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Accueil du site > Tribune Libre > L’érosion et l’évaporation du Capital #8

L’érosion et l’évaporation du Capital #8

Le libéralisme

Il n’est de terme plus flou, plus large et plus insaisissable que celui de « libéralisme ». Si wikipédia définit ce dernier comme une « doctrine de philosophie politique », le site internet « http://www.toupie.org » en donne une définition synthétique, complète et relativement actuelle :

« Définition du libéralisme

Etymologie : du latin liberalis, généreux, noble, digne d'une personne libre.

Historiquement, le libéralisme est une doctrine politique, apparue au XIXe siècle, qui réclamait la liberté politique, religieuse, économique, etc., dans l'esprit des principes de 1789. L'anglais John Locke (1632-1704), qui a fait de l'individu et de ses droits inaliénables (liberté, propriété...) le centre et l'origine des relations sociales, en fut l'un des précurseurs.

En matière politique, le libéralisme est, de nos jours, une attitude qui défend la démocratie politique et les libertés individuelles. (Opposé : totalitarisme).

En matière économique, le libéralisme est une doctrine qui défend la libre entreprise et la liberté du marché. Le principe fondamental du libéralisme est qu'il existe un ordre naturel qui tend à conduire le système économique vers l'équilibre. La loi de l'offre et de la demande, par exemple, conduit à l'équilibre entre la production et la consommation sous réserve de liberté des marchés et de libre concurrence, seules censées garantir l'ajustement optimum des ressources disponibles (offre) à la demande. S'il peut agir librement, l'homme en tant que premier agent économique peut atteindre cet ordre naturel. Les intérêts de l'individu et de la société sont alors convergents.

Le libéralisme économique s'oppose au contrôle par l'Etat des moyens de production et à l'intervention de celui-ci dans l'économie, si ce n'est pour coordonner les entreprises ou garantir un marché équitable (opposé : étatisme, dirigisme, socialisme, communisme).

Critiques faites au libéralisme

Le projet global du libéralisme, mis en œuvre à partir des années 80, consiste à transformer la société pour qu'elle réponde pleinement aux exigences du capitalisme :

Le libéralisme est devenu le fondement des grandes instances mondiales, comme l'OMC ou le FMI qui par leur supranationalité échappe à toute légitimité démocratique. Il est le seul modèle enseigné dans les grandes écoles où aucune autre vision n'est étudiée. Il est la seule logique des grandes entreprises et du capitalisme et tend à devenir la seule référence des gouvernements, de droite comme de gauche.

Présenté comme loi naturelle, le libéralisme devient alors intouchable, ce qui lui permet d'échapper aux aléas électoraux du jeu démocratique. »

 

Sur le plan philosophique, la doctrine libérale moderne, parfois qualifiée d’ultralibérale, appuie sa légitimité sur des concepts de philosophie politique comme l’individualisme ou des doctrines politiques tels que le darwinisme social. Jean-Claude Michéa défend l’idée d’une « unité du libéralisme » :

« Je soutiens, en effet, que le mouvement historique qui transforme en profondeur les sociétés modernes doit être fondamentalement compris comme l’accomplissement logique (ou la vérité) du projet philosophique libéral, tel qu’il s’est progressivement défini depuis le XVIIᵉ siècle et, tout particulièrement, depuis la philosophie des Lumières. Cela revient à dire que le monde sans âme du capitalisme contemporain constitue la seule forme historique sous laquelle cette doctrine libérale originelle pouvait se réaliser dans les faits. Il est, en d’autre terme, le libéralisme réellement existant […] aussi bien dans sa version économique (qui a, traditionnellement, la préférence de la « droite ») que dans sa version culturelle et politique (dont la défense est devenue la spécialité de la « gauche » contemporaine et, surtout, de l’« extrême gauche », cette pointe la plus remuante du spectacle moderne). »

Cette thèse, soutenue par Jean-Claude Michéa dans son livre « L’empire du moindre mal », doit être relativisée, pour ne pas dire écartée. Pour cela, il est nécessaire de comprendre que les systèmes politiques et économiques ainsi que les idéologies qui les soutiennent sont à géométrie variable pour les classes dominantes. Selon leurs besoins et leurs stratégies pour canaliser les élans populaires, les classes dominantes habillent leurs oligarchies par des « démocraties représentatives », des « monarchies parlementaires », des « régimes communistes » ou des dictatures assumées.

La démocratie et le libéralisme ne sont que des idéaux nobles qui, servant à légitimer les pires exactions commises par les classes dominantes (« guerre pour la justice ou la démocratie », « servitude volontaire »…), sont dévoyés et corrompus au dernier degré. C’est ici que se noue le drame : quoi de mieux qu’un idéal dévoyé pour justifier son strict contraire : "Notre démocratie libérale est corrompue ? Zut, c’est de la faute du libéralisme et de la démocratie, faisons donc une dictature totalitaire !"

Ainsi, la responsabilité n’est pas à rechercher dans l’origine ou la nature de nos philosophies politiques mais dans les classes dominantes qui usent de leur pouvoir pour déformer les philosophies politiques, les systèmes politiques (ou leurs appellations) et les systèmes économiques. Lorsque dans les années 80, Reagan et Thatcher deviennent les apôtres du néolibéralisme, ce n’est pas parce qu’ils désirent accomplir la « logique du projet philosophique libéral ». Non, les dominants ne font pas de philosophie, ils dominent. (La philosophie n’est qu’un outil pour asseoir leur domination.) Après avoir constaté que la croissance économique est achevée, la classe dominante décide d’acquérir la maitrise du Capital. Cela se caractérise par une captation des richesses (nouvelles et anciennes) à son profit, c’est-à-dire le profit des oligarchies financières.

Cette captation de richesse est mise en œuvre selon divers moyens évoqués plus haut [libre circulation des capitaux, mise en concurrence internationale des travailleurs, nivellement par le bas des salaires et des droits sociaux, suppression de services publics, suprématie absolue de l'économie, endettement public, paradis fiscaux, fiscalité accommodante pour les haut revenus et les hauts patrimoines…] sous l’étiquette écœurante de « projet global du libéralisme ». Dans la réalité, cette stratégie fut notamment mise en œuvre par Reagan et Thatcher et se traduit dans les propos, d’un extrémisme terrifiant, de Friedrich Von Hayeck :

« Non seulement le concept de justice social est un non-sens, mais il est devenu le prétexte par excellence pour liquider les structures du monde libre […] Nous devons [le] combattre [puisqu’il] devient le prétexte à user de la contrainte envers d’autres hommes. […] Concept strictement vide et dénué de sens, il est un signe de l’immaturité de notre esprit. […] L’égalité des chances [est] un idéal totalement illusoire et tout essai de le faire passer dans les réalités risque de créer un cauchemar. […] [Je souhaite faire en sorte que mes contemporains] éprouvent désormais une honte insurmontable à se servir encore des termes « justice sociale » »[1]

Ici, comme souvent, l’idéologie et la philosophie (pour ne pas dire la religion) ne sont que des accessoires et des prétextes pour organiser l’asservissement et justifier un pouvoir. Comment soutenir la thèse de « l’unité du libéralisme » lorsque, comme au Chili, le libéralisme économique devient le prétexte de l’extinction du libéralisme politique ?

« Une dictature peut-être un système nécessaire pour une période transitoire. […] Je préfère sacrifier la démocratie temporairement – je le répète temporairement – plutôt que la liberté. […] Personnellement je préfère un dictateur libéral à un gouvernement démocratique non libéral. » [2]

Dans cet extrait :

  • « liberté » est à comprendre comme « ultralibéralisme économique ».
  • « temporairement » est à comprendre comme « 17 ans »
  • « dictature » est à comprendre comme « régime marqué par de multiples violations des droits de l'homme (plus de 3 200 morts et disparus, plus de 38 000 torturés) »

>> Friedrich Von Hayeck ou comment lutter contre un libéralisme par un autre libéralisme, ou comment démolir le libéralisme politique au motif du libéralisme économique, ou comment la liberté économique est instrumentalisée par les classes dominantes afin de soumettre les classes populaires ou des pays sous le prétexte de « projet global du libéralisme ».

C’est par ce genre de contradiction que l’on peut démasquer l’élasticité, pour ne pas dire l’inconsistance, du terme de « libéralisme ». Comment expliquer la fausse route de Jean-Claude Michéa ? Probablement par l’orgueil de l’intellectuel. En effet, il n’y a que des philosophes pour imaginer que la philosophie politique, c’est-à-dire d’autres intellectuels, ont une semblable influence sur le monde. Il n’y a que des intellectuels pour présumer un tel détachement, une telle supériorité de l’esprit sur la matière jusqu’à estimer que l’histoire des idées ne rend compte qu’à elle-même et à ses élites. Cette conception vaporeuse de la philosophie politique libère d’une analyse des rapports de forces interclasses et géopolitiques ainsi que d’une prise en compte des mutations médias. N’est-il pas douloureux d’admettre pour nos délicats intellectuels que leur charmante philosophie est une trainée prompte à se vendre, s’offrir, se faire dominer, humilier, salir par les élites dominantes qui maîtrisent la dialectique (comme une arme) ?

C’est un lieu commun de reconnaitre que le libéralisme, qui n’est qu’un mot péjoratif pour désigner la liberté, doit se voir imposer des limites. Néanmoins, épiloguer de la « juste » limite de cette liberté dans le domaine de la morale, du droit, de l’économie, de la politique est un débat philosophique dont la résolution devrait être « réellement démocratique » et non l’affaire de quelques intellectuels à l’esprit étriqué.

[1] : Friedrich von Hayek, Droit, législation et liberté, 1976.

[2] : Friedrich von Hayek, El Mercurio, (journal chilien), avril 1981.


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5 réactions à cet article    


  • Jo.Di Jo.Di 28 juin 2016 20:02

    « [Hobbes affirmait] que la subordination de toutes les relations sociales aux lois du Marché avaient balayé les dernières restriction de la guerre de tous contre tous, ainsi que les illusions apaisantes qui masquaient celles-ci [...] le plaisir devenait la seule activité vitale, comme Sade fût le premier à le comprendre [...] Aucune forme de pensée [morale] où de sentiment n’a de place logique dans une société basée sur la production de marchandises [...] Sade perçut que l’émancipation bourgeoise [bobo de gôôôche Ploutocrate Sexialiste], portée à sa conclusion logique, serait amenée à détruire le culte sentimental à la femme et à la famille, cultes poussés à l’extrême par cette même [ancienne] bourgeoisie.
     
    [Sade] comprit que la condamnation de la vénération de la femme devait s’accompagner d’une défense des droits sexuels de celle-ci - le droit de disposer de son propre corps, comme diraient les féministes [...] Il avait perçu, plus clairement que les féministes, qu’en régime capitaliste, toute liberté aboutissait finalement au même point : L’obligation universelle de jouir et de se donner en jouissance [...] La défense de la sphère privée aboutit à sa négation, que la glorification de l’individu aboutit à son annihilation. [...]
     
    Dans sa période d’accumulation primitive, le capitalisme avait subordonné l’Être à l’Avoir, la valeur utile [d’usage] de la marchandise à la valeur d’échange [argent]. Aujourd’hui il assujettit la possession elle-même à l’apparence, et mesure la valeur d’échange au degré de prestige [la Rollex en or du rappeur colon ; le Capitalisme de la Séduction] - l’illusion de prospérité et de bien-être [la belle sdb d’Intouchables] - que confère une marchandise donnée. 
     
    Comme l’écrit Guy Debord : ‘Quand la nécessité économique, qui a été la base immuable des sociétés anciennes, est remplacée par la nécessité du développement économique infini, la satisfaction des premiers besoins humains sommairement reconnus fait place à la satisfaction ininterrompue de pseudo-besoins [le portable du bobo changé tous les 6 mois, et son sur-travail consumériste] »

     
    ‘La culture du narcissisme’ Christopher Lasch
     


    • Jo.Di Jo.Di 28 juin 2016 20:13

      « On sait qu’en Allemagne, où grâce à la gauche la prostitution est déjà devenue un métier comme un autre, certaines ouvrières licenciées par le Capital se sont vu logiquement proposer par l’ANPE locale, au titre de leur reconversion, l’emploi d’hôtesses de charme dans les nouveaux Eros Center. (…) Si (…) la prostitution est bien un métier comme un autre, il est logiquement inévitable que l’Éducation nationale prenne en charge, dès le collège, la formation des élèves désireux de s’orienter vers ce métier d’avenir [surtout pour le Boobaland] (création des diplômes, définition des (…) épreuves d’examen destinées à valider les compétences acquises ; constitution enfin des corps d’enseignants et d’inspection (…). »
       
      ’L’Empire du Moindre Mal’ Jean-Claude Michéa Ed. Ploutocratie Sexialiste
       
      “La stratégie immigrationniste du système marchand vise à substituer au prolétariat offensif de la vieille histoire européenne, la diversité docile des multiples différences prosternées devant la loi du pécule.” 
       
      « L’Être contre l’Avoir » Francis Cousin, digne héritier de Baboeuf.


    • Jo.Di Jo.Di 28 juin 2016 20:18

      « Un pour cent de la population américaine détient un tiers de la richesse nationale. Le reste est réparti de telle manière que les 99% de la population restante sont montés les uns contre les autres : les petits propriétaires contre les plus démunis, les Noirs contre les Blancs, les « natifs » américains contre les citoyens d’origine étrangère, les intellectuels et les professions libérales contre les travailleurs non qualifiés et non diplômés. Ces groupes se sont opposés et ont lutté les uns contre les autres avec une telle violence qu’ils en ont oublié qu’ils étaient tous réduits à se partager les maigres restes de la richesse nationale. »
       
      ’Une histoire populaire des États-Unis’ Howard Zinn
       
      « Étaient et sont des « hommes sans monde » tous ceux qui sont contraints de vivre à l’intérieur d’un monde qui n’est pas [plus] le leur, d’un monde qui, bien qu’ils le produisent et le fassent fonctionner par leur labeur quotidien [présence concentrée au boulot mais sans identification au produit à la con, et ainsi ça produit même plus vite ...], monde pas construit pour eux [mais pour la classe dominante]
      Sans cette gymnastique du néant ils se retrouveraient dans le néant, ou assis devant l’écran [à regarder ’Les Marseillais’]– mais ce faire n’est qu’un déguisement du rien-faire, et parce qu’ils seraient alors contraints d’avaler quotidiennement la pâtée du temps libre surgissant toujours de nouveau devant eux »

       
      « le déraciné multiethniqué par la gôôôche » G. Anders


    • Alren Alren 29 juin 2016 18:03

      Qu’est-ce que le libéralisme ? Si c’est la volonté de laisser faire à autrui tout ce qui n’est pas contraire aux lois, alors il n’existe aucun exploiteur « libéral » : pour continuer à prélever le fruit de son parasitisme, il est indispensable d’empêcher l’exploité de disposer des mêmes droits et libertés que lui. Naturellement l’exploité lui n’a pas à être libéral : il ne peut rien interdire à sa hiérarchie dans l’entreprise. Il peut démissionner c’est tout.

      Bien des faits démontrent que le « libéralisme » n’existe pas.

      C’est, en pleine Révolution, la loi Le Chapelier qui interdit les « coalitions ouvrières » et bien entendu le droit de grève et les caisses de grève. Alors que les patrons se concertent pour lutter contre leur propre travailleurs, harmonisent les salaires (vers le plus bas possible) et aident financièrement celui qui est confronté à un mouvement social illégal.

      C’est la traque et le fichage par la police au service des puissants de tous les militants du mieux être social. Et les « références » exigées par la nouvelle patronne à la personne qui se présente pour un emploi de domestique. Les « références » étaient les réflexions de la patronne précédente solidarité entre exploiteurs.

      C’est le carnet que les travailleurs itinérants doivent avoir sur eux pour le présenter à toute requête de la police ou de la gendarmerie durant tout le XIXe siècle et où sont inscrits tous les emplois qu’il a eu.

      C’est la possession des journaux par les seuls riches hormis quelques uns comme « L’Humanité » de Jaurès auquel il n’est pas bon d’être abonné ostensiblement etc.

      Le libéralisme comme volonté de laisser faire à autrui, y compris l’employé, tout ce qui n’est pas contraire aux lois n’existe pas, répétons-le.

      S’il y a eu progrès social c’est grâce aux luttes illégales des travailleurs (grèves du 1er mai et grèves sauvages) mais surtout quand les exploiteurs n’ont pas pu dissimuler leur rouerie, comme à la Libération quand on a pu constater qui avait lutté contre les nazis et qui avait activement collaboré (sans tenir compte des petits malins chez les patrons qui avaient compris après Stalingrad que l’Allemagne allait perdre la guerre et se mirent à « résister » alors).

      Heureusement, de nos jours, le pouvoir des exploiteurs est assez impuissants à contrôler contre les téléphones portables, leurs caméras numériques, les SMS, les courriels, internet en général et que leurs leviers habituels de propagande, journaux papier et radios-télés, sont de plus en plus délaissés.

      Les curés et les notables qui dans les campagnes jouaient autrefois un si grand rôle pour détourner le peuple de la défense de ses intérêts (Ils ont fait élire Louis-Napoléon, prince-président pour le plus grand malheur de la France) ne sont plus là et seraient de toute façon ignorés des « rurbains ».

      Le masque « libéral » des « centristes » à la Bayrou, le « raisonnable » est en train de sauter, heureusement.


      • Doume65 29 juin 2016 20:22

        « Le principe fondamental du libéralisme est qu’il existe un ordre naturel qui tend à conduire le système économique vers l’équilibre. »

        Non ! Ça, c’est le néolibéralisme. Cette doctrine qui prétend que le marché s’autorégule a une origine bien connue. Elle est née à l’École de Chicago et a été formalisée par Milton Friedman. Thatcher et Reagan ont réussi à l’imposer au monde entier.

        C’est une grosse erreur à mon sens de ne pas différencier libéralisme et néolibéralisme. Autant le libéralisme peut être intellectuellement soutenu et apporter du bien-être au peuple, autant le néolibéralisme est une mystification. Car il suppose que les États sont nocifs et que toute régulation vient « fausser » le « marché ». Notons que l’UE est à fond dans le néolibéralisme et que c’est bien pour cela qu’elle ne peut apporter que désolation dans le peuple.

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