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Le courrier des steppes

Il y a peu d'endroits dans le monde dont on parle si peu.

 

Ces immenses étendues herbeuses qui côtoient les plus grands sommets du globe ont pourtant de quoi faire vagabonder les esprits curieux en quête d'exotisme. D'ailleurs ce manque d'intérêt est assez récent, l'Asie centrale a fasciné bien des aventuriers en raison du passé glorieux qui fut le sien. Imaginez un instant, ou plus, les hordes de cavaliers féroces déferlant au grand galop sur nos cités endormies. Elles furent le cauchemar du monde civilisé, comprendre ici sédentaire, jusqu'à l'invention de l'arme à feu. Fossoyeuse décisive de l'indomptable nomade. Si vous n'êtes pas d'humeur guerrière, attardons-nous plutôt sur les longues files de caravanes arpentant la mythique route de la soie par laquelle ont transité les hommes, leurs savoirs, et les marchandises les plus précieuses. Une aventure humaine aussi dangereuse que fascinante qui ne trouve pas son pareil dans notre monde moderne, sans cesse rétréci par le confort et la technologie. Je ne vous ai pas encore convaincus ? Qu'à cela ne tienne, j'ai plusieurs cordes à mon arc. Je pourrais vous conter la légendaire beauté des cités de Samarcande, de Boukhara et de Khiva qu'aucun empire ne sut garder bien longtemps tant les convoitises étaient nombreuses à leur égard. Toutes furent des oasis de richesses, de culture, et de bien-être au cœur des steppes infinies.

Hélas, trois fois hélas, il en va autrement de nos jours. L'âge d'or est bien loin mais l’ineffable beauté des paysages demeure, les hommes aussi et c'est là que commencent les défis. L'Asie centrale n'en manque pas et si elle dispose d'atouts indéniables pour les relever, elle doit également composer avec les appétits voraces des grandes puissances toujours en quête de ressources stratégiques, et la gestion de ses propres populations dont le sang bouillonne à nouveau après un long sommeil et une tutelle soviétique particulièrement dure.

Le sujet est vaste et je ne prétends pas à l'exhaustivité. Je cherche avant tout à éveiller un intérêt pour un espace mal connu de nos contemporains mais qui est appelé à occuper un rôle croissant dans les relations internationales et notre actualité brûlante. Outre les gisements stratégiques, sa situation géographique à la croisée des mondes russe, turc, iranien et chinois, ne laisse aucun doute sur la bataille à venir qu'elle soit idéologique, religieuse, sociétale, ou économique. Sûrement tout à la fois, malheureusement pour les peuples pris en tenaille dans ce nouveau "Grand jeu".

Je vais donc vous présenter cette sphère méconnue en quatre points, en partant du plus général vers des thématiques plus profondes.

 

 

  1. le ventre mou de l'Asie

 

L'expression n'est pas anodine, rien n'arrête le regard sur une large portion de ce corridor naturel qui n'en demeure pas moins très fortement enclavé. Si les murailles rocheuses se révèlent épaisses seulement dès lors que l'on franchit le grand fleuve Amou Daria, l'absence d'infrastructures appropriées sur ces grands espaces ouverts rend tout déplacement compliqué voire pénible.

Il faut préciser que la place est vaste, immense même, avec un peu plus de 4 000 000 km² - sans l'Afghanistan et ses 625 000 km² qu'on ne situe pas toujours en Asie centrale en dépit d'une Histoire commune et de liens culturels incontestables. Notre Union européenne, nouvellement amputée de nos voisins anglais, culmine à 4 247 022 km². On joue dans la même cour si j'ose dire.

 

La grande différence entre ces deux mondes tient dans la population qui y réside et le nombre d'états qui les composent. Là où nous comptons 445,5 millions de citoyens européens et 27 États membres, l'Asie centrale peine à atteindre les 103 millions d'âmes (dont 35 millions d'afghans) pour 6 pays, si l'on s'en tient à ma propre définition géographique. Autant dire qu'on ne s'y marche pas sur les pieds, ni sur les sabots d'ailleurs.

La région est globalement homogène religieusement parlant. L'Islam sunnite domine très largement ces contrées malgré une présence chiite, héritage perse oblige, mais également chrétienne à majorité orthodoxe qu'incarnent les populations russes. On regroupe sous ce nom les allemands de la Volga, les ukrainiens, les polonais, et même les coréens de Mandchourie, qui ont fait souche au temps de la colonisation russe ou sous dominion soviétique (sans oublier les tatars, musulmans). La lingua franca reste le russe malgré un retour en force des langues nationales, ce qui n'est pas sans poser de problèmes aux minorités non-turcophones ou non-persanophones dont nous venons de parler. Cette tendance accentue d'avantage encore l'enclavement d'une population peu ouverte sur le reste du monde malgré un accès internet qui tend à se démocratiser de plus en plus. Ne nous y trompons pas pour autant, les potentats locaux exercent une lourde cybercensure sur la plupart des territoires concernés.

 

 

L'alphabétisation est quasi généralisée, hors Afghanistan, notamment suite aux campagnes massives opérées au temps de l'URSS pour assimiler les populations nomades et tribales.

Ces efforts se sont poursuivis après l'indépendance des anciens satellites soviétiques même si des écarts importants se font encore sentir entre les populations rurales pastorales et citadines. La formation des cadres est une question sensible dans ces pays à régime autoritaire, forcément hostiles à l'émergence trop rapide d'une classe moyenne aspirant à prendre plus de place dans la gouvernance. Néanmoins le système éducatif global est efficace et suffit à faire tourner les rouages nationaux. Quant aux membres prestigieux des clans présidentiels, ils sont quasiment tous formés dans les grandes écoles occidentales, russes, et depuis quelque années chinoises. La captation de ces futures élites, responsables de pans importants de l'économie nationale en lien avec l'extraction des matières premières, est un enjeu majeur pour les grandes puissances régionales soucieuses d'étendre leur influence pour mieux accéder aux approvisionnements énergétiques et aux richesses dont regorge le sol centrasiatique.

 

 

  1. la malédiction de la rente des matières premières

 

Tout le monde connaît la formule "l'argent ne fait pas le bonheur". C'est un adage qui prend tout son sens ici-bas. Hydrocarbures, métaux précieux et terres rares sont les moteurs quasi exclusifs des économies locales, à l'exception notable du coton produit en culture extensive en Ouzbékistan - hissant ce dernier aux premiers rangs des producteurs mondiaux. Or si cela rapporte immédiatement, l'exploitation de ces matières premières empêche ou plutôt n'encourage pas le développement des autres secteurs d'activités et concentre la manne entre quelques mains. Une économie qui manque de diversité c'est la porte ouverte aux crises de fluctuations en fonction du prix sur les marchés, mais également au creusement des inégalités au sein de la population.

Seulement la tentation est grande quand on connait l'étendue des réserves souterraines de l'Asie centrale...

 

Si l'on commence par le poids lourd économique, le Kazakhstan est le deuxième producteur d'Uranium, et dispose actuellement des réserves les plus importantes de la planète. Ce qui ne l'empêche pas de compter sur à peu près tous les autres éléments de la table Mendeleïev, même si l'exploitation reste en sommeil quand elle n'est pas octroyée à des groupes étrangers... Ce dernier peut également compter sur les plus importants gisements de pétrole accessible, mais là encore les moyens d'exploitation patinent sur la mauvaise gestion des travaux d'aménagement, la corruption endémique des responsables du projet n'aidant pas à faire avancer le Schmilblick.

 

L'Ouzbékistan, seconde économie et seconde population avec ses 30,2 millions d'âmes, s'appuie également sur ses hydrocarbures, l'or et le coton. Mais encore un cinquième du PIB est assuré par les retours financiers de sa diaspora de travailleurs émigrés, principalement en Russie et au Kazakhstan. D'ailleurs les récentes complications économiques de la Russie, en proie au boycott européen ayant pour toile de fond la condamnation du conflit ukrainien, impacte fortement ces flux d'argent. Bien que resserrée en raison de terres arables limitées, l'agriculture compte également pour un cinquième de l'économie ouzbek.

 

Le Turkménistan assoit son développement sur l'exploitation du gaz, quatrième réserve terrestre, et du coton, neuvième producteur mondial. Ses liens forts avec la Turquie lui ont permis de protéger son économie des soubresauts de la crise russe tout en multipliant les investissements anatoliens sur son sol afin de développer ses infrastructures énergétiques et civiles. L'économie y est particulièrement dirigiste, même d'après les normes autoritaires centrasiatiques, et le clan présidentiel achète la paix sociale par un contrôle des denrées de base et la mise en place d'une politique de grands travaux somptuaires comme le creusement d'un lac au milieu du désert du Karakum, non sans danger pour le biotope local .

Souvent présenté comme le plus "démocratique" des gouvernements centrasiatiques, le Kirghizistan partage avec l'Afghanistan et le Tadjikistan une nature montagneuse qui participe à son enclavement. Cependant sa proximité frontalière avec la Chine lui permet un débouché direct sur le marché du travail pour ses travailleurs migrants dont les revenus rapatriés comptent pour un bon tiers de l'économie nationale. Cela permet aussi de soulager légèrement la pression du leadership russe qui s'exerce d'autant plus fortement depuis le départ des troupes américaines de la base de Manas depuis le retrait d'Afghanistan en 2014. L'exploitation de la principale mine d'or de Kumtor a été cédée au major canadien Centerra Gold dans une logique immédiate de retour sur investissement mais peu visionnaire. Sans compter les accusations récurrentes et fondées à l'encontre du géant minier de déverser de lourdes quantités de cyanure dans les eaux du plus grand lac de montagne au monde l'Yssyk-Koul. Une pratique difficilement conciliable avec le développement de la richesse hydraulique du pays qui concerne un secteur agricole employant près de la moitié de la population kirghize et alimentant en aval l'agriculture ouzbek et kazakh. L'essor du tourisme et des loisirs de montagne est également un axe de développement balbutiant mais prometteur si tant est que les projets aboutissent.

Le Tadjikistan a payé le plus lourd tribut lors de son émancipation du bloc soviétique, pendant la crise financière russe actuelle et à chaque soubresaut de son turbulent voisin Afghan. Le pays, riche en eau, demeure le plus démuni en termes d'hydrocarbures et de ressources minières. Toutefois, il exporte de l'aluminium, du coton, un peu d'uranium, de tungstène, d'or et d'argent. Le pays est montagneux dans son ensemble avec une moyenne altitude autour des 3000 mètres pour la moitié du territoire. Sa frontière poreuse avec l'Afghanistan est un frein puissant au développement des investissements étrangers en raison de l'insécurité croissante engendrée par l'important trafic d'héroïne transitant dans la vallée de Ferghana au nord du pays. C'est donc encore une fois sur le rapatriement des revenus de ses travailleurs émigrés, souvent en Russie, que s'appuie l'économie tadjik. Ce qui explique l'impact ressenti par la plus petite république centrasiatique au moment de la crise russe qui a fait perdre de nombreux emplois à l'importante diaspora tadjik résidant chez la mère Russie, qui compte environ 1,2 million de personnes.

L'Afghanistan, l'un des pays les plus pauvres du globe, possède de gigantesques richesses souterraines (gaz, charbon, cuivre, lithium, or, fer, niobium, cobalt, pierres précieuses et semi précieuses) mais souffre d'aridité sur la plupart de son sol et d'une situation géopolitique catastrophique. La guerre n'a jamais vraiment cessé depuis l'invasion soviétique de 1979 et les troubles se poursuivent depuis lors. Le pays est sous perfusion internationale et ne montre guère de signes encourageants quant au relèvement de son économie et au retour à la normale de la société civile. La guerre a laissé de nombreux stigmates dans les esprits et les infrastructures vitales. Trop peu de routes et de ponts sont en état, trop peu d'écoles pour lutter efficacement contre l'analphabétisme, les mines et les engins explosifs improvisés continuent de mutiler les enfants. La liste des plaies à lécher est trop longue pour être égrenée ici mais je termine en mentionnant que la condition de la femme y est l'une des plus terribles au monde, celle des enfants n'est pas mieux non plus quand on constate des pratiques généralisées d'esclavage sexuel parmi les corps constitués – la police au premier rang...

 

 

Ses 35 millions d'âmes sont partagées entre cinq principales ethnies que sont les ouzbeks, les tadjiks, les baloutches, les hazaras, et les pachtounes. Ces derniers forment le groupe majoritaire qui noyaute traditionnellement l'ensemble des fonctions étatiques. Le gouvernement ne contrôle de facto qu'une faible portion du pays. Toute latitude est laissée aux seigneurs de guerre qui se partagent les vallées alentours où fleurit la culture du pavot qui alimente 80% du trafic d'héroïne mondial. La Chine, connectée par le corridor de Wakhan au Xinjiang, est le premier investisseur du pays et s'occupe de l'exploitation de la mine de cuivre d'Aynak et des premières activités d'extractions pétrolières depuis 2012. La passe de Khyber qui fait office de portail entre les mondes pakistano-indien et centrasiatique reste le principal axe commercial du pays, monopolisé jalousement par la proto-mafia des routiers pakistanais. On est bien loin de la Suisse d'Asie comme on baptisait jadis le royaume Afghan.

 

 

  1. la géopolitique des tubes

 

Tant de trésors inexploités ne manquent pas d'aiguiser les dents déjà longues des grandes puissances locales mais aussi plus éloignées. Dans ce furieux ballet où tous les coups sont permis, on voit émerger quelques favoris.

 

C'est le cas de la Russie bien entendu, qui conserve la plus forte influence sur la zone, qu'elle considère comme son pré-carré ou son étranger proche. Et gare à qui marche sur les plates bandes du camarade Poutine... La Chine et ses moyens démesurés ne sont jamais loin, les turcs et les iraniens s'appuient sur leur affinité culturelle pour rester présents dans leur zone d'influence respective. L'Union Européenne et les États-Unis font figure d'outsider sur le retour après l'équipée maladroite en Afghanistan. Dans le discours, ils se présentent comme une alternative à la mainmise russe.

 

Tous recherchent en priorité un moyen de capter les approvisionnements gaziers et pétroliers que ce soit pour leur propre consommation ou pour en priver la concurrence. Je m'explique.

 

La Russie dans son ambition de créer une Union Eurasiatique semblable sur le papier à l'Union Européenne, doit protéger son leadership en dérivant l'ensemble des ressources vers son propre réseau de distribution énergétique, qui constitue son principal levier de négociation avec l'Europe. En retour l'UE ressent le besoin de sortir de sa dépendance énergétique envers la Russie, elle n'a pas d'autre objectif en raison de sa faiblesse politique et de son manque de représentativité.

La Chine est trop gourmande sur le plan intérieur pour se passer d'un tel réservoir, elle doit également surveiller ses propres flux de populations originaires de cet espace.

Les USA jouent leur rôle de déstabilisation de l'influence russe notamment en proposant une aide financière aux républiques centrasiatiques et par le biais de son allié otanien, la Turquie.

Celle-ci tente donc d'orienter les flux vers son propre territoire afin de développer ses propres activités de raffineries et activités portuaires en Méditerranée comme c'est déjà le cas avec l'oléoduc caucasien BTC (Bakou Tbilissi Ceyhan).

Quant à l'Iran, il veut créer de l'interdépendance pour exister politiquement dans la zone et briser son enclavement diplomatique, malgré l'ouverture relative qu'on peut constater ces derniers temps. Oserons-nous dire jusqu'à la prochaine crise ? Je digresse, pardon.

 

Bien sûr mon explication est grossière et schématique, il faudrait l'étoffer d'une myriade d'abréviations de projets de gazoducs/oléoducs qui ne verront peut-être jamais le jour ou alors dans un avenir lointain. Qui sait comment évoluera l'Asie centrale entre temps, d'autant que de nombreux signaux faibles menacent l'équilibre précaire de la stabilité régionale.

 

 

  1. le blues du nomade

 

L'effondrement de l'URSS en 1991, a mis en lumière un espace qui nous avait été interdit d'accès pendant près de 50 ans. Des "républiques" sont nées, presque à leur insu, et ont dû exister au milieu du foutoir général qu'a été l'après-Guerre Froide de Boris Eltsine.

 

Tout a commencé avec la politique Stalinienne, d'un pays un peuple, qu'il entame en 1924 et finalise aux alentours de 1936. Le petit père des peuples, paranoïaque avéré et fin stratège, n'ignore rien du proverbe "Diviser pour mieux régner". Lui-même géorgien russe de naissance, il a une connaissance intuitive de l'imbrication culturelle des populations de cet espace. En somme, on trouve un peu de tout partout dans le Caucase mais aussi en Asie Centrale. Il sait pertinemment qu'en obligeant des populations dispersées à vivre dans un espace délimité, il les contrôlera plus facilement en les jouant les uns contre les autres. Le tadjik, culturellement perse, contre l'ouzbek, culturellement turc si vous préférez.

 

Ce n'est pas tout puisqu'en parallèle on favorise l'installation d'une population russe chrétienne à laquelle on confie les rouages et le bon fonctionnement de ces beaux pays tout neufs. On y rajoute quelques allemands et polonais pour que les populations blanches se tapent elles aussi un peu dessus. On termine enfin avec la répartition méthodique des coréens de Mandchourie, qui vont servir de classe moyenne intermédiaire avec un rôle social et des conditions de vie qui ne sont pas sans rappeler ceux des juifs d'Europe de l'Est.

 

Ces pays officiellement unis par une culture commune mais complétement hétérogènes dans les faits, subissent la tutelle impitoyable de Moscou jusqu'à la dissolution du bloc. Pressentant l'effondrement imminent dès lors que la voix du Kremlin s'est tue, les grands cadres locaux du parti communiste prennent les devants et assoient leur clan à la tête des nouvelles républiques centrasiatiques. Culte de la personnalité, répression sauvage des dissidents, confiscation de l'économie à l'usage exclusif de la famille présidentielle, sont autant de joyeux traits caractéristiques de l'évolution des républiques centrasiatiques durant les années 90.

 

Une fois les pouvoirs solidement ancrés, la situation se décante sans signifier la détente. Quelle direction doivent prendre ces nouveaux États ? Des forces en léthargie émergent peu à peu, on assiste au retour de l'Islam que le communisme n'a jamais vraiment réussi à abattre dans le cœur des populations. Le nationalisme turc ou perse se réveille lui-aussi, et pose avec insistance la question identitaire d'une population comportant de fortes minorités en son sein. Cette question demeure encore aujourd'hui une pierre d'achoppement et de nombreux russes d'Asie centrale prennent le chemin du retour vers la mère patrie.

 

Les différences de statut entre les sédentaires et les nomades posent également de gros problèmes d'assimilation et de coexistence. L'exode rural est en cours et menace d'extinction de nombreuses ethnies et leurs cultures spécifiques. A cela s'ajoute un chômage croissant en partie dû à un manque d'investissement dans les secteurs de l'éducation et dans ceux de l'économie porteurs d'une vision à long terme dont nous avons déjà parlé plus haut.

L'écologie prend également trop peu de place dans le développement des pays, l’accès à l'eau est très inégal, les terres arables rares et menacées par la pollution des sols engendrée par une agriculture intensive. L'asséchement progressif de la mer d'Aral en est le meilleur exemple.

Autre menace notable, la propagation d'un islam radical sunnite dont les racines sont à chercher dans la déflagration afghane et les prédicateurs wahhabites en provenance de la péninsule arabique.

Ultime Némésis de la stabilité régionale, l'épineuse question de la transition politique des régimes politiques d'Asie centrale. Le récent décès du président ouzbek Islam Karimov, qui n'avait pas désigné de successeur attitré, va servir de laboratoire pour tous les observateurs de la zone. Ceux-ci ayant scruté avec beaucoup d'attention les réactions des populations centrasiatiques au moment du printemps arabe en 2011.

 

L'Afghanistan concentre l'ensemble de ces problématiques qui ont été exacerbées par près de quarante années de guerres terribles. Considéré comme son arrière-pays stratégique par le Pakistan qui le borde des zones tribales du Waziristan au Baloutchistan, le pays est de nouveau la proie des talibans, que la coalition internationale n'a pas su combattre efficacement. Les élections présidentielles ont montré les limites de l'exercice démocratique, suivi courageusement par de nombreux afghans mais entaché par de nombreuses fraudes. Le numéro deux du pouvoir afghan, le tadjik Abdullah Abdullah ayant violemment contesté son éviction pour finalement obtenir le poste de chef de l’exécutif du président pachtoune Ashraf Ghani. Les appuis tribaux et ethniques sont au cœur de la vie politique afghane à tous les niveaux. La Loya Jirga, une assemblée d'anciens et de notables, demeure l'instrument principal et souvent arbitraire de la justice hors des centres urbains. Celle-ci privilégie un droit coutumier assez éloigné du dogme juridique officiel et des timides avancées sociales récemment octroyées à la protection de la femme et de l'enfance. Bien entendu les zones retournant sous contrôle taliban sont immédiatement placées sous le régime d'une charia intransigeante et brutale. L'Afghanistan est la preuve vivante qu'aucune contradiction n'est trop grande. Un pays est à la fois riche par son sol et très pauvre par sa population, marqué par un brassage multiculturel qui n'a rien à envier à l'Inde, et plus intolérant encore dans ses mœurs que l'Arabie Saoudite, sauvage par sa nature et la rusticité de ses combattants dont la plupart parlent plusieurs langues d'où infusent une culture profonde et raffinée. Une terre fertile et désertique, religieuse à l'extrême mais prête à toutes les compromissions pour continuer la lutte contre l'occupant, à l'image de l'éradication de la culture du pavot sous régime taliban et son retour spectaculaire sous l'impulsion de ces derniers après 2001.

 

 

C'est la fin de ce bilan succinct sur l'Asie centrale, j'espère que vous avez pris autant de plaisir à le lire que j'en ai eu à l'écrire. Je suis à votre écoute pour toutes discussions ou commentaires constructifs.

 

A une prochaine rencontre sous le grand ciel bleu.

 

P.S : L'ensemble des chiffres ou des ordres d'importance liés à la démographie, l'éducation et l'alphabétisation sont tirés du site internet de l'UNESCO.

Les données économiques proviennent du Bilan 2015 du journal Le Monde que j'ai croisé avec celles avancées par le journal L'économiste dans son Bilan économique mondial de 2015, plus ceux de l'Atlas économique du nouvel Observateur 2015.

Le résumé afghan provient de ma propre étude réalisée en 2012 pour le CréA de Salon de Provence, les éléments datés ont bien entendu été réactualisés au plus juste compte tenu de la difficulté à se procurer des informations sur un secteur aussi complexe que difficile d'accès.

Pour plus de profondeurs et de détails sur l'Asie centrale, je vous conseille vivement les livres de Jean-Paul Roux et leur bibliographie. L'Histoire sur l'Asie centrale contemporaine de Pierre Chuvin, René Létolle et Sebastien Peyrouse est aussi une base solide. La revue Hérodote a également beaucoup travaillé sur ces questions-là et offre un point de vue géographique et géostratégique inédit en France. La revue Diplomatie a aussi traité dans certains numéros d'une partie des thématiques que nous avons abordées dans l'article (le n°72 est le plus exhaustif sur le sujet à ma connaissance). Si l'Afghanistan exerce sur vous suffisamment d'attrait pour sortir des sentiers battus et rebattus, je vous conseille la lecture du Royaume de l'insolence de Michael Barry et Histoire de la guerre d'Afghanistan d'Akram Assem.

Je vous engage vivement à vous faire votre propre idée sur cet espace fascinant et encore en profonde mutation.

 

Soyez vivants, soyez curieux.

 


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5 réactions à cet article    


  • fred.foyn 27 octobre 2016 10:00
    Les steppes-tartares...un régal !

    • Montagnais .. FRIDA Montagnais 27 octobre 2016 18:57

      « .. en quête d’exotisme » vous écrivez


      ..et comme dit mon pote Mimile qu’est allé « faire du cheval » par là-bas : 

      « Keski sont pauvres ma cocotte ! Mais keski sont gentils ! .. » 

      Vous avez une « agence de voyage » l’Auteur ? .. Pour ma gouverne .. moi qui annonce sans vergogne la fin de l’industrie « touristique » ..

      Le prochain papier sur les grands espaces polaires ? 

      Avec la bénédiction des croisières du même nom - dont je viens de recevoir intempestivement la réclame après avoir lu - non sans intérêt tout de même - votre texte .. Putaing de réclame ! ..

      NB : vous avez rencontré les filles à Karimov ? Elles valent le détour

      Bien cordialement



      • baleti baleti 27 octobre 2016 21:19

        l’auteur


        le vrai problème, a ses pays d’Asie central, leur position géographique ?
        le carrefour des plus grande puissance mondial

        • ENZOLIGARK 28 octobre 2016 07:09

          Cote nature , l ’ Ouzbekistan *  : ENORME ... , ... et cote marche de Samarkand * par exemple  : un Carnaval ( de Rio * permanent ... ) de senteurs , gouts et couleurs ... ! . IMPRESSIONNANT ... . ... Enfin , sans parler la langue du pays ou la langue russe  : aucun contact avec la population ... ou presque ... . ( Je me rattrape seulement maintenant et comprennent ma demarche pour la Corse * et son peuple ... ! ) . ... АФФ ИСС ...   


          • yapamordom 28 octobre 2016 09:27

            Et comme disaient les Albinos du Kazakhstan : « on est chez nous ! »

            http://realhistoryww.com/world_history/ancient/Misc/Common/Coins_and_Potter y.htm

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