Comment dominer le monde
Il semble aux yeux des « sans-dents » que personne ne sait où va le monde : les mesures imposées seraient dans l’ordre naturel voire surnaturel des choses. Il n’en est rien : les mesures économiques appliquées relèvent d’une idéologie. Elles correspondent aussi à une certaine idée que les élites se font des Hommes.
En physique, le terme de théorie désigne un ensemble conceptuel dérivé d'un petit nombre de principes de base et d'équations. Dans un cadre précis, elle permet de faire des prévisions expérimentales. Il n’existe pas de théories en Chimie ou en Biologie car pour deviner le devenir de toute réaction, il serait nécessaire de tenir compte de trop nombreux paramètres dont beaucoup non maitrisés. Le temps qu’il fait et qu’il va faire dépend lui aussi d’un très grand nombre de facteurs. La prévision météorologique peut cependant être faite grâce à une simulation en faisant la collecte la plus complète possible de données physiques (vents, humidités, températures…), en les intégrant au sein d’équations dérivées de la mécanique des fluides puis en résolvant le système d’équations ainsi obtenu grâce à un super-ordinateur. Chacun peut constater quotidiennement la fiabilité relative de ces prévisions.
La construction d’une théorie pour décrire l‘économie est parfaitement inenvisageable et les simulations sont bien plus imparfaites que pour la météorologie. Un modèle reste possible mais tous les aspects du monde devraient apparaître dans celui-ci ce qui est impensable. Toutefois, ces « modèles » sont constamment utilisés pour justifier des politiques, alors que c’est toujours une idéologie qui détermine les choix économiques.
Un des premiers plans pour dominer le monde peut être maintenant proposé sachant que la Science stricto sensu n’est ni capable ni désireuse de proposer une voie pour ce faire. Jules Ferry en 1885, proposa une méthode pour imposer un type de société au monde : « Les races supérieures ont un droit vis à vis des races inférieures parce qu'il y a un devoir pour elles. Elles ont un devoir de civiliser les races inférieures. » De fait, en 1914, l’Afrique, l’Océanie et l’Asie seront presque entièrement sous le contrôle des grandes puissances européennes. L’Allemagne préféra un peu plus tard favoriser une plus grande pureté ethnique par des méthodes encore plus énergiques. Elle montra qu’un État fort pouvait parfaitement conduire l’économie d’un pays si l’obéissance des sujets pouvait être obtenue par le fanatisme, le meurtre ou la torture. La terreur aurait pu s’étendre à la terre entière mais le sacrifice de 26,6 millions de soviétiques et 0,4 millions de nord-américains (entre autres) permit de l’éviter. L’Europe, la Russie (l’Union soviétique), le Japon sortirent ruinés de la seconde guerre mondiale tandis que le Produit Intérieur Brut (PIB) par habitant des Etats-Unis augmentait très rapidement entre 1939 et 1945, le pays occupera ensuite la première place mondiale dans tous les domaines de l'économie.
Dans toute action impliquant une multitude, le facteur essentiel assurant le succès est la cohésion de l’ensemble bien plus que sa grandeur. Pour assurer cette cohésion il est largement illusoire de vouloir compter sur la raison, il reste comme armes la coercition ou le plaisir. Les communistes tablèrent sur l’une, les nord-américains sur l’autre.
Entre l’année 1917 marquée par une guerre civile très violente qui avait conduit à l’effondrement de la Russie et 1989, une économie basée sur la propriété étatique et la planification centralisée avait permis à l'URSS de devenir une puissance économique majeure. En 1989 le PIB par habitant de la Russie est toutefois 7 fois moindre qu’aux USA. Le communisme ne dominera pas le monde, il a peut-être la force nécessaire, mais les peuples préféreront consommer.
Cette fin de l’histoire marquait-elle la fin du désir de domination ? Le melting pot américain pouvait difficilement se poser en race supérieure, ce sont donc des valeurs posées comme universelles qu’il va imposer au reste du monde.
Au sein de la démocratie américaine va pouvoir coexister Joseph McCarthy (1908-1957), homme de la chasse aux communistes et Bob Dylan qui écrit des hymnes anti-guerre, en particulier anti-guerre du Vietnam (1965-1975, environ 3 millions de morts). Deux figures symboliques des hard et soft powers qui seront constamment concomitamment utilisées pour convaincre du bien fondé de la nouvelle civilisation proposée. La médiatisation très importante de la guerre du Viêt Nam, que l'administration ne sait comment contrer, influence très significativement le cours des événements et va conduire les états-majors politiques à apprendre comment jouer leur partition dans les médias. L’art éternel du politique va glisser vers la Commedia dell'arte.
Du Pont de Nemours invente le nylon en 1935. Les premiers bas en « soie synthétique » sont vendus en mai 1940 à New York. Le bas sera populaire jusqu'au milieu des années 1960 où le développement des collants va le supplanter, d'autant plus que ces derniers permettent le port de la minijupe : la chimie va donc permettre au charme féminin de s’exprimer en public. Les progrès de la chimie permirent une meilleure distribution sociale de l’impudeur grâce au génie mercantile des hommes d’affaires.
L’exemple est représentatif car il illustre l’intime proximité des découvertes scientifiques, des innovations qui en découlent, de leur mise en valeur marchande et de leurs effets sur les mœurs et la morale. La sanctification des jouissances va permettre d’abattre les anciens dieux, et d’en créer de nouveaux.
La médiatisation du monde politique semble permettre à celui-ci de conserver les apparences du pouvoir, mais « les habiles finissent toujours par avoir tort. » La démocratie présente la caractéristique d’être de plus en plus branlante au fur et à mesure qu’elle se parfait. Une société peut se passer de bonnes décisions (si elles ne sont pas calamiteuses), par contre il est inconcevable qu’elle puisse se passer de décisions. Mais une société hétérogène implique le compromis. Aucune intelligence artificielle ou naturelle fonctionne autrement que par oui ou non, mais l’art politique se veut capable de surmonter cette difficulté. Si un objectif à long terme est clairement ancré, une suite de compromis peut peut-être finir par une décision allant dans le sens de l’objectif ; si ce n’est pas le cas un compromis annihile un autre et l’on obtient alors un mouvement erratique (dit brownien par les physiciens).
Les sociétés occidentales semblent se complaire dans un monde où chacun ne défend que ses intérêts. L’installation d’une société de consommation et du spectacle ne pouvait à elle seule mettre à l’abri les dominants de l’incontournable lutte des classes qui ne peut qu’exister au sein de nations : il fallait donc se débarrasser des démocraties en soulignant leur impéritie.
La sacralisation des jouissances a pris la place des divinités plus traditionnelles : Jésus, Marx ou de Gaulle. La frénésie de dépasser l’autre a remplacé la nécessité chrétienne de se surpasser soi-même. Il est interdit d’interdire, les mouvements de libération des femmes et des minorités vont achever les démocraties sous prétexte de les parfaire.
Une haine de la différence va conduire à confondre égalité et similarité en ringardisant le concept de classe sociale. Le capitalisme, laissé à lui seul, ne peut que conduire à des inégalités germes d’émeutes, sauf si on les rend supportables en morcelant les forces de la multitude. Pour dominer le monde, on tend donc à détruire toute espèce de système collectif de protection ou d’entraide, y compris la famille. La démocratie électoraliste s’est de fait révélée incapable de gérer les caisses sociales d’une nation, non pas à cause de l’incompétence de zébulons de droite ou de gauche mais à cause de son incapacité à prendre les décisions nécessaires à l’intérêt général. Les banques et les forces du marché, internationalistes par nature, confisquent peu à peu tous les systèmes sociaux en détruisant toute solidarité entre riches et pauvres.
Le dernier acte du drame planétaire commence avec le siècle nouveau. Il est acquis selon les élites que les démocraties ne peuvent pas conduire les destinées des peuples : il vaut mieux confier le pouvoir aux riches, aux très riches, dont les modes d’action, de pensée de fonctionnement sont les mêmes à Londres ou à Bakou : l’ordre mondial peut s’établir débarrassé des citoyens et des électeurs. Pour assurer l’ordre : l’informatique. Tous les individus sont ou seront bientôt fichés, répertoriés, classés, suivis grâce aux immenses possibilités d’un moteur de recherches et de logiciels … américains. Les Etats-Unis n’ont absolument pas abandonné leur désir d’imperium mondial, ils ont seulement laissé aux obscurs les tâches laborieuses de production. Et puis les désastres écologiques qui se profilent ne peuvent pas être affrontés sans un commandement unifié… pourquoi pas à Wall Street !
La lutte des classes a cessé : les (plus) riches ont gagné.
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