La campagne est muette sur la guerre
La campagne pour les élections présidentielles est maintenant nettement partie. Celle des primaires de droite est ouverte. A gauche, il ne se passe guère de jour où ne fuse une nouvelle attaque contre Hollande et où un candidat ne se propose pour ranimer à sa façon le flambeau du socialisme. Mais on peut tendre l’oreille, pas un mot ou presque sur la guerre.
On vit pourtant dans un état d’urgence qu’on n’avait pas connu depuis la guerre d’Algérie et dont on n’annonce toujours pas la fin. Le président qui a su se composer à merveille une mine de circonstance et une rhétorique de père-le-patrie menant le pays vers une victoire vengeresse enchaîne pourtant les commémorations d’attentat. Notre beau porte-avion est toujours près des côtes irakiennes avec 36 rafales journellement en partance pour des raids meurtriers. D’autres rafales, encore plus nombreux, sont à l’affut sur la base H5 en Jordanie. Un groupe tactique d’artillerie (GTA) est installé à Qayyarah, en Irak même, pour appuyer jusqu’à 60 km de Mossoul la progression des troupes irakiennes et kurdes. Les moyens tactiques diversifiés dont la France dispose sont utilisés en ce moment pour saigner l’adversaire et participer à cette bataille de Mossoul qui promet d’être infernale. On est donc en guerre plus que jamais en ce siècle pourtant.
Il n’y a pas de guerre sans volonté politique. Il n’y a pas de politique en France sans volonté présidentielle. Si la France est en guerre et que la campagne pour l’élection du président de la république n’interroge pas un temps soit peu la politique guerrière de l’actuel président, elle risque fort d’apparaître comme dérisoire. D’autant plus, il ne faut pas s’y tromper, que la guerre actuelle menée par la France est une guerre voulue, déclenchée, poursuivie par Hollande. Toute proportion gardée bien sûr, Hollande aura été le Bush français.
Lorsque le 11 janvier 2013 François Hollande envoie ses Mirage 2000 lancer des bombes sur le Nord Mali, il n’a pourtant pas comme Georges Walter Bush lançant ses B52 sur l’Afghanistan le 7 octobre 2001 le prétexte de venger un attentat monstrueux. Du bombardement de camions supects pour arrêter une supposée invasion du sud au patrouillage du massif des Ifoghas pour exterminer dans leur cache les rebelles survivants, Hollande qui aura laissé « tir libre » aux militaires dans l’opération Serval se rendra responsable du premier massacre d’ampleur des djihadistes africains (probablement plus de mille tués). Répétant sa volonté de « détruire les terroristes », il étendra l’action française à tout le Sahel avec l’opération Barkhane et poussera Obama à attaquer en Irak l’État islamique naissant. A peine aura-t-il accueilli à Paris le 15 septembre 2014 la conférence internationale pour lutter contre l’EI qu’il lancera le 19 avec l’opération Chammal les premières attaques de rafales sur le territoire irakien contrôlé par l’organisation islamique. Ainsi, plus de trois mois avant l’attentat contre Charlie hebdo, aura-t-il engagé la France dans une série de gravité croissante d’attaques meurtrières contre les djihadistes, du nord du Mali jusqu’à l’intérieur même de l’État qu’ils ont prétendu fonder.
L’entrée en guerre contre Daech « n’a pas relevé le niveau de sécurité des français », écrit en usant d’une belle litote le directeur de recherche au CNRS François Burgat dans le Monde de dimanche. « La « performance » des pilotes de Rafale, mobilisés en Syrie et en Irak… ont en fait contribué à compromettre celles des fantassins de vigipirate », poursuit le chercheur avec un humour grinçant. La plongée dans l’état d’urgence, la radicalisation des lois répressives, la mise en danger de notre constitution tout comme le climat de peur et de haine islamophobe qui peut à tout instant s’alourdir encore, voilà autant de conséquences inéluctables de la politique engagée par Hollande dès janvier 2013 et qu’il faudrait peut-être songer à interroger un tant soit peu avant l’élection de mai 2016.
Cela ne se voit guère à droite où la virile posture de Sarkozy reprochant à Hollande sa soi-disant mollesse n’est même pas contestée. Pourtant l’ancien mentor de Bruno Lemaire et l’ami de Juppé, Dominique de Villepin, ex premier ministre de Chirac, développe dans le sillage de son refus de l’intervention américaine en Irak en 2003 et de son opposition à la guerre libyenne de Sarkozy, une position alternative au va-t-en-guerre de Hollande. Cette position basée sur un effort de compréhension des mentalités et des situations de frustration, sur la reconnaissance de l’aspect à la fois ethnique et confessionnel du conflit et en partigulier de la guerre civile entre chiites et sunnites voudrait redonner tout son poids à la diplomatie en enlevant celui de l’intervention armée. Au moment où toute la partie de l’Irak où se concentrent les sunnites risque d’être envahie par les chiites et les kurdes avec l’aide des bombes occidentales et dans un contexte infernal de représailles, de disette, de fuyards errants, une vision politique lucide et apaisée n’a-t-elle pas sa place dans le débat à droite ?
A gauche aussi bien sûr. Et à gauche je dirais encore plus naturellement. Même si Hollande comme un fantôme de Guy Mollet n’avait faire revivre les dérives bellicistes, occidentalocentrées, pour ne pas dire colonialistes d’un certain socialisme vieille France. Le parti communiste, les soutiens du Front de Gauche, les adhérents du NPA, les membres du collectif « Ni guerre ni état de guerre » ne devraient-ils pas sommer les candidats qui affirment vouloir incarner la gauche de présenter une alternative pacifiste au bellicisme de Hollande ? Et puis, hors de la gauche et de la droite comme des grands circuits, des candidats qui prônent l’indépendance réelle de la France et sa sortie de l’OTAN peuvent aussi faire connaître des propositions intelligentes de paix.
La guerre qui fait rage à moins de quatre mille kilomètres d’ici, qui tue par milliers irakiens et syriens, qui fait affluer vers nous en nombre sans cesse croissant des réfugiés meurtris, qui peut comme en novembre ou en juillet répandre la mort au coeur de nos villes et dont la France à travers la politique de son actuel président porte une part de responsabilité lourde ne doit plus être absente de la campagne présidentielle.
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