• AgoraVox sur Twitter
  • RSS
  • Agoravox TV
  • Agoravox Mobile

Accueil du site > Tribune Libre > Extension du domaine de la disparition

Extension du domaine de la disparition

Les supporters

L’autre jour, un ami a mis à jour un de ses albums photo privés. Privés non pas parce qu’il collectionne les photos pédonazies, privés parce qu’avec des photos qui ne se montrent plus, ne s’exposent plus : des photos avec des gens dessus.

Cet ami fait vraiment de très bonnes photos, non seulement d’un point de vue artistique, mais aussi d’un point de vue documentaire. Quelque chose que l’on pourrait résumer par : voici comment vivent les gens.
C’est ce qui est pour moi le plus important dans la photo : cette fonction d’archivage d’une époque, d’une manière de vivre, ce témoignage d’une société à travers quelques instantanés bien choisis. Se souvenir de la manière dont vivent les gens, c’est ce qui m’a amenée à toujours avoir un appareil photo sur moi, quitte à me démonter l’épaule quand il s’agissait d’un réflex dans mon gros sac à main (avec ses objectifs de rechange, bien sûr !).

Et c’est parce que cet ami a partagé en catimini son fabuleux travail d’éthnophotographe que je me suis rendu compte que je ne prenais précisément plus ce genre de photos, ou alors en loucedé, presque comme une maladie honteuse et uniquement à usage personnel.

Ce qui s’est passé depuis mes premiers pas avec mon Agfamatic 50, c’est le droit à l’image et la menace permanente, concrète, d’avoir des complications judiciaires et surtout pécuniaires si l’on s’acharne à photographier ceux qui circulent, discutent, bullent, rient, échangent dans l’espace public.

Ce n’est donc pas tant que je ne partage plus de photos d’êtres humains que je ne les prends plus en photo par défaut. Tous ces moments touchants, drôles, tristes, poignants et surtout signifiants de notre époque ne sont pas seulement cachés, réprimés, interdits… ils n’ont, par réflexe conditionné, par capitulation intellectuelle, tout simplement pas été capturés.

J’ai offert à ce même ami un livre photo qui raconte l’école — un peu fantasmée — où furent éduqués nos parents. Il y a, là, toute une galerie de frimousses, de tabliers, de rangs sages ou dissipés, de petits soldats de la République, de petits chenapans de la cour de récré, un ensemble d’images qui témoignent d’une époque révolue, d’un mode de vie disparu dont certains sont encore nostalgiques.

À présent, à chaque début d’année, je signe un papier où j’autorise — ou pas — l’école à prendre des photos où l’on pourrait éventuellement reconnaitre ma fille dans le strict contexte pédagogique et avec l’assurance que toutes ces images — si jamais elles sont prises — ne sortiront jamais de l’espace scolaire.

Je me demande, du coup, ce qu’il restera de notre époque où les images encore produites sont déjà essentiellement immatérielles, intangibles et inféodées à une technologie dont la pérennité est déjà plus que sujette à caution.
Je me demande ce que nous laissons comme iconographie de nos vies alors même que la culture de l’image est partout dominante, mais qu’elle est noyée par les représentations publicitaires d’un monde qui n’existe pas, par les lolcats et les natures mortes, vides et surtout sans possibilité de contestation.

Peut-être juste la préfiguration d’un monde qui continue sans nous.


Moyenne des avis sur cet article :  2.6/5   (10 votes)




Réagissez à l'article

6 réactions à cet article    


  • howahkan 29 octobre 2016 09:31

    Salut, intéressant « cliché » instantané sur une disparition....de plus....

    mais je me dis que pendant 10 000 voir 100 000 voir + d’ années la photo n’a jamais manquée à personne

    ni la machine, ni la voiture, ni l’ordinateur, ni le téléphone, ni ni ni ni ni ....

    soyons francs avec soi même...l’objet est devenu le sens de nos vies..faute de ne plus en avoir...je dois dire ici que de ce que je vis, si « sens » il y a , il n’est pas de nature humaine...

    vous savez je parle aussi donc de ce constant mécontentement permanent qui gâche toujours tout, j’ai, j’ai plus, j’ai pas...etc...

    ...même les moments les plus « éjaculateurs » parce que on pleure sur leur absences ou sur le désir démoniaque que cela se reproduise... à jamais, à jamais, à jamais etc..ad libitum donc selon vos désirs et à volonté..

    nous avons choisit ce chemin,sauf exceptions je suppose comme toujours bien sur...celui de la primauté et l’exaltation de mes désirs sur ....ce qui ne serait plus cela..

    que sais je de mes désirs ? quasiment rien...je ne sais pas qu’ils sont indispensables pour que la pensée marche à l’enfance....puis aussi à l’age adulte quand nos autres capacités ne s’ouvrent plus...

    si à l’enfance cela est dans la nature profonde des choses, à l’age adulte cela ne l’est plus....

    mon désir, celui de chacun qui mène le monde donne un monde de conflit entre tous mais avant tout en chacun, en soi même, car même seul au monde je serais toujours en conflit tel que je suis devenu !!

    monde aussi , de violence, de guerre, de massacres, de haine, de peur, de souffrance, etc...ad libitum encore une fois..

    la primauté de la mémoire donc de la pensée...nous fait vivre le passé y compris lé mémoire du futur désiré..mais ou est donc le présent.. ?

    Mère Nature me dit que la pensée n’y a pas accès sauf d’une manière mécanique pour accomplir une tache pratique apprise ou pas...donc superficielle...

    notre choix qui est de fuir ne fait même pas de nous des égoïstes mais des fuitistes...

    citant l’auteur que je salue pour finir

    Je me demande, du coup, ce qu’il restera de notre époque où les images encore produites sont déjà essentiellement immatérielles, intangibles et inféodées à une technologie dont la pérennité est déjà plus que sujette à caution.
    Je me demande ce que nous laissons comme iconographie de nos vies alors même que la culture de l’image est partout dominante, mais qu’elle est noyée par les représentations publicitaires d’un monde qui n’existe pas, par les lolcats et les natures mortes, vides et surtout sans possibilité de contestation.


    • Algunet 29 octobre 2016 09:56

      Bonjour Monolecte, à la photo vous auriez pu ajouter la parole qui devient de plus en plus muselée voire interdite. Dans certains endroits parlez poliment à un jeune et il se sentira insulté et vous le fera sentir très « délicatement » ! A la radio dans les journaux la censure des mots (tels : race juif, sioniste, noirs FN...) s’impose et la poursuite judiciaire est immédiate 


      • fred.foyn 29 octobre 2016 09:56

        La « PHOTO » capte les ZOMBIES de la vie de tous jours...J’préfère les photos d’animaux dans leur habitat naturel..pas les ZOOS comme l’élysée ou les animaux sont dressés à bouffer les humains !


        • Albert123 29 octobre 2016 10:22

          bienvenue dans une société basée sur le système carcéral panoptique de Foucault,


          au moins preuve est faite qu’en matière de gouvernance, tuer le père ne nous émancipe pas du complexe d’Oedipe, au contraire cela ne nous permet que de le reproduire et dans sa forme la plus perverti qui plus est.

          • velosolex velosolex 29 octobre 2016 22:14

            N’ayez pas trop de soucis sur les témoignages dont vivent les gens, jamais époque ne sera autant taxidermisée que la notre. Jamais autant de photographies, de témoignages, de films, de selfies. Même Narcisse en tomberait sur le cul. Faites des photos pour vous, pas pour la postérité, très hasardeuse, d’ailleurs, car il est presque minuit à l’horloge du monde. Et je doute que les civilisations à venir se penchent beaucoup sur nos soit disant chef d’œuvres. En conséquence vous pouvez photographier qui vous voulez, avec la seule mesure de votre sens moral, et du risque ou non, de prendre un coup de poing sur la gueule. C’est vrai que la photo de rue devient dangereuse, qu’on vous lâche parfois un regard noir, là où auparavant on vous souriait, ce qui était parfois aussi gênant. C’est ainsi qu’on mesure qu’on a changé d’époque. Les susceptibilités plus ou moins inventées changent. Les gens vous montrent leur cul sans vergogne, mais font la gueule quand vous intéressez à leur binette. Qu’aurait di Brassens là dessus.... Pour ma part, j’ai commencé la photo en 75, date à laquelle j’ai donné mes derniers sous à un australien en Inde, contre un Canon FTB, ce qui m’a obligé à rentrer en stop, le ventre vide, avec plein de pellicules dans mon sac. Depuis je ne me suis jamais arrêté. Enfin si, finalement aux moment où j’aurais du continuer. 

            Connaissez vous Vivian Maier, par exemple : Un exemple d’une photographe anonyme qui possédait l’oeil d’or. Un jour vous découvrez que l’essentiel dans la photo, c’est l’apprentissage du regard. Une fois que l’objectif est est en vous, vous n’avez même plus besoin d’appareil photo.

            • velosolex velosolex 30 octobre 2016 09:20

              @velosolex
              Quand je dis «  Les susceptibilités plus ou moins inventées changent. Les gens vous montrent leur cul sans vergogne, mais font la gueule quand vous intéressez à leur binette » je fais référence surtout à Facebook, à cette capacité à perdre toute pudeur, toute intimité, de se mettre totalement à poils en haut de l’estrade, en interpellant le chaland....

              Alors cette nouvelle exigence hystérique, à propos d’une image de rue, d’un petit cliché dérobé à la beauté, à la surprise, à une situation où la personne ne sera de toute façon qu’un figurant, elle me semble de la même obédience que le fait des maris qui imposent à leur femme un tchador, un masque mortuaire dés qu’ils sortent de leurs quatre murs. Serait ce un crime que de s’étonner encore du monde, de vouloir le mettre dans un cadre, alors qu’un abruti qui vous balance son poing dans la gueule, sera à peine repris sur cette « incivilité »...
              Bon, c’est vrai que le problème existe de moins en moins, les photographes d’occasion semblant de moins intéressé par le monde, de plus en plus par eux mêmes, dans ces selfis grotesques. Voilà des gens qui en disent beaucoup sur notre époque. Le numérique a changé la donne. On peut photographier sans compter. Mais une mitrailleuse ne sert pas à grand chose dans les mains d’un aveugle. Voilà que j’’en parle comme une arme, ce qu’il est tout de même un peu : On peut se protéger du monde, avec un appareil photo autour du cou. Il vous donne un regard et une force incroyable. C’est ce que disent beaucoup de photographes de guerre. Cet objet les transcende, les tire derrière lui. Et petit à petit recompose leur regard, au point de les faire entrer dans la chambre noire. 

Ajouter une réaction

Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page

Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.


FAIRE UN DON



Publicité



Les thématiques de l'article


Palmarès



Publicité