Du Christ au Coran : le rêve éveillé
M'inscrivant dans la suite de la pensée des professeurs Dupont-Sommer et Claude Tresmontant tout en m'en éloignant, j'ai alerté en son temps le magistère de l'Église pour qu'elle remette en ordre ses textes fondateurs, hélas sans succès. On repousse toujours l'épître de Jacques après les évangiles alors qu'il les précède (1). De ce fait, on ne comprend pas, ou on ne veut pas comprendre, que le Jésus, Christ, dont il parle est dans le ciel, un Jésus qui s'y trouve toujours et qui n'est toujours pas descendu... sauf dans les évangiles, dans le coeur des croyants et dans les tympans sculptés. On écarte le dit Protévangile de ce même Jacques en le qualifiant d'apocryphe du II ème siècle alors que son auteur dit l'avoir écrit à la mort d'Hérode, donc en l'an - 4, alors qu'il y annonce un Jésus vengeur qui vient de naître - on ne sait pas où - et alors qu'il est le texte allégorique qui accompagne l'épître et l'explique, tout en donnant la clef du mystère. (2)
Le Jean qui annonce un Jésus pacifique dans le désert n'est pas un inconnu de l'Histoire. Flavius Josèphe dit qu'après avoir conversé avec lui, Hérode Antipas ne savait pas quoi penser (de son projet). Ce projet, c'est l'évangile de Jean, une histoire écrite avec son sang par une communauté essénienne très sainte dans laquelle Jésus est descendu en esprit, en espérant qu'il s'y révèle en corps, accomplissant ainsi l'ancienne prophétie. Je reformule ma phrase autrement : c'est l'histoire de Jésus qu'une communauté essénienne a fait descendre dans son sein, en esprit, en espérant qu'il se révèle en corps (forcément glorieux ou de gloire) mais qui, malheureusement, ne s'est pas révélé ainsi, ce qui explique le "pourquoi, mon Dieu, m'as-tu abandonné ?" de l'évangile qui suit. (Marc 15, 34)
Dernier évangile, Matthieu atteste que la crucifixion de Jésus a bien eu lieu (dans les Saints de Dieu crucifiés). Flavius Josèphe donne le nom des principaux : Jacques et Simon, en 48 sous Tibère Alexandre. L'épître aux Hébreux fait leur éloge funèbre : Souvenez-vous de vos chefs... et considérant l'issue de leur ministère, imitez leur foi. He 13, 7). L'épître précise que Jésus y a "goûté la mort" (dans les Saints crucifiés, He 2,9), puis qu'il est retourné au ciel pour siéger à la droite du Père (He 1, 3). Matthieu, dans son évangile, dit la même chose mais en reprenant, depuis le début, l'histoire de Jésus agissant inconnu dans les saints de Dieu. Pour la clarté de son interprétation, il fait voir Jésus dans les actions qu'il croit pouvoir lui attribuer. Autrement-dit, alors que les apôtres ne sentent en réalité que sa présence, il le fait voir. Mais attention ! Il précise bien qu'il faudra attendre une génération pour espérer le voir en "fils de l'homme", tel qu'Enoch l'a vu dans le ciel. (Matthieu 24).
Nous sommes dans le domaine de l'interprétation subjective, l'impression que Jésus se "manifeste". L'épître de Jean est on ne peut plus clair : Pour cela, s'est "manifesté" le Fils de Dieu (1 Jn, 3, 8). Ce Jésus qui s'est "manifesté" et qui peut se manifester encore, il faut se tenir toujours prêt à l'accueillir (1 Jn, 2, 28). Nous savons que s'il vient à se manifester de nouveau, nous le verrons tel qu'il est, semblable à nous (1Jn, 3, 2).
Impression ou certitude d'ordre surnaturel ? N'étant pas expert, je ne me prononce pas.
Enfin, peu avant 70, un autre Jean proclame une vision prophétique qu'il a vue dans le ciel - il s'agit du texte auquel on a donné le nom d'Apocalypse - et ce Jean ne dit pas à Jésus qui est dans le ciel "reviens" mais "viens, seigneur Jésus !" ce qui signifie qu'en 70, Jésus n'était toujours pas descendu selon ce Jean et qu'on l'attendait toujours.
Reste la pensée chrétienne et la sagesse antique qu'elle nous a transmise, ce dont on ne peut que se réjouir ; mais n'est-il pas temps, aujourdhui, dans les conditions dramatiques que nous connaissons, de sortir de l'enfance de l'humanité ? (3)
Voilà bien le dilemme, véritable mur d'incompréhension devant lequel reculent mes concitoyens bien-pensants ! Car, en effet, pourquoi mettre en question l'existence d'un Jésus même simplement homme alors que cette croyance, non seulement ne présente aucun risque pour nos sociétés mais, qu'en plus, elle les tranquillise ? Tragique renoncement aux désastreuses conséquences pour l'islam ! Je réponds qu'on ne peut pas faire deux poids et deux mesures. Il faut que l'Occident reconnaisse son erreur historique d'interprétation en ce qui concerne sa religion afin que le monde musulman puisse, ensuite, faire de même pour la sienne. On ne peut pas continuer à faire et à écrire l'Histoire en s'appuyant sur des interprétations erronées des textes fondateurs.
Qu'on ne me fasse pas dire que les évangélistes ont trompé le lecteur, ou si peu. Ils ont écrit leurs "annonces" comme il leur semblait que leurs prédécesseurs écrivaient leurs prophéties, dans un sens transposé que les "intelligents" savaient déchiffrer, le sens brut pouvant satisfaire le peuple ordinaire tout en le mettant sur la bonne voie. En fait, c'est nous qui n'avons pas compris. Il fallait comprendre, par exemple, que le discours à Césarée du Simon Pierre des Actes des Apôtres a été transposé dans l'évangile, en conversion du centurion où Jésus incarné se fait voir à ceux qui veulent bien ouvrir les yeux de l'esprit.
Bien que l'histoire "Jésus" permette de mieux comprendre l'histoire "Mahomet" qui s'inscrit dans sa suite, l'historien sérieux a, par ailleurs, suffisamment d'éléments pour montrer que l'homme Mahomet n'a jamais existé en tant qu'individu tel qu'on se l'imagine. En dehors des textes religieux fondateurs de l'islam, il n'existe en effet aucune information sur un prophète Mahomet/homme, chef d'armée ou leader politique dûment identifié. Thomas le Presbyte évoque en 640 les Arabes d'un mystérieux Mhmt, vainqueurs des Byzantins près de Gaza en 634 mais, curieusement, le fait n'est pas rapporté dans les chroniques musulmanes, ou bien il est attribué à Abou Becker. En revanche, il est bien fait mention par les deux sources de la bataille de Mouta mais Mahomet n'est pas présenté comme le chef marchant à la tête d'une armée mais comme celui qui décide, organise, nomme les généraux, bref un conseil de gouvernement. Les chroniqueurs byzantins parlent d'un marchand originaire de Yathrib et non de La Mecque, ce qui montre bien le flou qui régnait alors sur l'identification du personnage, à l'extérieur de l'islam (4).
Et pourtant, il y a bien une histoire de Jésus, mais cette histoire ne s'explique, sur le terrain, que s'il s'agit d'un conseil galiléen révolutionnaire, certes pacifique, qui s'est opposé au Sanhédrin de Jérusalem allié à l'occupant romain ; une histoire racontée comme étant celle d'un Jésus descendu du ciel, agissant anonymement au sein d'un conseil clandestin qu'il inspire. Et pourtant, il y a bien une histoire Mahomet, histoire d'un conseil qui agit comme un seul homme, qui meurt plusieurs fois, lapidé, enterré vivant, tué au combat, mais qui, apparemment, "ressuscite" jusqu'au jour où il est remplacé par un calife individu. 5)
Le point commun à ces deux religions se trouve dans cette conviction qu'une société ne peut se fonder et exister que sur la base d'une religion ; la différence est que la première a plutôt privilégié la persuasion et que la seconde s'est trouvée dans l'obligation de recourir à la force des armes. Le deuxième point commun est le refus du gouvernement d'un homme seul - ex : la dynastie des Hérodes - et le retour au type ancien biblique de gouvernement par un conseil agissant comme un seul homme.
Pourquoi refuser une telle interprétation ? Que cela pose problème à l'Église, c'est certain - les opposants au concile de Nicée qui fit Jésus vrai homme et vrai Dieu l'avaient prévu - mais il ne devrait pas en être de même pour le monde musulman où Mahomet lui-même a plusieurs fois insisté pour dire qu'il n'était qu'homme.
Je reconnais que mon affirmation est surprenante mais je la prouve à longueur de livres et d'articles publiés sur la toile ; et cela, sans qu'un média autre qu'Agoravox n'y prête la moindre attention, sans que l'homme politique s'en soucie, sans que le commentateur blasé imbu de lui-même ne fasse l'effort intellectuel pour comprendre l'importance de l'enjeu, sans qu'il ait conscience que c'est lui, avec d'autres, qui permet à ces interprétations "officielles" de perdurer et à l'islamisme radical de prospérer en développant des interprétations extrémistes qui ne sont apparues qu'après Mahomet.
Voilà le scandale ! Voilà ce qui fait de nous tous, sans exception, des complices des récents attentats par paresse intellectuelle et je m'en-foutisme.
Dès lors que les exégètes commencent à reconnaître l'influence de la pensée des documents de Qumrân sur le christianisme et sur l'islam, il n'est pas inutile de rappeler que c'est un conseil dit de Dieu qui dirigeait la communauté essénienne (6). De là à considérer que ce conseil était fils de Dieu, il n'y avait qu'un pas à franchir, un pas d'autant plus facile à franchir que le langage symbolique de l'époque s'y prêtait. Ce pas à franchir, l'islam l'a condamné en replaçant modestement Jésus dans la lignée des prophètes. Mais il faut aussi dire combien il est absurde de penser que les prophètes juifs étaient des individus ; il s'agit, bien évidemment, de mouvements appelant le peuple juif au sursaut patriotique et religieux. Ces mouvements s'exprimaient sous des pseudonymes souvent porteurs de sens.
Les historiens des temps anciens n'ont pas toujours bien mis en exergue l'importance des clans dans le monde primitif. Ces clans ne pouvaient gouverner que par l'intermédaire d'un conseil. Encore au temps des Gaules, s'il est vrai qu'on a l'impression que ce sont des individus qui émergent des commentaires de César, je remarque que la ville de Cabillodununum était dirigée par un conseil de la ville - consilium - et que l'ambition de Vercingétorix était de fonder un seul conseil -consilium totiae Galliae - qui aurait représenté toutes les cités (DBG,VII, 43,1. VII, 29, 6).
S'il est aujourd'hui enfin reconnu qu'Adam n'est pas un individu, reste encore à comprendre que les patriarches de la Bible n'en sont pas non plus, mais qu'il s'agit de clans ou de conseils qui se succédaient dans une généalogie de conseils, Jésus et Mahomet s'inscrivant dans cette généalogie de conseils comme dans une dynastie de rois. Abraham, Moïse etc... dont la durée de vie dépasse la vie normale d'un individu, ne pouvaient être que des conseils.
Les rédacteurs du Coran ont-ils sciemment trompé leurs lecteurs en présentant Mahomet comme s'il s'agissait d'un individu ? Pas vraiment ! Nous sommes dans la même situation que pour les évangiles. C'est nous qui n'avons pas vraiment compris. Il y a le sens brut, littéral, que comprend le peuple ordinaire et qui est destiné à le mettre sur la bonne voie, et il y a le sens vrai, caché, qui n'est à la portée que des "intelligents" qui sont capables de le décrypter et de le comprendre.
Corrigeant la légende des sept dormants d'Éphèse, le Coran dit dans la sourate 18, verset 24 ou 25 selon les éditions, que ces "enfants" demeurèrent 300 ans dans la caverne plus neuf ans, ce qui est en contradiction avec l'interprétation théodosienne. En effet, entre la persécution, brève mais violente, de 250 de l'empereur Dèce et le règne de Théodose mort en 395, il ne peut pas y avoir plus de 145 ans. Cette correction ne peut s'expliquer que si ces 300 ans nous amènent à la date de naissance de Mahomet... un Mahomet qui renaît de l'esprit des anciens martyrs chrétiens d'Éphèse en 550 (250 + 300). Et en effet, c'est bien la date qu'il faut retenir pour la naissance du Prophète et non celle de 570. La bataille de l'éléphant qui sert de référence a eu lieu peu de temps avant que meurt le vice-roi du Yémen Abraha qui l'avait déclenchée, date de décés en 553 attestée par des inscriptions.
Les "plus neuf ans" rappellent bien évidemment les neuf ans qu'avait Mahomet lorsque le moine de Bahira le reconnut par un signe entre les épaules comme étant le futur prophète de l'Arabie. Je traduis : "lorsque les moines de Bahira, à l'entrée de Bosra, les reconnurent comme étant le futur prophète de l'Arabie".
Étonnante précision, alors que la légende d'Éphèse dit que les dormants étaient au nombre de sept, la sourate, verset 21, prédit, ou plutôt prophétise, qu'on disputera sur leur nombre, que l'on dira qu'ils étaient trois et leur chien, cinq et leur chien, sept et leur chien ; mais c'est vouloir pénétrer un mystère que peu de personnes savent. Dis : Dieu connaît parfaitement leur nombre.
Le chiffre un étant exclu, Mahomet était-il trois, cinq ou sept ? C'est la question facile que ce verset 21 nous pose en nous demandant de réfléchir sur le fait que les dormants d'Éphèse étaient sept. Et il nous met même sur la piste de 7 en ne citant pas le chiffre douze. Excusez-moi, mais il faut vraiment le faire exprés pour ne pas vouloir comprendre.
Amis lecteurs, responsables politiques, responsables des médias de France, de Navarre et d'ailleurs, qu'avez-vous à répondre ? On ne peut pas continuer à laisser des innocents se faire massacrer au nom de textes mal compris et pourtant si faciles à réinterpréter ? M. Christian Deroche, titulaire de la chaire "Histoire du Coran, texte et transmission", répondez !
E. Mourey, 25 octobre 2016
Copie sous forme de lettre envoyée à :
- Mme la Ministre de la Culture
- M. Le Ministre de l'intérieur en charge des cultes
- DRAC Bourgogne-Franche-Comté
- M. François Déroche, titulaire de la chaire "Histoire du Coran. Texte et transmission"
- M. Jacques Toubon, Défenseur des droits
- M. Christophe Siruge, député de ma circonscription
- Autres
Renvois :
- 1. http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/jesus-un-phenomene-etonnant-qui-165983
- 2. Il s'agit du livre de Jacques, livre à deux volets dont parle Origène. Concernant les sources et documents antiques sur ce texte, sa plus ancienne trace écrite — sur le papyrus Bodmer 5 daté du ive siècle — porte le titre de Nativité de Marie. Révélation de Jacques ; mais déjà au milieu du iiie siècle Origène mentionne — dans son Commentaire sur Matthieu un Évangile de Jacques. Cette œuvre a connu une large diffusion... (Wikipédia).
- 3. La sagesse des Modernes de Luc Ferry et André Comte-Sponville.
- 4. cf Alfred Louis de Prémare : les fondations de l'islam
- 5. La santé d'un conseil de gouvernement est, bien évidemment, en rapport avec l'évolution de la situation politique. http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/mahomet-vie-et-mort-d-un-prophete-153425
- 6. Dans son effectif réduit et probablement permanent, le conseil de Dieu des Esséniens était représenté par quinze hommes (douze laïcs représentant les douze tribus et trois prêtres représentant les lévites). Ils se donnaient le nom de membres du conseil de Dieu. (Qumrân, Rouleau de la Règle VI, 14 -20)
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