Faire sens face au terrorisme : fanatismes et démocraties
8h30 vendredi 15 juillet, j'allume machinalement la radio, comme chaque matin. Je ne saisis pas bien mais je comprends que quelque chose de grave vient de se passer...
J'ouvre Facebook. En quelques clics seulement, je comprends toute l'horreur de cette nuit du 14 juillet sur la promenade des Anglais à Nice.
La première image qui me vient à l'esprit, est celle du dernier grand feu d'artifice auquel j'ai assisté. C'était il y quelques années, nous étions à La Baule avec mon mari, mon jeune fils et trois jeunes étudiantes étrangères que nous accueillions cet été-là. Je nous revois, assis sur le remblai de la Baule, serrés les uns contre les autres, parents, enfants, adolescents... attendant, dans une effervescence collective la tombée de la nuit. Les routes sillonnant le remblai avaient été fermées à la circulation. Les marchands de glaces, de sandwichs étaient assaillis par une jeunesse joyeuse, détendue, festive, tandis que les plus âgés, tentaient de leur réserver une petite place aux « endroits stratégiques » , là où l'on pourrait pleinement admirer le spectacle, voir aussi bien les jets de lumière projetés au sol que ceux qui éclateraient puis s'épanouiraient pour enluminer le ciel et rappeler à la foule dans les étincelles retombantes les trois mots qui nous réunissaient en cette soirée du 14 juillet : liberté, égalité, fraternité.
Puis peu à peu les voix à la radio, les mots "État d'urgence", "guerre", "attentats", "terrorisme", estompent les images puis cèdent la place à une question : Pourquoi ?
Je ne peux m'empêcher de repenser à notre Histoire, de ce qui a fait que la France effectivement symbolise la liberté, l'égalité, la fraternité. Trois mots, qui résument nos valeurs, mais dont nous avons aujourd'hui oubliés les racines. Trois mots inscrits aux frontons de nos mairies, de nos bâtiments publics. Trois mots tant usités qu'ils ne font plus sens. Trois mots trop souvent bafoués par une République sensée leur être fidèle. Comment penser liberté et fraternité quand le gouvernement français actuel refuse l'accueil des réfugiés, préférant « sous-traiter le problème » en faisant appel à la Turquie.Comment penser égalité quand « réfugiés et migrants » sont réduits à « un problème » ?
Alors, oui aujourd'hui encore, nous sommes en deuil, parce que ces attentats ne sont pas tolérables. Toute violence, tout acte meurtrier commis au nom d'un Dieu bafoué ou non, ou au nom de valeurs ou d'idées doivent être condamnés. Rien ne saurait justifier l'atteinte à la vie humaine, la mort de victimes innocentes.
J'entends ces hommes politiques de droite, de gauche unis aujourd'hui parce que notre drapeau est en berne mais qui demain auront oublié et reprendront leurs querelles de pacotilles, polémiqueront sur telle barrière manquante, sur telle décision prise... J'entends déjà certains se soulever contre l'arrêt de l'état d'urgence proclamé seulement hier midi... Serions-restés en état d'alerte maximale, en état d'urgence que cela n'aurait malheureusement rien changé à ce qui s'est passé cette nuit à Nice. Le débat est bien bas, bien creux face à la peine des familles, bien loin aussi des fondements des valeurs que la France est sensée représenter.
J'aimerais poser cette question : sommes-nous seulement et uniquement des victimes ? Aujourd'hui oui, toutes les familles et les proches en deuil sont les victimes innocentes d'un attentat abject.
Mais la France en tant que Nation et État, est-elle « toute blanche » ? Ne faudrait-il pas regarder un peu en arrière pour comprendre ce qui se passe aujourd'hui, pour reprendre ce proverbe africain, « si tu ne sais pas où tu vas, souviens-toi d'où tu viens ? »
Commençons par revisiter nos « classiques », ces hommes et ces femmes de Lettres, ces penseurs, ces humanistes qui ont construit les bases du « vivre ensemble » dont on parle tant aujourd'hui mais sans s'arrêter un instant sur la signification de ce concept. Le « vivre ensemble » est à penser, à construire, à réaliser...
On twitte, on zappe, on chatte... Les mots, les images tournent en boucle, dans une folle surenchère, une course à l'audimat, à la recherche de la petite phrase qui claque, qui clash... Le temps de la pensée n'est plus... le temps de la raison, révolu...
En 1764, Voltaire oppose un fanatisme religieux aveugle et sourd à toute raison, dont le « fanatique novice qui donne de grandes espérances ; [...] pourra bientôt tuer pour l'amour de Dieu. »1 à un fanatisme de « sang-froid », d'autant plus condamnable, qu'il est commis par des personnes qui ont la capacité de penser, de réfléchir. Ces « fanatiques de sang-froid » écrit Voltaire » ce sont les juges qui condamnent à la mort ceux qui n'ont d'autre crime que de ne pas penser comme eux ; et ces juges-là sont d'autant plus coupables, d'autant plus dignes de l'exécration du genre humain, que, n'étant pas dans un accès de fureur comme les Clément, les Chastel, les Ravaillac, les Damiens, il semble qu'ils pourraient écouter la raison. » 2
En réponse au fanatisme, de quelque nature qu'il soit, Voltaire en fait appel à la philosophie, en s’appuyant sur l'exemple donné par les sectes philosophiques chinoises , qui « étaient non seulement exemptes de cette peste, mais elles en étaient le remède ; car l'effet de la philosophie est de rendre l'âme tranquille, et le fanatisme est incompatible avec la tranquillité. » 3
Qui mieux que Voltaire pourrait s'adresser à l'Homme occidental du XXIe siècle, hyperactif, en mouvement perpétuel, en constante recherche de profit, de rentabilité, une course effrénée inconsciente qui mène à la déshumanisation, du « salarié jetable » à une sur-consommation boulimique, bien triste remède à la perte de sens, de repères, de valeurs pour toute une génération de jeunes et de moins jeunes.
Les réformes-pansements pourront se multiplier et se superposer à l'infini, elles ne changeront rien tant que nous n'arrêterons pas d'agir, tant que nous ne nous poserons pas pour réfléchir.
Pourquoi l'école, la culture, la connaissance ne font-elles plus sens aujourd'hui ?
Pourquoi l'activité professionnelle, même intellectuelle, devient-elle de plus en plus aliénante ?
Pourquoi la montée des partis d’extrême droite ou de droite extrême ?
Parce que la peur cède la place à la raison.
Parce que ce que nous nommons « démocratie » aujourd'hui n'est plus que le pâle reflet d'un idéal depuis longtemps oublié, une fantasmagorie dans laquelle les hommes politiques se succèdent tels des clones sur une ligne de pensée unique.
Serions-nous devenus des « fanatiques de sang-froid » si bien décrits par Voltaire ?Nous, occidentaux, sommes prompts à juger, à combattre au nom d'un idéal de laïcité, qui trop souvent brandi comme un étendard finit par représenter tout ce dont ce concept de « laïcité » est sensé poser, soient les bases « d'un vivre ensemble ». En effet, laïcité ne signifie pas absence totale ni refus du religieux mais au contraire, acceptation de toutes les croyances et liberté de culte ou non par l'ensemble des citoyens.
Nos politiques extérieures, françaises, européennes et américaines, servent plus souvent des logiques économiques que des logiques de bonne entente et de maintien de la paix dans le monde. Les engagements imposés par les gouvernements des grandes puissances occidentales font et défont les alliances au risque de faire bouger dangereusement des lignes de stabilités politiques et économiques souvent bien fragiles des pays qui en font les frais.
Aux attentats meurtriers, la réponse envisagée est celle d'une intensification des bombardements en Syrie, dont on sait pertinemment qu'ils feront des morts parmi les civils : des enfants, des familles... victimes innocentes elles-aussi.
Jes,
le 20 juillet 2016
1- Article « Fanatisme », Voltaire, Dictionnaire philosophique portatif, 1764
2- op. cité
3- op. cité
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