
De l'art de masquer la vérité et de la servir à son corps défendant
Cette contre-tribune a suscité une vague de colères chez nombre de lecteurs du Monde et provoqué l'annonce par K.Daoud qu'il mettait un terme à sa carrière de journaliste. Elle a été aussi à l'origine de plusieurs articles de soutien au texte de Kamel Daoud signés, par exemple par Michel Guerrin, journaliste au Monde4 ou encore par Mezri Haddad5, ancien diplomate et philosophe. Le 1er Ministre, Manuel Valls6, a tenu à soutenir l'auteur de Meursault contre-enquête.
Deux femmes, déjà citées, battent en brèche le laborieux déni des censeurs de Kamel Daoud, basé sur le relativisme. Fawzia Zouari, écrivaine franco-tunisienne, dans deux textes de valeur7 : « pourquoi Kamel Daoud a raison et « au nom de Kamel Daoud » et Marieme Hélie Lucas, sociologue algérienne dans un texte essentiel : « De l’européocentrisme comme cache-sexe, et de l‘art de la prestidigitation en politique8 ».
Le déni des censeurs porte essentiellement sur l'existence d'un statut problématique des femmes dans le monde arabo-musulman, dans « le monde d'Allah » dit K.Daoud, expression méchamment taxée d'essentialiste par ses contempteurs. A ce déni, Fawzia Zouari répond : « Et pourtant, qui douterait des affirmations de Daoud ? Qui, des signataires du Monde, pourrait démentir que la plupart des sociétés arabes vivent dans un puritanisme outrancier et une grande misère sexuelle ? ».
Marieme Hélie Lucas, après avoir évoqué plusieurs situations d'agressions de femmes (A Tunis, Place Tahrir au Caire), dit : « Réminiscence plus ancienne encore : Alger, été 1969, 1er Festival Culturel Pan-Africain : place de la Grande Poste, des centaines de femmes sont assises par terre, occupant tout le large carrefour qui a été pour la circonstance interdit à la circulation automobile ; elles assistent à l’un des nombreux concerts gratuits offerts à la population de 5h de l’après midi à 4h du matin chaque jour pendant des semaines, manifestations culturelles auxquels les femmes sont très assidues ; la plupart portent le haïk blanc traditionnel de l’Algérois et ont emmené plusieurs enfants chacune. La nuit tombe peu après 8h30 et un cri s’élève : ‘en- nsa, l-ed-dar’, ‘les femmes à la maison’, repris par les centaines d’hommes qui assistent aussi au concert. Petit à petit et à regret, les femmes et les enfants quittent la place. Les hommes rient, triomphants, méprisants (...) Patriarcat et intégrisme, culture et religion, voguent main dans la main ».
Les censeurs de Kamel Daoud ont soigneusement évité de discuter la thèse qu'il déployait dans sa tribune. Pourquoi, par exemple, n'ont-ils pas cité un ou plusieurs pays du monde arabo-musulman qui contredisait sa thèse si la généralisation du journaliste était erronée ?
Les « universitaires » ont proposé des facteurs explicatifs des événements de Cologne qui sont recevables. Ils soulignent la nécessité de prendre en compte les conditions sociales, politiques et économiques comme : « ...l’hébergement des réfugiés ou des conditions d’émigration qui encouragent la prédominance des jeunes hommes ». Mais un chercheur digne ce nom ne rejette pas un ou plusieurs facteurs qu'il juge non pertinents sans le justifier en raison, ce que n'ont pas du tout fait nos « universitaires » dont on peut alors interroger le sérieux ou les motivations.
Il est évidemment nécessaire de considérer que les deux analyses, celles de Kamel Daoud et de ses censeurs ne sont pas exclusives l'une de l'autre. Sauf que l'auteur de Meursault contre-enquête peut choisir de mettre l'accent sur un facteur sans subir une charge agressive et insupportable.
Le collectif d' « universitaires » a échoué à interdire le débat. Bien-sûr Kamel Daoud renonce à son activité de journaliste mais la violence des attaques de ses contempteurs se retourne contre leur stratégie que l'on espère seulement destinée à ne pas alimenter Pegida. A tout le moins, leur contribution ne me paraît pas correspondre à ce qu'on peut attendre d'intellectuels dignes de ce nom.
2Fawzia Zouari, écrivaine franco-tunisienne : http://www.jeuneafrique.com/mag/304007/societe/polemique-kamel-daoud-a-raison/ et aussi : http://www.liberation.fr/debats/2016/02/28/au-nom-de-kamel-daoud_1436364
4http://www.lemonde.fr/idees/article/2016/02/26/kamel-daoud-ou-la-defaite-du-debat_4872564_3232.html
7Voir note 2
8Marieme Hélie Lucas, sociologue algérienne : http://www.siawi.org/article10591.html
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