Vierge sous serment
Sur le site Radio Free Europe / Radio Liberty , Gordana Knezevic évoque une coutume qui survit en Albanie, mais a déjà disparu en Dalmatie et en Bosnie, et connait ses ultimes moments au Monténégro.
Il s’agit d’une pratique médiévale inhabituelle : traditionnellement, si un chef de famille meurt sans laisser d’héritier mâle, une de ses filles pouvaient choisir de devenir un homme, s’habiller comme un homme, fumer et se mêler aux hommes au le café du village. Elle pouvait même porter une arme.
Mais ces privilèges avaient un prix très élevé. Elle devait devenir une « vierge sous serment."
Son vœu de célibat et sa promesse pour soigner sa mère, ses sœurs, ainsi que la responsabilité de maintenir à sa valeur le patrimoine familial étaient des engagements à vie. Dans de nombreux cas, c’était le seul moyen pour une femme d’hériter de la richesse de sa famille.
A la fin du mois de mai dernier, la dernière vierge sous serment du Monténégro a été transférée de son village près de Savnik vers une maison de retraite dans la ville côtière de Risan. Stana Cerovic est née en 1936. Elle était la plus jeune enfant dans une famille de cinq filles et deux garçons, qui sont tous les deux morts jeunes.
Alors qu'elle était encore une enfant, elle a promis à son père qu'elle ne se marierait jamais et, prendrait soin de la famille. Socialement, toute sa vie a été la même que celle d’un homme dans cette société traditionnelle. Elle a commencé à fumer à l'âge de 5 ans et commencé à travailler dans les champs de son père à l'âge de 7 ans. Son père lui a appris à utiliser un fusil.
Stana ne s’est jamais habillée en femme. Les « tâches féminines » traditionnelles comme la lessive et le ménage ont toujours été faites par ses sœurs. Elle a toujours été "l'homme de la famille."
Toute sa vie, Stana s’est considérée comme privilégiée plutôt que lésée, car privée de son identité féminine et de sa vie de femme. En fait, la conviction qu'il s’agissait d’un honneur pour une femme d'assumer le rôle d'un homme était bien le fondement social de cette coutume.
Mais maintenant, à l'âge de 80 ans, Stana ralentit le rythme de ses activités. Elle a dû vendre la plupart de ses vaches après que l’une d’entre elles l’ait blessée l’an dernier.
Récemment, un téléfilm consacré à sa vie a ému beaucoup de téléspectateurs au Monténégro. Des offres d'aide sont parvenues de tout le pays. Les autorités locales ont réservé une place pour elle dans un établissement médicalisé pour ne pas laisser la charité publique la prendre en charge.
"Il est de notre devoir de prendre soin de Stana," a déclaré un travailleur social de Savnik à la télévision monténégrine.
Cet ensemble archaïque de règles sociales trouve son origine dans les villages de montagne du Monténégro, dans le sud du Kosovo, et dans le nord de l'Albanie au 15ème siècle. Certaines îles de la côte dalmate avaient aussi leurs vierges sous serment. Ces femmes se coupaient les cheveux courts, s’habillaient comme les hommes, et souvent même changeaient de prénom. Elles adoptaient beaucoup de geste et de manières masculines au point d’investir une seconde nature.
Une romancière albanaise, Elvira Dones a écrit une nouvelle intitulée « Vergine giurata »,(Milano : Feltrinelli, 2007) (1), dans laquelle les sœurs de l’héroine l’aide à retrouver son identité de femme.
Contrairement à l’épilogue de la fiction littéraire, la bien réelle Stana Cerovic n’a pas de regrets. Elle demande seulement qu’on grave sur le caveau familial cette épitaphe pour l’identifier : « Le seul fils survivant de la famille ».
________________________________________________________________________
- « Vierge sous serment » est également le titre d’un film sorti en 2015, inspiré du roman de l'Albanaise Elvira Dones et réalisé par Laura Bispuri
31 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON