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France et Québec. Faire bouger l’éducation (2)

De récentes consultations publiques au Québec ont mis en lumière des propositions novatrices touchant l’éducation. Je veux attirer l’attention sur sept (7) d’entre elles dont je crois que la France pourrait aussi tirer parti.

Dans un article précédent, j’ai fait allusion aux trois premières : # 1) les Centres de la Petite Enfance (CPE), #2) une formation courte universelle pour rendre parents et gardiens plus compétents à guider les enfants durant la période pré-scolaire, et #3) une programmation télévisuelle à plusieurs niveaux, pour améliorer la maitrise progressive du langage. 

http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/france-et-quebec-faire-bouger-l-186579 

J’ajoute ici deux (2) autres concepts - autodidaxie et préceptorat – qu‘on a évoqués au Québec et qui me semblent porteurs. S’ils s’imposent, ils transformeront radicalement notre façon d’enseigner. En parler ici est juste un appel du pied, car ces thèmes mériteraient chacun un gros bouquin.  Ceux que le sujet intéresse sont donc invités à voir les annexes-références au mémoire soumis dans le cadre de la consultation sur la réussite éducative qui a été menée au Québec. Qu’on ne s’étonne pas d’y retrouver des éléments déjà acquis en France. Le contraire serait bien inquiétant. ( :-) (Lien infra)

https://nouvellesociete.wordpress.com/2016/11/11/consultations-publiques-sur-la-reussite-educative/ )

 

#4 AUTODIDAXIE.

De toutes les prises de conscience à faire en éducation, la plus fondamentale est certes l‘acceptation que ce n’est pas l’enseignement - (qui n’est qu’un moyen parmi d’autres ) - mais l’APPRENTISSAGE qui en est la finalité qui doit être au cœur de la démarche éducative… avec la transformation concomitante de l’apprenant lui-même qu’on espère de cet apprentissage.

Quand on le comprend, on constate qu’il y a bien plus à apprendre qu’on ne peut en enseigner et que faire tous les choix pour l’éduqué est odieux, car c’est son identité qu’on façonne. On voit que RIEN n’est plus important que de rendre l’individu non seulement plus apte à apprendre, mais à apprendre SEUL, sans la médiation d’un tiers, et qu’est donc prioritaire tout ce qui lui permet un accès direct au SAVOIR. 

Comment donner efficacement accès au savoir ? Le « savoir » est la somme de ce qui est su. La somme de ce qui a été appris, compris et conservé. C’est notre patrimoine le plus précieux. Or, le savoir de l’humanité a été conservé principalement par l’écriture. Pourtant., alors que Times, en A.D 2000, a salué en Gutenberg « l’homme le plus important du millénaire », on en est encore trop souvent à enseigner de bouche a oreille. Comme si on doutait encore que l’écriture puisse traduire fidèlement la pensée, ou que l’impression de l’écrit puisse en garantir la diffusion adéquate ! L’apprenant doit d’abord apprendre à lire, puis à apprendre en lisant… et à comprendre ce qu’il lit. C’est çà, l’autodidaxie.

Le rôle de l’enseignant s’en trouve radicalement transformé, car on touche alors du doigt que l’enseignant n’est PAS le créateur du savoir et qu’il n’a pas à s’en prétendre le dépositaire exclusif. Son rôle - qui est crucial, mais ne doit pas être incontournable - est d’être celui qui montre la voie. En France comme au Québec, optimiser la transmission des connaissances exige dès lors qu’on ne considère plus l’enseignant comme la source du savoir, mais comme un guide dans l’univers en expansion des connaissances.

Attention ! Nul ne conteste que la présence physique puisse permettre un échange verbal et non-verbal qui ajoute au message transmis ; mais cet ajout n’est PAS la connaissance du contenu même du message. Or, ce contenu reste l’essentiel et sa transmission la priorité. Il est faux qu’un tiers intermédiaire soit requis pour décoder ce contenu et l’« enseigner » à un élève ; cette croyance est un vestige des temps de l’illettrisme. Si l’enseignant se veut et se rend indispensable, il est un goulot d’étranglement. 

Ce qui plus que tout étrangle le développement de l’autodidaxie, cependant, c’est que les livres de classe, les manuels, le matériel pédagogique qui pourrait aider l’apprenant à apprendre, tout est rédigé pour les copains, en un langage qui en limite la lecture aux initiés. Tout est préparé à l’usage de l’enseignant-médiateur, de sorte que la matière traitée n’est intelligible qu’à celui qui la connaît déjà. L’aspirant autodidacte n’est donc pas dans la mire ; l’éduqué n’est même pas le lecteur cible.

Il y a eu des efforts pour sortir de ce sabotage à saveur corporatiste du désir de connaître. L’enseignement programmé (programmed learning ), comme il découle de la pensée de Skinner, les avancées indiscutable de Alfred Carrard en formation professionnelle, les méthodes de l’ANIFRMO en France il y a déjà longtemps ou du TWI aux USA qui peuvent faire de l’éduqué un partenaire plus actif de son éducation. .. Mais sur ces tentatives a toujours plané la pensée orthodoxe que ce ne sont pas là des outils pours une ‘vraie éducation’, mais des pis-aller pour faire face à des crises.

Oh, Il existe bien des manuels d’auto-enseignement, mais l’ensemble de ces manuels d’enseignement programmé, de qualité fort inégale, ne constitue en aucune manière un corpus exhaustif cohérent qui permettrait à qui le désire de procéder dans l’ordre à apprendre seul ce qu’il veut apprendre. Or, c’est de ça que nous avons besoin. Tout le savoir doit faire l’objet d’une rédaction intégrale et être présenté par modules, dans un langage intelligible à quiconque a un développement mental normal et a déjà assimilé les contenus de tous les modules qui en sont identifiés comme des pré-requis.

L’ensemble de ces modules doit former un tout congru à la somme de nos connaissances. On conçoit que la réalisation initiale de ce corpus est un travail d’envergure qu’il faudra des années pour compléter et que la mise à jour devra par la suite en être faite sans relâche, au rythme des progrès du savoir. C’est un travail énorme de re- écrire tout le savoir pour qu’il soit accessible à tous, mais on ne peut pas ne pas le faire. Ce sera le dernier et peut-être le plus important chapitre de « l’abolition des privilèges » qui a débuté un certain 4 août.

 

# 5. UNE ÉDUCATION PRECEPTORALE

Étroitement liée à la question de l’autodidaxie, il a celle de replacer la formation magistrale traditionnelle par une formation sur mesure répondant aux besoins et désirs de chacun : une éducation préceptorale. Au départ, faisons le constat que les enfants, comme les adultes, ont des besoins et des rythmes d’apprentissage différents. Tirons en la conclusion évidente que l’enseignement magistral, qui consiste à réunir une classe d’élèves pour qu’un enseignant leur transmette oralement la même chose, de la même façon et en même temps, n’est pas une procédure optimale. Elle pourrait se justifier exceptionnellement, en période de crise, si on manquait d’enseignants, de livres et d’espace, mais il est inconcevable que cette approche soit encore aujourd’hui considérée comme la procédure “normale”.

Procuste était ce brigand de l’Antiquité qui “allongeait” ses victimes à la taille de son lit… ou les amputait de ce qui en dépassait. C’est exactement ce que fait notre système d’enseignement magistral, lequel ne transmet que son menu “prix fixe” et prétend standardiser les élèves d’une classe (au dénominateur le plus bas, c’est plus facile), espérant ainsi qu’arrivant différents ils repartiront égaux, les uns “allongés” des connaissances que quelqu’un aura choisi arbitrairement de leur imposer, les autres diminués des talents que le système ne leur aura pas reconnus. 
Il serait temps de mettre fin à ce manège et que chacun puisse faire son lit à sa propre mesure.

Ce dont nous avons besoin, c’est d’une éducation qui procure à chaque éduqué l’attention dont il a besoin et le traite comme un être humain qui a le droit d’être différent. Le devoir, en fait, d’être COMPLÉMENTAIRE. Pour y arriver, il faut remplacer la norme que constitue le cours magistral habituel par une norme personnalisée : un système où un éducateur entretient avec l’éduqué une relation unique, relation évoluant selon les besoins particuliers de l’éduqué dans le cadre des circonstances que la vie apporte à ce dernier. Ceci ne signifie pas que toute relation éducateur-éduqué doive se limiter aux deux protagonistes, mais que l’éducateur doit avoir la discrétion et les moyens matériels de rencontrer ses élèves non seulement dans le cadre contraignant du cours magistral traditionnel, mais individuellement et par sous-groupes.

Cette nouvelle approche n’exige pas qu’on augmente le nombre des enseignants ; elle exige : a) que l’on redéfinisse la finalité objective du travail de l’enseignant pour qu’il assume une responsabilité et une autorité d’éducateur, et b) qu’on favorise une relation longue plutôt qu’épisodique entre l’élève et son éducateur.

Une éducation personnalisée et une répartition plus productive du temps de l’enseignant deviennent possibles, dès que celui-ci refuse le rôle auquel on l’a confiné d’un lecteur qui ânonne et rabâche des énoncés répétitifs – un rôle de médiateur entre l’apprenant et des connaissances à demi révélées dans des textes voulus hermétiques - pour assumer celui de GUIDE dont nous avons parlé

Quand il vit cette transformation, l’enseignant peut assumer les responsabilités d’un véritable éducateur et voit sa fonction de médiateur déplacée : il n’est plus là pour dire autrement ce que le texte écrit devrait déjà dire de façon compréhensible, mais pour en situer le contenu cognitif immédiat dans un contexte universel, pour déduire et induire au-delà du message formel, pour éveiller l’intérêt, l’imagination, l’initiative de l’apprenant. L’enseignant-guide devient le médiateur entre l’éduqué et les liens parfois subtils qui permettent de passer d’une connaissance particulière personalisée à la connaissance générale.

Un point majeur du passage de l’éducation à une approche préceptorale de « sur mesure », c’est qu’il ne sera plus écrit nulle part COMMENT l’éducateur doit éduquer… puisqu’il faudrait définir autant de modèles qu’il peut exister de combinaisons entre des milliers d’enseignants et leurs millions de « guidés ». C’’est l’éducateur lui-même qui décidera de sa façon d’enseigner en chaque cas, car s’il était possible de lui imposer une procédure stricte et de tracer le plan de ce qui doit être fait et être dit en chaque cas, l’éducateur perdrait sa raison d’être et pourrait être remplacé par une machine, ce qui n’est pas le cas.

Dans un troisième et dernier article sur une éducation en changement, je parlerai d’une DOCIMOLOGIE objective, et aussi du rôle que devra jouer un intervenant qu’on a vu souvent comme un figurant, mais qui désormais deviendra une vedette : l’ORIENTEUR.

 

Pierre JC Allard

 

 


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5 réactions à cet article    


  • Pierre JC Allard Pierre JC Allard 19 novembre 2016 17:45

    Imaginons douze adolescents autour d’une table ronde avec un prof qui est l’animateur. On leur a demandé de lire Candide, maintenant ils vont en parler.. Pour débuter, 3 minutes chacun, a tour de rôle. comme une réunion de C.A... et le prof parle le dernier : il a aussi 3 minutes. Ensuite on discute et le prof clôt cette discussion en faisant une synthèse des opinions. 


    Ensuite, chaque élève a une demi heure pour ECRIRE un résumé de ce qu’il en a retenu. Le prof passe dix (10) minutes SEUL avec chaque élève, parlant du résumé de celui-ci et répondant à ses questions. Apres un temps de repos, la réunions reprend en plenière ; les résumes de tous sont remis a chacun et une discussion reprend. Chacun PEUT s’exprimer, puis le prof conclut et termine avec des instructions pour la prochaine rencontre.  

    Ceci n’est qu’un exemple. Une journée dans la vie dune école sans manuels. Il y aura une foule de variantes, à la discrétion de l’enseignant....


    PJCA 



    • infraçon infraçon 19 novembre 2016 20:23

      Bonjour Pierre JC,
      pourquoi pas un répétiteur (logiciel*) en plus
      http://torrederivante.org/FR/S00000061

      *bon le logiciel n’est pas écrit, yapluka


      • Pierre JC Allard Pierre JC Allard 19 novembre 2016 22:06

        @infraçon 


        On peut y penser, mais est-ce bien le moment de prendre cette direction ? Je crois qu’une approche préceptorale a justement le mérite d’élargir à une dimension plus humaine et non de restreindre aux choix - qui ne sont pas encore illimités - qu’on peut progamme dans un logiciel. Ca se discute, mais je suis persuadé, qu’au Québec tout au moins, un apprentissage selon le modele que je présente ci-dessus prouverait en une seule session scolaire qu’il est largement plus efficace que la potée indigeste de cours magistraux qu’on offre actuellement aux élèves. 

        PJCA



      • infraçon infraçon 20 novembre 2016 09:46

        @Pierre JC Allard

        Bonjour Pierre,

        tout d’abord, j’ai bien écrit « en plus ».
        Ensuite, je sens comme une réticence dans le fait de faire intervenir un logiciel.
        Cependant, si pour vous l’intelligence à faire un logiciel (je ne m’aventurerais pas à parler d’IA) se limite à ce qu’on trouve sur les standards téléphoniques « automatiques » alors oui, je vous comprends.
        Mais on peut imaginer un système qui serait capable de faire des phrases « neutres » pour définir et illustrer un mot. le « nuage » de phrases qui peut être fait autour d’un mot n’est pas non plus illimité. Ce qui permettrait de s’assurer que chaque mot utilisé par un enfant est bien compris par lui, et qu’il saura l’utiliser dans ses éventuels multiples sens. Ce qui peut être une tâche rébarbative pour un précepteur et même parfois un mésusage peut lui passer inaperçu (dans le feu de l’action, si son attention est portée sur autre chose. N’avez vous jamais assisté à une discussion entre deux personnes où l’une dit quelque chose qui passe inaperçue à l’autre qui continue sur son fil et pourtant le débat y aurait gagné à ce qu’elle y prête attention).
        Enfin comme je l’ai aussi écrit, ce logiciel n’est pas lui « encore » écrit.
        Bonne journée Pierre ainsi qu’à tous vos lecteurs.


      • Pierre JC Allard Pierre JC Allard 20 novembre 2016 15:17

        @infraçon


        « je sens comme une réticence dans le fait de faire intervenir un logiciel. »

         Pas du tout. Je dis souvent qu’il faut aller jusqu’au bout des possibilités de « mecanisation », pour que ce qui est unique a l’humais ne soit pas galvaudé a faire quoi que ce soit qu’une machine peut faire. j’insiste seulement ici sur le fait qu’il ne faut pas se satisfaire du travail - relativement - facile de programmer ce qui peut l’être, mais bien s’assurer que ce qui ne peut pas l’être, ce qui aujourd’hui est souvent le cas, ne soit pas relayer aux tablettes. Pour en savoir plus sur ce qu’implique une formation préceptorale, je vous invite à lire ces mini-essais 


        PJCA

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