Au milieu de nulle part
Le cirque de Mafate
Il est des lieux qui échappent à la médiocrité, à la routine, à tout ce qu’on peut dire de nos vies trépidantes marquées par la voiture, les embouteillages, les conflits de voisinage et toutes les vicissitudes d’une vie urbaine. Il est des endroits marqués par la grâce d’un créateur artiste et généreux, esthète et poète. Il est des espaces qui échappent à toute banalité, qui ne se donnent qu’après de longs efforts, qui vous prennent alors par le cœur et par les yeux pour vous offrir une myriade d’émotions. Le cirque de Mafate est, sans nul doute, l’un de ces lieux privilégiés et bénis des Dieux.
Comment décrire ce cirque immense perché à 1500 mètres d’altitude, entouré de montagnes abruptes qui l’enserrent et lui offrent un espace unique à l’écart de la déesse automobile ? Sa grandeur, son décor, ses couleurs, ses lumières ne peuvent laisser indifférent celui qui a marché près de deux heures, avalé des milliers de marches taillées dans le rocher, descendu un dénivelé de plus de 500 mètres pour mériter le plus grand et le plus somptueux des spectacles.
Je viens juste de rentrer de l’îlet de Mafate ; en effet , on nomme îlets ces endroits les plus retirés possibles des voies de communication qui permettaient autrefois aux esclaves en fuite d'y trouver refuge et paix. C’était en un temps où la férocité des maîtres était sans limite ; c’était une époque où des nègres marrons, infâmes collaborateurs d’esclavagistes de la pire espèce, partaient à la chasse aux fugitifs et rapportaient une oreille coupée pour attester de la réussite de leur entreprise punitive.
Les malheureux n’avaient d’autres recours que d’aller toujours plus haut, plus loin, plus à l’écart des sentiers battus. C’est ainsi que des hommes traqués ont découvert un endroit unique et qu’en dépit des innombrables difficultés d’acheminement, ils ont choisi cette terre pour en faire leur domaine, leur espace de survie, leur cachette et l' écrin d' un bonheur chèrement acquis.
Les temps ont passé ; le lieu reste toujours aussi difficile à atteindre. Les hommes y vivent désormais en paix ; l’esclavage est un lointain souvenir. L’hélicoptère, concession indispensable à la modernité, approvisionne les 128 habitants du village La Nouvelle : pour 160 euros une navette qui emporte 800 kg de charge. Tout arrive par les airs y compris les poules sauf les nombreux visiteurs qui empruntent le long chemin glissant, tortueux, pentu. Le prix de l’effort est exceptionnel !
Je m’entretiens avec un habitant. Il est étonné de mes questions. Pour rien au monde, il ne changerait d’existence, il vit au Paradis. Bien sûr, il faut se ravitailler par les airs, il faut marcher deux heures pour retrouver une voiture mais pourquoi partir d’un endroit pareil ? Il m’a raconté ses années de collège, loin de son village. Il devait vivre dans une famille d’accueil et ne revenir qu’aux vacances. Alors, une fois sa scolarité expédiée, il est revenu et il n’a fait qu’imiter tous ses camarades, attachés viscéralement à leur terre. « Celui qui naît ici , finit toujours par y revenir » me dit-il, souriant et quelque peu intimidé..
Il s’amuse que je puisse m’interroger sur les questions matérielles. Sa conception du temps qui passe n’est pas la même : il se laisse porter par la vie qui s’écoule, heureuse et tranquille loin des tracas d’un monde dont ne parviennent ici que quelques échos étouffés et sans signification. Il me décrit l’école primaire, les 27 enfants que se partagent deux institutrices qui viennent ici lundi matin à pied, comme tout le monde, pour commencer l’école l’après-midi et repartir de l’endroit le vendredi midi après les cours. Il évoque les fermes, les activités liées au tourisme pour vivre en harmonie avec ce lieu grandiose.
Par curiosité je suis allé voir l’école. Quel calme ! C’était le temps des activités sportives. Les plus petits faisaient un parcours de motricité, les plus grands jouaient aux raquettes sur un champ plus loin. Les enfants ensuite étaient attendus par deux cantinières qui firent la bise à toute la marmaille. Les institutrices, après avoir fermé l’école, ont rejoint leurs élèves. Une autre époque, un autre monde. Deux classes, l’une pour la maternelle et le CP, l’autre du CE1 au CM2 et une semaine en continu passée au contact de ce microcosme fabuleux pour les deux enseignantes marcheuses.
C’est une réserve, un espace protégé. Seuls les gens nés sur cet îlet peuvent construire ou s’installer. Les étrangers n’ont pas leur place. Le risque de la résidence secondaire est exclu. Pourtant, il y a tout le confort grâce aux panneaux solaires et aux groupes électrogènes. La Wifi fait le lien avec les autres. La télévision tourne en boucle pour satisfaire les touristes où leur montrer qu’on y vit comme partout ailleurs.
Les randonneurs ne cessent de passer. Ils sont, eux aussi, éberlués devant tant de beauté. C’est un sanctuaire, un temple naturel, un passage incontournable quand on visite La Réunion. D’ailleurs, c’est tellement une évidence qu’il faut une sono qui crache Radio Nostalgie dans une cabane-restaurant comme il y en a tant en ce lieu. C’est bien dommage ! Il faut avouer qu’il y a tant de monde qui arrive. C’est sans doute le passage obligé et des gens se lancent dans l’aventure en préjugeant de leurs capacités. Les hélicoptères voleront à leur secours …
Randonneusement leur.
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