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Accueil du site > Tribune Libre > Réponse à Jen Weidmann et François Villeroy, présidents de la Deutsche (...)

Réponse à Jen Weidmann et François Villeroy, présidents de la Deutsche Bundesbank et de la Banque de France, sur la crise en Europe

 Dans un rapport de la Banque de France, « L’Europe à la croisée des chemins » (1), Jen Weidmann, président de la Deutsche Bundesbank, et François Villeroy, nouveau gouverneur de la Banque de France, ont analysé, aujourd’hui, la situation de l’Europe. « Aujourd'hui, disent-ils, l'Europe se trouve à la croisée des chemins. » Ce qu’on retient : 1. «  La crise de la dette n'est pas complètement terminée et, dans de nombreux États membres, le chômage demeure élevé.  » 2. « La montée du terrorisme.  » 3. «  L’afflux massif de réfugiés. Ce sont des questions qui ne pourront rester sans réponse. En France comme en Allemagne, certains peuvent avoir le sentiment d'une absence notable de solidarité européenne sur ces deux points. D'autres vont même jusqu'à remettre fondamentalement en question le projet européen, et les tendances nationalistes s'exacerbent dans plusieurs États membres. Pourtant, en tant qu'Européens engagés, nous considérons tous deux que l'avenir de l'Europe ne peut se bâtir sur une renationalisation, mais qu’il passe, au contraire, par un renforcement de ses fondations. Les Européens partagent des valeurs fortes, un modèle social équitable et une monnaie solide. Nous devons nous appuyer sur ces atouts. »

Tout en précisant que la politique monétaire menée par la BCE qui a apporté un grand soutien à l’économie de la zone euro, elle ne peut à elle seule générer une croissance économique durable. Pour apporter une solution à la crise de la dette souveraine en Europe, les Banquiers centraux préconisent : « Pour mener à bien le renforcement de la prospérité et de la stabilité dans la zone euro, il convient d’ériger trois piliers économiques : des programmes de réformes structurelles nationales menées avec détermination, une Union de financement et d’investissement et une meilleure gouvernance économique.

Des programmes de réformes structurelles nationales menés avec détermination sont essentiels pour renforcer la croissance et l’emploi. Commençons par la France. Le fonctionnement du marché du travail doit manifestement être amélioré et il convient de traiter la question de la dualité entre les contrats à durée déterminée et les contrats à durée indéterminée ; au-delà du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE), il faut encore réduire le coût des emplois non qualifiés ; le système d’éducation et de formation doit être réorganisé afin de créer des voies d'accès à l'emploi pour les jeunes, et à cet égard, la promotion de l'apprentissage pourrait constituer la meilleure voie à suivre. Sur les marchés des biens et des services, la concurrence doit être renforcée en supprimant les barrières à l'entrée et à la sortie, notamment dans le secteur des services. S'agissant de la dette publique, il convient de poursuivre les efforts engagés afin d'atteindre des niveaux plus soutenables. À cette fin, la discipline budgétaire doit être renforcée au moyen d’une gestion plus rigoureuse des dépenses.

En dépit de sa situation économique plus favorable, l'Allemagne doit, elle aussi, poursuivre sur la voie de la réforme : les évolutions démographiques devraient entraîner une diminution de la population active - et l'afflux de réfugiés que l'on observe actuellement ne changera pas la donne de manière significative. Il en résultera un ralentissement de la croissance à long terme. Deux leviers principaux permettent d'agir sur ce fardeau démographique : relever l'âge du départ à la retraite pour être en phase avec l'augmentation de l'espérance de vie ; accroître le taux d'activité, notamment en encourageant davantage de femmes à rejoindre la population active. »

Les Banquiers centraux donnent des précisions sur la jeunesse et leur intégration dans le marché de l’emploi, ainsi que sur les migrants. « Les infrastructures d'accueil et d'éducation des enfants doivent être améliorées et développées. Le régime fiscal et de redistribution allemand peut être modifié de manière à accroître les incitations à la recherche d'un emploi rémunéré. Des mesures décisives de politique économique doivent être prises afin d'apporter aux réfugiés qui resteront dans le pays les connaissances linguistiques et les compétences professionnelles nécessaires pour réussir sur le marché du travail. Et les obstacles à l'augmentation de la productivité pourraient être supprimés en réduisant les barrières à l'entrée sur le marché, par exemple, par la libéralisation et la dérèglementation des professions libérales ou par l'élimination des freins à la création d'entreprise.

Outre les réformes structurelles à l'échelle nationale, des mesures de renforcement de la croissance sont nécessaires au niveau européen. »

Pour ce faire, Jen Weidmann et François Villeroy annoncent, pour renforcer la zone euro, la mise en œuvre d'un programme ambitieux qui doit s’appuyer sur une « Union de financement et d'investissement ». I.e. le deuxième pilier économique.

« En effet, l'un des principaux défis que doit relever la zone euro concerne le paradoxe d’une épargne abondante qui n’est pas suffisamment mobilisée au bénéfice de l’investissement productif. L'Europe peut mieux faire pour rapprocher les deux, et l'émission d'actions semble être l'évolution la plus prometteuse en ce sens. Chacun sait que le financement des entreprises par émission d'actions est deux fois moins important en Europe qu'aux États-Unis et le financement par endettement deux fois plus élevé. Cela est regrettable car le financement par émission d'actions est le meilleur moyen de partager les risques et les opportunités, et aussi de soutenir l'innovation. Par exemple, le marché boursier américain, qui présente une forte intégration, est capable d'amortir 40 % environ d'un choc économique spécifique à un État, les bénéfices et les pertes des entreprises étant distribués à leurs propriétaires sur l'ensemble du territoire américain. Dans la zone euro, cette forme de partage des risques est pratiquement inexistante. En se rapprochant des niveaux américains, la zone euro deviendrait une union monétaire beaucoup plus résistante. Le projet de la Commission européenne de créer une Union des marchés de capitaux apporte des réponses à certains de ces problèmes. Prises individuellement, des initiatives telles que l’Union des marchés de capitaux, le plan Juncker pour l'investissement et l'achèvement de l’Union bancaire - une fois les conditions préalables réunies - ne seraient pas vraiment marquantes, alors que sous une forme plus rationalisée et rebaptisée « Union de financement et d'investissement », elles seront collectivement capables de mieux canaliser l'épargne vers des investissements productifs en Europe. »

Pour le troisième pilier, c’est-à-dire la gouvernance de la zone euro, Jen Weidmann et François Villeroy posent la problématique de la croissance dans la zone euro : « Enfin, s’agissant des politiques budgétaire et économique, l’asymétrie actuelle entre souveraineté nationale et solidarité commune constitue une menace pour la stabilité de notre union monétaire. Malheureusement, le cadre de coordination qui avait été mis en place comme garde-fou n’a pas permis d’éviter la détérioration des finances publiques et l’accumulation de déséquilibres économiques, comme l’a notamment montré la crise grecque. Nous nous trouvons clairement à la croisée des chemins et la question à laquelle nous devons répondre à présent est la suivante : comment sortir de cette situation sous-optimale ? »

On doit comprendre que c’est la gouvernance économique dans la zone euro qui pose problème. Et que, sans le règlement de cette question, les deux piliers économiques préconisés, à savoir les programmes de réformes structurelles nationales, une Union de financement et d’investissement et une meilleure gouvernance économique, ne seraient que des vœux pieux. Et c’est d’ailleurs une mise en garde que Jen Weidmann et François Villeroy adressent à tous les décideurs européens, et qui, en tant que Banquiers centraux, savent ce qui pourrait ressortir de la situation future de l’économie européenne. En s’interrogeant, « Que faire pour sortir de cette situation sous-optimale ? », et en énonçant qu’« une asymétrie est une menace pour la stabilité de notre union monétaire », on remarque néanmoins un paradoxe euphémique qui ne calque pas avec la réalité de la zone euro.

Les propositions des Banquiers centraux pour sortir l’économie de la zone euro de la crise : « Une plus grande intégration semble être la solution la plus simple pour restaurer la confiance dans la zone euro, car elle favoriserait des stratégies communes en matière de finances publiques et de réformes et par là, la croissance. Pour cela, il faudrait clairement que les États membres de la zone euro consentent à un partage de la souveraineté et des pouvoirs au niveau européen, ce qui exigerait alors une plus grande responsabilité démocratique. Dans ce nouveau cadre, la zone euro reposerait sur une base institutionnelle plus solide, qui devrait se fonder sur l’idée centrale de l’intégration monétaire européenne, selon laquelle l’UEM apporte stabilité et croissance. Il appartient aux hommes politiques de concevoir le nouveau cadre mais ils pourraient partir, par exemple, des éléments suivants : une administration européenne efficace et moins fragmentée pour construire un Trésor commun à la zone euro, conjointement avec un conseil budgétaire indépendant ; et un organe politique plus fort pour prendre les décisions politiques, sous contrôle parlementaire. Ces nouvelles institutions permettraient de rétablir l’équilibre entre responsabilité et contrôle. »

Prenant en compte la situation sociopolitique réelle de la zone euro, les deux Banquiers centraux considèrent « Toutefois, si les gouvernements et les Parlements de la zone euro reculaient devant la dimension politique d’une véritable union, il ne resterait comme option envisageable qu'une approche décentralisée fondée sur la responsabilité individuelle et des règles encore plus fortes. Dans ce scénario, les règles budgétaires, qui ont déjà été renforcées notamment par le biais du pacte budgétaire et du Semestre européen, devraient être complétées. Dans un tel régime de responsabilité individuelle accrue, il faudrait aussi nous assurer que le risque, y compris celui lié aux expositions souveraines, est dûment pris en compte par tous les acteurs, ne fût-ce que pour réduire la vulnérabilité des banques en cas de perturbations affectant la dette souveraine. De plus, il serait nécessaire d’examiner comment mieux associer les investisseurs privés dans les plans de sauvetage du MES et comment concevoir un processus de restructuration des dettes souveraines qui ne mette pas en péril la stabilité financière de la zone euro dans son ensemble. Aller dans cette direction permettrait de conserver la souveraineté nationale au sein de la zone euro, avec un niveau de solidarité proportionnellement réduit. Mais cela constituerait l’autre option vers le rééquilibrage entre responsabilité et contrôle. »

On doit comprendre, à travers cette conclusion, que s’il n’est pas possible de créer un gouvernement central pour l’Europe, c’est-à-dire un Etat supranational, sur le modèle des États-Unis, il faudrait alors une « approche décentralisée fondée sur la responsabilité accrue et des règles encore plus fortes » avec pour conséquence, un niveau de solidarité proportionnellement réduit.

Que peut-on répondre aux trois piliers économiques, à savoir des programmes de réformes structurelles nationales menées avec détermination, une Union de financement et d’investissement et une meilleure gouvernance économique.

Tout d’abord, qu’en est-il d’une meilleure gouvernance économique dans la zone euro. Prenons la structure politique, économique et historique de l’Europe et comparons-la à celle des États-Unis. Un point essentiel les différentie. Lorsque les États-Unis se sont unis en une république constitutionnelle fédérale, ils étaient d’abord en cours de naissance. Les États-Unis, à l’époque, n’existaient pas. Un continent découvert à la fin du XVe siècle, au sein duquel des colonies européennes ont été fondées progressivement, à partir du XVIIe siècle. Ce n’est qu’à la du XVIIIe siècle, après l’indépendance que les 13 colonies britanniques unies se sont donnés des institutions fédérales. La déclaration d’indépendance des États-Unis a eu lieu le 4 juillet 1776. Donc une jeune nation qui s’est construite dès le départ en un Etat fédéral.

Ce n’est pas le cas pour l’Europe, le Vieux continent, qui reste une mosaïque de vieilles nations qui ont toute une longue histoire. Les langues, les systèmes économiques, les nationalismes fortement imprégnés, font que ces différences ne pourront permettre à ces nations d’abandonner leur souveraineté politique, du moins à court terme. Surtout que la situation des pays économiquement faibles ne suit pas les pays économiquement forts. Et la monnaie unique, l’euro, censée apporté une plus grande cohésion politique et économique au sein de la zone euro, a, au contraire, crée des clivages entre les pays dits vertueux, à faibles déficits, et les pays non vertueux, à forts déficits.

Le recul dans l’abandon de leur souveraineté au profit d’une instance supranationale ne peut être que conséquent à cette situation, donc tout à fait naturel. Il est évident que la structure des États-Unis ne peut s’adapter à l’Europe. On peut même dire que les quatre puissances de la zone euro, notamment l’Allemagne, la France, l’Italie et l’Espagne ne veulent pas d’une Europe fédérale, car celle-ci mettrait fin à leur hégémonie. Un portugais, un Polonais, ou un Grec, pourrait alors, à l’image de Barack Obama aux États-Unis, supplanter les ténors politiques européens qui occupent aujourd’hui la scène européenne et mondiale. Ce ne sera plus, par exemple, comme aujourd’hui, Angela Merkel, François Hollande, mais un nouveau staff élu démocratiquement dans les États-Unis d’Europe, si ceux-ci venaient à exister.

Mais alors que proposent Jen Weidmann et François Villeroy pour pallier à ce refus d’abandon de souveraineté ? Sinon à exhorter les pays du Sud à poursuivre les « réformes structurelles » qui complètent la politique monétaire de la BCE.

Mais ce à quoi appellent les Banquiers centraux est déjà édicté dans le Pacte de stabilité et de croissance (PSC), qui a été adopté au Conseil européen d’Amsterdam, en 1997. Un ensemble d’engagements économique que les États de la zone euro doivent respecter vis-à-vis de leurs partenaires. Par ce pacte, les pays de la zone euro doivent coordonner leurs politiques budgétaires afin d’éviter l’apparition des déficits publics. Et ce pacte a subi plusieurs révisions, en 2005, 2011…

Mais la réalité est là, le PSC n’a pas fonctionné. Les purges budgétaires qui entrent dans la septième année n’ont pas donné les résultats escomptés. Des sacrifices considérables ont été consentis par les pays d’Europe, y compris les pays du Nord. Baisse des salaires, de la couverture sociale, inquiétude croissante sur la déflation, endettement élevé, fort taux de chômage. Ce qui nous fait dire que les « réformes structurelles » ou, en clair, les « politiques d’austérité » qu’ils préconisent ni ne sont ni ne peuvent être porteuses, aujourd’hui. L’économie non seulement européenne, mais mondiale, est arrivée à la croisée des chemins. Il y a une menace réelle qui pèse sur l’économie de la zone euro. Et les deux Banquiers centraux ont entièrement raison de tirer la sonnette d’alarme. Parce que la BCE ne pourra pas, dans les temps à venir, pratiquer les « politiques monétaires non conventionnelles », ce qu’on appelle aussi les « quantitative easing » (QE), pour apporter un soutien à l’économie de la zone Euro.

Pour comprendre le processus des QE, prenons la décision récente, du 10 mars 2016, qu’a pris la Banque centrale européenne de porter de 60 à 80 milliards d'euros le montant de ses achats mensuels sur les marchés financiers, destinés à injecter des liquidités dans le système financier et à faire baisser les taux de crédit. (2) Ce vaste programme d’achat de dettes publiques et privées des différents États de la zone euro a démarré il y a un an, la BCE injectait tous les mois 60 milliards d’euros dans l’économie. En décembre 2015, le programme d’actifs a été étendu jusqu’en mars 2017 (au lieu de septembre 2016 initialement).

Si on fait le décompte des injections depuis mars 2015 à aujourd’hui, nous sommes en juillet 2016, la BCE a injecté entre mars 2015 et février 2016, une première tranche de 720 milliards d’euros et, entre mars 2016 et juillet 2016, une deuxième tranche de 400 milliards d’euros. Soit 1120 milliards d’euros. La troisième tranche à injecter, qui va d’août 2016 à mars 2017, sera de 640 milliards. A la fin du QE de la zone euro, la BCE aura injecté le montant de 1760 milliards d’euros.

Prenons les deux tranches qui ont été déjà injectées dans l’économie, c’est-à-dire 1120 milliards d’euros, que signifient-elles en premier lieu ? Que les capitaux injectés ont été répartis entre les actionnaires de la BCE, selon leurs parts respectives dans l’Eurozone. Le capital de la Banque centrale européenne n’est en fait que le regroupement des avoirs que les États européens-membres ont souscrit en or et en réserves de change (dollar, yen…) dans l’institution monétaire centrale de la zone euro. Par conséquent, les liquidités injectées par la BCE, au travers des QE qui sont à proprement parler ex nihilo (planche à billet), permettent non seulement la monétisation partielle des déficits et dettes des pays membres, au travers des achats de créances publiques et privées, mais surtout assurent le soutien à l’économie de la zone euro. Tel est l’intérêt des QE.

Mais le problème qui se pose est dans la répartition des montants injectés. Si on prend la répartition du capital de la BCE, arrêtée en janvier 2011, l’Allemagne et la France détiennent respectivement 27,06 % et 20,32 %. Ils ont par conséquent reçu de la BCE, depuis le lancement du QE en 2015, via leur système bancaire, respectivement les montants de 303,072 milliards d’euros et

227,584 milliards d’euros, soit 530,656 milliards d’euros.

Si on prend les parts de l’Italie, de l’Espagne, de la Grèce et du Portugal dans le capital de la BCE qui sont respectivement 17,86 %, 11,6 %, 2,8 % et 2,5 %, soit 34,76 %, ces quatre pays ont reçu 389,312 milliards d’euros.

Ces liquidités groupées rapportées aux populations respectives Allemagne-France (150 millions) donnent un ratio moyen de 3538 euros par habitants allemands et français, entre mars 2015 et juillet 2016 (16 mois). Pour l’Italie, l’Espagne, la Grèce et le Portugal, le ratio moyen du QE rapporté aux populations (127 millions) est de 3065 euros par habitant. On constate que l’écart entre les montants répartis n’est pas très grand.

Cependant le système économique allemand y compris de la France est beaucoup plus performant. Ce qui explique qu’avec la crise financière, l’Allemagne et la France (bien que la performance soit moindre en France) ont bien supporté le choc de la décroissance. L’Allemagne d’ailleurs qui enregistre des excédents financiers devient le prêteur principal de la zone euro, via la BCE. La France vient en deuxième position. On comprend dès lors la domination de l’Allemagne sur la zone euro. Et ces prêts qui entraînent des intérêts pour le pays prêteur sont accompagnés de conditionnalités drastiques. Il est évident que le prêteur ne veut pas perdre ses avoirs, et veut rentabiliser les crédits qu’il accorde.

Si, sur le plan interne de la zone euro, le Quantitative easing permet de soutenir l’économie européenne, il demeure que, sur le plan externe, il rend aussi des services paradoxalement positifs. En effet, sur le plan macroéconomique mondial, lorsque la BCE augmente en zone euro 1120 milliards d’euros, elle fait aussi augmenter les liquidités internationales dans le monde. Nonobstant les fluctuations des taux de change des grandes monnaies, le QE accorde inévitablement un pouvoir d’achat supplémentaire à la zone euro sur le reste du monde. En contrepartie, les pays émergents et en développement vont, à travers ce QE, doper leurs exportations. Donc ces pays gagnent en réserve de changes, et aussi en importations de produits nécessaires à leurs économies.

Mais alors, si le processus des QE est positif, bénéfique pour la zone euro et le reste du monde, où est la menace dont parlent Jen Weidmann et François Villeroy dans leur analyse ? Et leur insistance à pousser les pays du Sud de l’Eurozone à plus de rigueur dans leurs dépenses budgétaires qui, en fin de compte, n’apporte pas de croissance ?

Pour cela, il faut se référer à la Chine et à l’Inde. La Chine est devenue depuis 2010 la deuxième puissance mondiale, et aspire à être la première puissance mondiale, à l’horizon 2020-2030. La Chinafrique, où elle tisse une économie en réseau avec les pays africains, et l’Inde est en train de la suivre. De même, la Chinamérique et chinaeurope, au côté de la Chinafrique, vont permettre d’asseoir solidement et fortement l’internationalisation du yuan chinois.

Si, aujourd’hui, les États-Unis et l’Europe sont les grands gagnants des politiques monétaires non conventionnelles, y compris le Royaume-Uni et le Japon – d’ailleurs cette donne favorable a beaucoup joué dans la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne (Brexit) –, c’est que ces Quantitative easing ne sont pas éternelles. Elles vont progressivement commencer par décroître, et de plus en plus avec un yuan chinois qui commencera à rivaliser avec le dollar et l’euro dans leurs parts dans les réserves de change mondiales. Aujourd’hui, les parts du dollar et de l’euro, dans les réserves de change dans le monde, tournent respectivement autour de 60 %, et 20 %.

S’il est fait état, par les médias, que le yuan compte déjà pour 10 % dans les réserves de change mondiale, et que la monnaie chinoise voit sa place au côté des monnaies internationales augmenter, et en sus utilisé de comme monnaie de facturation des matières premières et de pétrole, donc rivalisant avec le dollar américain, il est évident que la Chine aura un « droit de seigneuriage » considérable. Ce qui l’amènera à user massivement si nécessaire des politiques monétaires non conventionnelles, à l’instar des États-Unis, l’Europe, et le Japon. On aura alors des Quantitative easing menées par les cinq puissances monétaires, qui seraient pratiquement à somme nulle. Personne n’y gagnerait. L’Occident ne pourra plus alors répercuter, via les QE, ses déficits et dettes (monétisation) sur le reste du monde.

Et c’est là le danger à la fois pour les États-Unis, et particulièrement pour la zone euro, le Royaume-Uni et le Japon. On aura alors un découplage progressif des pays d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine, c’est-à-dire de plus en plus indépendants des performances occidentales. Ce qui signifie que les pays de la Chinafrique demanderont plus de yuans (parce qu’ils commercent avec la Chine) que le dollar, l’euro, la livre sterling ou le yen. Il en sera de même pour la Russie, et sa périphérie eurasiatique, une partie des pays du monde arabe, asiatique et latino-américain.

Si cette situation devient effective dans un horizon non lointain, les Quantitative easing menées par la Fed américaine, la BCE, les Banques centrales du Royaume-Uni et du Japon se solderont forcément par l’inflation, les liquidités injectées continueront à circuler dans les pays occidentaux, contrairement à la situation déflationniste d’aujourd’hui. Les liquidités injectées, n’arrivant pas à être absorbées par le reste du monde, au travers du commerce mondial, viendront se loger dans la hausse des prix, dont les effets seront évidemment très négatifs pour les économies occidentales.

Et la situation pourrait se compliquer si la Chine sera rejointe, dans quelques années, par l’Inde, si, à son tour, elle réussira d’inscrire la roupie, comme le yuan, dans le panier de monnaies des DTS du FMI. On aurait alors 6 monnaies mondiales. Par conséquent, les injections de liquidités ex nihilo, par le processus des QE, seront tout simplement impossibles, sinon très préjudiciables pour les pays qui l’utiliseraient.

Et on peut penser que c’est cette situation non annoncée qui a fait dire aux Banquiers centraux, Jen Weidmann et François Villeroy, que l’Europe est à la croisée des chemins. Mais alors que faire ?

L’idée émise dans leur analyse de constituer « une Union de financement et d’investissement », est très positive. Cependant, il faut qu’elle soit posée sur des principes qui puissent lui donner un élan novateur, sinon cette union restera lettre morte comme tout ce qui a été tenté depuis 2008, voilà sept années.

Quel objectif pour une Union de financement et d’investissement ? Les termes mêmes qui sont utilisés pour définir cette union balisent déjà ce qu’elle doit être dans les faits. Et ces faits visent évidemment la création de richesses. Donc toutes les institutions européennes doivent mettre leurs efforts dans ce dispositif nouveau, et qui sera à l’échelle de la zone euro, pour précisément renverser la situation de morosité et enclencher un nouvel essor économique pour l’Europe.

Or, l’Europe monétaire dispose encore des Quantitative easing, donc des possibilités financières considérables. Et elle a en plus un formidable réservoir humain qui ne travaille pas. Le taux de chômage est élevé en Espagne, au Portugal, en Grèce, et dans plusieurs pays du Sud et du centre de l’Europe. Et on comprend pourquoi ces pays enregistrent des déficits budgétaires.

Dès lors puisque la zone euro bénéficie encore des QE, d’autre part, les pays du Nord, en particulier l’Allemagne, enregistrent des excédents – dans son discours du 8 juin à Berlin (3), François Villeroy de Galhau, fait état de 8 % du PIB allemand –, et une épargne consistante reste oisive, pourquoi ne pas bloquer 50 % du montant du QE voire même plus, et avec ces liquidités, constituer un fond qui servira d’un plan Marshall pour les pays du Sud de l’Europe.

En donnant du travail aux Espagnols, aux Portugais, aux Grecs, aux Italiens… et autres pays de la zone euro qui en ont besoin, dans des secteurs biens définis comme l’immobilier, les infrastructures, les délocalisations d’entreprises à fort potentiel de main d’œuvre, etc., dans le cadre du plan Marshall qui sera projectif, les pays du Sud gagneront, créeront des richesses, et deviendront moins dépendants de leurs États– les déficits budgétaires commenceront à décroître. Les pays du Nord qui auront investis leur épargne en plus des QE gagneront en dividendes financiers de la croissance, en débouchés pour leurs entreprises de production puisque la demande des pays du Sud deviendra progressivement solvable.

Evidemment, il faut que l’Allemagne et la France changent les règles du jeu financiers et ne voient pas la zone euro ou la BCE que comme ce qui leur revient, c’est-à-dire des quotes-parts qu’ils possèdent dans le capital de la BCE. Il faut qu’ils soient inspirés comme le furent les Américains, après 1945, qui ont décidé courageusement de financer et reconstruire l’Europe. Parce que cette Europe, à l’époque, permettait, par les investissements américains et les débouchés qu’elle représentait pour l’économie américaine, aussi la croissance économique de l’Amérique. Sans l’Europe, l’Amérique se serait vu obligé de fermer des milliers d’entreprises, usines, et donc mis des millions d’Américains au chômage.

Donc il est impératif de créer un fond de solidarité, et de refuser cette condition qui a été énoncé dans l’Union de financement et d’investissement, c’est-à-dire cette clause d’un niveau de solidarité proportionnellement réduit. Il faut bannir cette idée de solidarité proportionnellement réduite car elle ne ferait que freiner les bonnes volontés et parasiteraient le plan Marshall-Europe du Sud.

L’Union de financement et d’investissement doit être établie clairement, les secteurs délimités, les financements suffisants, et l’objectif de base est la création des richesses, partagée entre les pays-membres de la zone euro. Et partir du principe que si les pays du Sud resteront à la remorque, c’est toute la zone euro qui en souffrira dans les années à venir.

Le risque est grand comme l’a énoncé, de son vivant, Bernard Marris en 2014. « Si l’on garde l’euro, le seul moyen de ne pas crever face à la politique menée par l’Allemagne est de mener une politique de contre-offensive en vendant nos produits faits par nos petites mains, travaillant plus dur et plus longtemps pour des salaires plus faibles. A cette seule condition, on peut espérer tenir sur le radeau. Combien de temps ? Un demi-siècle environ. Après, toute la technologie sera passée aux Indiens et aux Chinois, qui deviendront nos employeurs. » (4)

Comme l’a conclu aussi François Villeroy dans son discours à Berlin. « Nous ne pouvons pas nous permettre une énième occasion manquée : pour l’Europe, pour ses citoyens, 2016-2017 est le moment décisif pour agir. » (3)

Enfin, une autre condition pour réussir, l’Europe doit disputer à la Chine la Chinafrique, et créer non pas la Françafrique mais l’Eurafrique, l’Eurarabe. De même, elle doit viser l’Eurasie et l’Euramériquelatine. Car c’est l’avenir de demain qui est en jeu avec l’avènement des grandes puissances émergentes.
 

Medjdoub Hamed
Auteur et Chercheur indépendant en Economie mondiale,
Relations internationales et Prospective

www.sens-du-monde.com

 

Notes :

1 Banque de France. Eurosystème. « L’Europe à la croisée des chemins ». 8 février 2015

https://www.banque-france.fr/uploads/tx_bdfgrandesdates/Article-conjoint-FVG-JW-20160208.pdf

2 « BCE : ce que la baisse des taux va changer », Le Figaro. 10 mars 2016.

http://www.lefigaro.fr/economie/le-scan-eco/explicateur/2016/03/10/29004-20160310ARTFIG00183-la-bce-reduit-ses-taux-et-augmente-ses-rachats-d-actifs.php

Discours de François Villeroy de Galhau, Gouverneur de la Banque de France. Berlin, 8 juin 2016
https://www.banque-france.fr/.../discours-fvdg-20160608-l-europe-a-la-croisee-des-chemins

4 « L’autre politique économique, ou comment échapper aux Chinois », par Bernard Maris », 29 septembre 2014
http://www.comite-valmy.org/spip.php?article5079

 


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1 réactions à cet article    


  • rhea 1481971 11 juillet 2016 19:24

    Le QE c’est la planche à billets enrobée de grandes théories fumeuses, il y a toujours un retour de manivelle un jour ou l’autre à cette pratique, il suffit de lire les livres d’histoire. En juillet 2015 l’espèce à dépasser un seuil proche de 7330000000 habitants sur la planète, il faut savoir analyser à quoi correspond ce seuil, c’est un travail de chercheur en économie.

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