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Accueil du site > Culture & Loisirs > Culture > Au nom de la Rose ...

Au nom de la Rose ...

Les trois filles du marchand.

Tu ne le sais peut-être pas mon cher Pitchoune, mais l’univers des contes est un perpétuel recommencement. Les récits sont vieux comme le monde : les conteurs vont puiser leur inspiration dans les pas des glorieux anciens. Je suis allé revisiter l’univers de Monsieur Perrault pour te permettre de raconter cette histoire à Victor.

Il était une fois, à l’époque glorieuse de la marine de Loire, un marchand heureux, entouré d'une femme aimante et de leurs trois filles : Aima, Léa et Clara. Ses affaires étaient prospères au fil de l'eau. Il vivait à Orléans, ville centrale du commerce du Royaume. Il venait de signer un gros contrat. Il devait porter par la Loire une grosse cargaison de céréales de Beauce jusqu’à Nantes.

La charge demandait beaucoup de travail ; le risque était grand de l'échauffement et de la perte de la marchandise mais si tout se passait bien, le voyage enrichirait son homme. Dans le cas contraire, la faillite était assurée. L'homme avait confiance en sa bonne étoile et, pour plus de sûreté, il avait décidé d'être du voyage pour veiller à ce que ces coquins de mariniers fassent convenablement leur travail plutôt que de lever la chopine.

À son départ, il demanda à ses filles ce qu'elles désiraient qu'il leur rapporte de Nantes, belle et grande ville qui était en commerce avec les Amériques et l'Afrique. Aima, l'aînée qui était fort coquette , réclama un boubou venu d'Afrique. Léa, plus classique, demanda une chemise en coton : cette nouvelle étoffe qui venait d'Amérique. Quant à Clara, la plus jeune, elle prétendit ne rien vouloir d'autre que le retour de son père. Qu'il lui apporte une fleur suffirait à son bonheur...

Le voyage se passa sans encombre et la vente du grain fut des plus rentables. Le marchand était arrivé en pays nantais alors qu'il y avait pénurie de blé. Les prix étaient élevés ; l'homme d'affaires remplit amplement sa bourse. Satisfait de la bonne opération, il négocia un chargement d'ardoises pour le retour de ses bateaux et laissa son équipage assurer la remonte, plus lente et plus pénible.

Il se mit en demeure de trouver ce que ses deux aînées lui avaient mandé. Quant à la fleur, il en en trouverait bien une sur le chemin. Il acheta un cheval pour rentrer au plus vite car le retour par la Loire est bien plus long , périlleux, incertain, d'une durée imprévisible, à cause des aléas de la navigation et des humeurs du vent. Sa présence sur le bateau n'était plus nécessaire.

Sur la route du retour, il prit un chemin de traverse, à l'écart de la piste habituelle : il tomba sur une gentilhommière qui semblait inoccupée. La végétation avait envahi les allées, des animaux couraient sur les pelouses. Le marchand, tout aussi curieux que harassé par une longue chevauchée, se permit d'entrer dans la demeure…

Dans le salon, à sa grande surprise, une table était dressée. Elle proposait des victuailles alléchantes auxquelles le gourmand succomba sans se soucier que personne ne donnât signe de vie. Après s'être gavé, il explora le joli petit château. Il fit le tour de l’étage, tout aussi vide que le rez-de-chaussée, et se coucha dans une chambre qui lui tendait les bras. Il passa une excellente nuit et ne fut pas autrement surpris de trouver, au petit matin, dans la salle à manger un petit déjeuner qui paraissait avoir été servi en son honneur.

La demeure restait étrangement vide malgré ce prodige d'une table qui se dressait et se desservait mystérieusement. Mais un riche marchand ne s'encombre pas de tels détails, habitué qu'il est, qu’on soit toujours à son service pour son bon plaisir. Il déjeuna de bon cœur et décida de partir ; Orléans n'étant pas si loin, il y serait avant la nuit.

En quittant les jardins, il se rappela la demande de sa chère Clara. Il coupait une magnifique rose quand soudain, des taillis, surgit un renard courroucé : « Voleur ! Tu as été nourri comme il convient à un prince et pour me remercier de mon hospitalité, tu te sauves en me volant une fleur ! » Et tandis que le renard exprimait sa colère, une nuée de corneilles s'en vint assaillir le marchand.

Quand il s'agit d'échapper à une menace, même les plus fiers peuvent se faire humbles et repentants. Le marchand, tout en se protégeant des oiseaux, se pencha vers le renard et lui demanda pardon pour l'offense faite. « Je n'ai pas voulu me montrer grossier. C'est ma jeune fille qui m'avait demandé une fleur, je ne pensais pas agir mal en coupant cette rose, d'autant que jusqu'alors, vous vous étiez montré si généreux. »

D'un geste, le renard mit fin à l'attaque des oiseaux noirs et déclara au marchand. « Soit, je te donne cette fleur mais en échange, tu m'offriras l'une de tes filles. C'est le prix à payer ou bien j'appelle à nouveau les corneilles qui te tailleront en pièces. » Le marchand, pris au piège, accepta ce marché étrange et s'en retourna fort penaud et l'esprit tourmenté en Orléans.

À son retour, ses filles lui firent la fête. Aima adora son boubou, Léa sa chemise tandis que Clara était ravie de trouver son cher père. Mais le bonhomme avait une mine que les demoiselles ne lui connaissaient pas. Il finit par avouer le marché conclu avec l'étrange renard croisé en chemin.

Aima s'emporta. « Ce n'est pas de ma faute, j'ai réclamé un boubou, je n'ai rien à voir avec cette affreuse fleur ! » Léa fit de même : « Je t'ai demandé une chemise, il n'y a aucune raison que je paie le prix imposé pour cette maudite rose. » Clara, toujours discrète et calme ne dit rien mais, le soir même, à son père elle fit part de son intention de respecter sa curieuse promesse.

C'est ainsi que Clara partit vers son destin ! Ses deux sœurs étaient ravies de la voir quitter la maison. Le père, au désespoir, quant à lui , était inconsolable de perdre ainsi celle qu'il préférait. La jeune fille trouva aisément la demeure mystérieuse où elle fut reçue comme une princesse par le renard et tous les animaux du domaine. Traitée merveilleusement, elle avait tout ce qu'elle souhaitait. Pourtant, la vie pour elle était bien triste avec, pour seuls compagnons, des animaux.

Le renard était certes fort prévenant avec elle, mais comment se faire à cette étrange compagnie quand on est une jeune fille, aussi choyée qu’elle pouvait l'être ? Chaque soir, elle devait accepter la présence dans sa couche de l'animal qui se contentait de se blottir à ses pieds. Elle s’était résignée assez vite à cette vie fastueuse mais si monotone.

Le temps passant, elle fut bientôt prise d'une nostalgie diffuse : sa famille lui manquait. Elle se résolut à demander au renard l'autorisation de s'en aller à Orléans passer quelques jours parmi les siens. « Je reviendrai, mon cher renard avant sept jours. Je vous en donne ma parole ! »

Il en fut fait ainsi mais avant son départ, le renard lui remit une rose. « Si la rose se flétrit c'est que je suis malade, si elle perd ses pétales, c'est que je serai mort et qu'il ne sera plus nécessaire pour vous de revenir ici. Gardez-la bien auprès de vous, ma tendre Clara et prenez ainsi de mes nouvelles. Je n'aime pas vous savoir loin de moi. »

Clara s'en retourna chez elle. Elle fut reçue froidement pas ses sœurs qui avaient apprécié son départ. Heureusement ses parents lui montrèrent, tout au contraire, une affection débordante. Manifestement, elle leur avait beaucoup manqué. Elle passa auprès d'eux deux jours merveilleux, se moquant des airs pincés de ses aînées si jalouses !

Elle regardait souvent sa rose qui ne semblait pas changer d'aspect. C'est seulement au matin du troisième jour que la fleur se ternit, que sa teinte se fit moins vive. Clara, alarmée, partit sur le champ rejoindre sa prison dorée. Elle s'était prise d'affection pour ce renard mystérieux. Elle voulait le savoir en bonne santé !

Quand elle arriva dans la demeure, le renard était fort mal en point, le poil terne et le museau brûlant. « Je me suis langui de vous ma chère princesse. Je n'imaginais pas à quel point vous m'étiez devenue indispensable. Je me meurs loin de vous ... » lui murmura le pauvre animal d'une voix presque inaudible.

Clara en fut émue aux larmes, se penchant sur son geôlier si aimable, elle lui déposa un tendre baiser sur la truffe. C'est alors que , comme dans les contes de fées, il se produisit un miracle. L'animal se transforma immédiatement en un beau jeune homme, un prince qui avait eu à subir un maléfice. Une sorcière l'avait ainsi condamné à vivre dans la peau d'un renard jusqu'à ce qu'une femme l'embrasse sur le museau.

Clara, depuis ce jour béni, vit comme une princesse auprès de son Prince Charmant. Elle a fait venir ses parents auprès d'elle. Les corneilles se sont transformées en serviteurs discrets et efficaces. Quant à ses deux sœurs, elles ont préféré un mariage incertain au déplaisir de profiter de la fortune de cette sœur trop aimable.

De cette histoire, Pitchoune, il faut retenir que la modestie des envies est peut-être la meilleure manière de provoquer le destin. Mais je ne suis pas certain que tous les adultes aient ainsi le respect de la parole donnée. Si le bonhomme n'avait rien dit à sa fille, il ne se serait sans doute jamais rien passé. Quant à ceux qui ne croient pas aux sortilèges et aux princes charmants, qu'ils se contentent de leur monde si triste. Je préfère m'évader au pays des fables ; il y fait si bon rêver ensemble !

Rêveusement leur.

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4 réactions à cet article    


  • juluch juluch 31 décembre 2016 12:46

    Perrault n’a qu’à bien se tenir !!  smiley


    La belle et la bête revisité, merci Nabum !

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