Gouverner, c’est choisir !
Gouverner, c’est choisir*. Avec ce critère, on ne peut pas dire que Hollande ne gouverne pas. Il avait le choix entre le programme du candidat François Hollande à l’élection présidentielle de 2012 (25,63 % de voix au premier tour, 51,64 % au second), le programme du François Hollande de la primaire socialiste (39,17 % au premier tour, 56,57 % au second), il a choisi celui de Manuel Valls à la primaire (5,63%). C’est un choix, on peut même dire que c’est un choix courageux : contre lui-même, contre son programme, contre son parti, contre ses électeurs… Mais est-ce un bon choix ?
C’est un choix dans la tradition « socialiste » : choix de Guy Mollet, élu pour faire la paix qui a enfoncé la France dans la poursuite et l’aggravation de la guerre d’Algérie ; choix de François Mitterrand, élu pour « changer la vie », qui a enfermé la politique économique française pour des années dans les critères de Maastricht ; choix de François Hollande qui devait renégocier les traités européens et qui s’est coulé dans ces traités comme François Mitterrand dans un régime présidentiel qu’il avait fortement critiqué.
Mais choix funeste pour la démocratie. Car de nombreux électeurs ont voté François Hollande pour se débarrasser de Nicolas Sarkozy. Dans la forme, c’est un succès : les tics, les gesticulations ont disparu : quant à la politique, la différence est moins nette.
Le chef de guerre Nicolas Sarkozy a fait intervenir l’armée française en Libye et renverser le colonel Khadafi avec pour résultat l’éclatement de la Libye et la contamination du Sahel. Ce qui a permis à François Hollande de paraître, un instant, en chef de guerre acclamé au Mali. Mais non en chef de paix.
Qu’importe, le voici encore (sous-) chef de guerre au Proche-Orient avec le succès que l’on connaît, notamment en France.
Maintenant, chef de guerre en France, car « la France est en guerre », comme il l’a déclaré devant le Congrès, trois jours après les attentats du 13 novembre.
De « Vigipirate » à « Vigipirate renforcé » (opération « Sentinelle », un million d'euros par jour). De l’« état d’urgence » à « état d’urgence prolongé », jusqu’à la fin de la guerre (?)… Avec toujours le même succès.
A cela, il faudrait ajouter les discours, les textes législatifs et les initiatives qui, même si elles n’ont pas toujours abouti, poussent droite et extrême droite à faire de la surenchère répressive : tout ceci de plus en plus dangereux pour les libertés démocratiques.
Ainsi on a vu des députés faire des propositions « détonantes », pour respecter l’orthographe du Figaro (20/07/16) : Georges Fenech (LR) : « Un Guantanamo à la française serait la solution la plus simple ». Alain Marsaud (LR) : « Je me défends, je porte une arme… On ne peut pas laisser seulement les violents, les assassins, porter des armes ». Jacques Bompard : « Faire sauter l'État de droit ». Henri Guaino (LR) « Il suffit de mettre à l'entrée de la Promenade des Anglais un militaire avec un lance-roquettes et il arrêtera le camion ». Marie-Christine Arnautu, eurodéputée, suspendue du bureau exécutif du FN : « peine de mort… et fin de l'immigration ». Olivier Dassault (LR) déjà pour le rétablissement de la peine de mort depuis 2004 : peine capitale en France « pour les auteurs d'actes terroristes ».
Pour être un chef de guerre efficace, il faut s’assurer bien sûr de la victoire à l’extérieur et prévoir une suite politique à cette victoire éventuelle mais aussi se préoccuper du soutien et de l’unité de la base arrière : être un chef de la paix extérieure et de la paix intérieure. Ce ne semble pas être le cas de François Hollande dont les deux préoccupations majeures demeurent les interventions extérieures et l’impossible respect des critères de la politique économique européenne, difficilement réalisable sans augmenter les impôts ou diminuer les budgets sociaux qui assurent le lien social, la cohésion sociale...
Restent possibles des déclarations ou des mesures symboliques qui doivent s’adresser à tous et notamment aux couches les plus fragiles de la population. On ne peut se contenter des incantations sur le refus des amalgames, sur la nécessité de l’unité nationale. On ne peut se contenter de satisfaire le Medef avec des mesures fiscales, sans contre-partie, et la mise en question du Code du travail contre l’avis de la population (si l’on en croit les sondages), contre l’avis de la majorité des syndicats (gréves et manifestations), contre l’avis des députés (utilisation du 49-3). Quand on diminue les subventions aux associations, quand on refuse de tenir ses promesses de codifier les contrôles d’identité, quand on veut constitutionnaliser la déchéance de la nationalité, mesure inefficace mais combien symbolique ! Quand on traite le Congrès de Versailles comme un banal congrès du parti socialiste, terrain de manœuvre pour piéger, d’ailleurs sans succès, ses adversaires politiques !
Avec pour effet de stigmatiser et d’exacerber les sentiments d’exclusion des uns et des autres.
Au lieu de faire monter, par des déclarations, par des mesures inefficaces, les tensions au sein de la population, le gouvernement comme l’opposition, devraient se préoccuper de construire l’unité populaire. A défaut, les uns et les autres seront responsables de la montée des affrontements aujourd’hui verbaux. Sans donner un coup d’arrêt aux vocations criminelles.
Le pays, il n’est pas le seul, traverse des moments difficiles avec de nombreux problèmes : en plus de la vague d’attentats, chômage de masse depuis trois ou quatre décennies et augmentation des inégalités quel que soit le gouvernement ; interventions militaires qui jettent sur les routes (ou à la mer) des milliers de candidats à l’émigration et à l’asile ; perte d’influence au niveau européen et mondial ; mise en question du système social par la suprématie du capital financer, développement de l’individualisme et affaiblissement de la solidarité et des sentiments démocratiques…
Dans cette situation, il n’y a pas de projet politique qui donne un sens à la vie des gens et notamment des jeunes en dehors de la consommation. Il n’y a aucune proposition politique en dehors de l’ultralibéralisme ambiant (la lutte de tous contre tous, le culte de la réussite individuelle) et le repliement sur soi, sur la grandeur passée, sur la nostalgie. Aucune utopie créatrice, propre à développer un engagement.
Pour s’adapter à la modernité proclamée, la gauche, pas seulement la gauche de gouvernement, a déconstruit ou abandonné toutes ses valeurs : classes sociales, lutte des classes, nation, laïcité, liberté, égalité, solidarité…
La catastrophe n’est pas la défaite électorale annoncée de la gauche en 2017. C’est l’absence de toute espérance dans un avenir meilleur pour de larges couches de la population. C’est la prise de conscience, par beaucoup, de la vanité de la démocratie proclamée quand les politiques « compétents » contestent la démocratie directe et annulent les résultats du référendum comme en 2005 ou déconsidèrent la démocratie représentative quand les politiques se font élire sur un programme et en appliquent un autre.
Désespérance, démographie bafouée, apparaît alors la menace de l’autoritarisme qui pointe derrière des mesures de plus en plus sécuritaires, toujours aussi peu efficaces.
* Pierre Mendès-France
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