La fin d’un rêve bleu
Non, la France n'est pas championne d'Europe de football. Mais ce n'est pas si grave que ça.
Ce matin, la France se réveille avec la gueule de bois. Non, la France n’est pas championne d’Europe. Non, il n’y aura pas une grande vague de nouveaux-nés appelés « Antoine » (quoique, c’est moins sûr) en l’honneur de la nouvelle coqueluche de cette équipe de France. La France s’est inclinée, hier soir, en finale de l’Euro 2016 face au Portugal, sur la plus petite des marges, 1-0, en encaissant un but en prolongations. Jusqu’au bout, les joueurs français nous auront tenu en haleine, mais au final, ce sont bien les portugais qui ont été sacrés.
Mais vous savez quoi ? Ce n’est pas si grave que ça.
Hier, en sortant, il régnait une atmosphère particulière dans les rues de Marseille, qui, à n’en pas douter, était générale sur le pays. J’ai croisé des gens heureux qui se dirigeaient vers la Fan Zone pour supporter leur équipe. J’ai vu des visages peints en bleu-blanc-rouge, drapeaux sur les épaules, sourires aux lèvres. J’ai vu des enfants sautillants tenant la main à leurs parents, des jolies jeunes filles enjouées pour le plus grand plaisir des dragueurs invétérés, des groupes d’amis contents de partager un moment ensemble, des jeunes et des moins jeunes réunis, rassemblés, à l’unisson.
Il y a 10 ans, presque jour pour jour, la France était aussi en finale. Je fais partie de la génération qui est trop jeune pour se souvenir de 1998 ou de 2000 ; ma première « finale », c’était à Berlin, pour la Coupe du Monde 2006. Hier, comme il y a 10 ans, j’ai vibré jusqu’au bout du suspense devant ma télé. Mais pourtant, hier soir avait une autre saveur. J’étais sûrement encore un peu trop jeune, il y a 10 ans, pour comprendre ce qu’il se passait vraiment. On retient de cette finale le coup de boule de Zidane qui précipita sa retraite internationale. Je me suis demandé ce qu’on retiendra, dans 10 ans, de la finale d’hier soir. Je crois que ce que j’en retiendrai, ça ne s’est pas passé sur le terrain, car somme toute le match n’était pas très intéressant à regarder. C’est l’état d’esprit général des français qui m’a frappé.
Hier, en me baladant dans Marseille, j’ai vu des gens optimistes. Et vous savez quoi ? Ça fait du bien. Les grèves, le Brexit, les attentats, l’actualité du monde actuel ne rend pas la vie facile au quotidien. Hier, toute la journée, et pendant 120 minutes, on a pu mettre nos problèmes de côté, et se rassembler derrière les Bleus, « nos » Bleus. J’ai entendu des « Marseillaise » résonner et des drapeaux flotter autrement que pour commémorer une tragédie.
Je ne dis pas que l’Euro permet d’occulter totalement ce qu’il s’est passé, notamment tout ce mois-ci, entre les attentats d’Istanbul, de Bagdad ou les manifestations contre la Loi Travail, mais cela met un peu de baume au cœur dans un climat de tension sur le plan politique, économique ou social. Et même, et encore plus à Marseille, où le début de l’Euro a été marqué par des affrontements entre pseudos-supporters russes et pseudos-supporters anglais, cela apporte un peu de détachement et d’apaisement. Pseudos-supporters, car je reste convaincu que ces personnes qui ont saccagé le Vieux Port, ma ville, n’étaient pas là pour encourager leur équipe ; les véritables supporters anglais et russes, je les ai vu, je leur ai parlé, autour du stade Vélodome et de la Fan Zone, et ils étaient les premiers à condamner les actes de violence.
Les français ont la réputation de faire la gueule, d’être ronchon, de tout le temps se plaindre. Hier, j’ai vu des français heureux, de bonne humeur et vaillants. Alors oui, même si on retournera au train-train quotidien dès aujourd’hui, en se disant qu’on n’est pas passé si loin de remporter un Euro qui nous était promis, hier, j’ai vu des sourires, des gens remplis d’espoir. De l’espoir. Depuis combien de temps je n’avais pas vu autant de gens remplis avec autant d’espoir ? Des supporters de toujours, et même ceux qui ne sont pas convaincus par le football, j’ai vu des millions de personnes se rassembler autour d’un rêve, huit mois après de terribles attentats qui ont frappé la capitale. J’ai vu des millions de français, et d’européens, se rassembler et communier autour de valeurs de partage, de tolérance et de passion pour leur équipe.
Et pourtant, quel parcours ! Il est loin le temps de la « grève du bus », à Knysna, en Afrique du Sud il y a 6 ans, où l’équipe de France était la risée du monde entier. On peut lire dans la presse des joueurs qui s’excusent ; de quoi donc ? Merci à cette équipe de France de nous avoir transporté bien au-delà de notre quotidien, dans un monde où le respect, la tolérance et l’espoir priment sur le racisme, l’égoïsme et la peur.
Oui, il y a eu ce but, à la 112ème minute qui est venu doucher des espoirs de victoires. Mais pendant un mois, cette équipe de France nous a fait trembler, nous a fait vaciller, nous a fait hurler, nous a fait sauter de joie, mais surtout, nous a fait chavirer. Des premiers matches de poule, à l’issue héroïque en fin de match, à cette demi-finale historique contre l’Allemagne, en passant par une folle démonstration offensive contre l’Islande, cette équipe de France n’a pas à rougir de son parcours dans la compétition. Catharsis nécessaire d’un peuple marqué par l’agitation et la tension du monde complexe d’aujourd’hui.
Non, l’équipe de France n’a pas remporté l’Euro 2016. Mais elle a remporté une belle victoire dans le cœur des français. J’en suis certain, cette équipe de France a déjà rendez-vous avec elle-même, le 15 juillet 2018 à Moscou, au soir de la finale de la prochaine Coupe du Monde.
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