L’Allemagne m’a tuer
Les horreurs de la seconde guerre mondiale étaient encore présentes dans la chair des principaux dirigeants quand il fallut reconstruire les pays ruinés par celle-ci : « Plus jamais ça » fut le mot d’ordre de tous et les accords signés en 1963 par le Général de Gaulle et le Chancelier Adenauer scellèrent un pacte d’amitié qui ne pouvait pas ne pas être. Il fut convenu que les deux gouvernements devaient se consulter sur toutes les questions d’intérêt commun.
Une Europe indépendante, pacifique mais pas pacifiste, pouvait émerger. Un équilibre entre les désirs d’empire des uns et des autres était possible : l’Europe en général et la France en particulier avaient cessé de rêver à des colonies. L’Europe qui se construisait était une continuation de sa propre histoire et n’entendait pas en débuter une autre venue d’ailleurs.
L’équilibre européen fut brutalement rompu en 1989 par la chute du mur de Berlin puis la désagrégation de l’Union Soviétique. Les pays dits de l’Europe de l’Est craignaient encore ce qui restait des débris de l’Union Soviétique. Toute idée de Communauté européenne de défense avait été abandonnée depuis longtemps et l’Europe fit le choix d’entrer dans le giron protecteur des Etats-Unis, position commode mais qui impliquait à terme d’accepter de se conformer en tous points à leur mentor.
Après l’Acte unique européen en 1986 divers traités, de Maastricht en 1992, d’Amsterdam en 1997, de Nice en 2001… furent longuement discutés entre membres de l’élite politique en faisant l’hypothèse qu’ils sauraient convaincre les multitudes car rien n’était fait pour expliquer clairement aux peuples les choix faits. Les Hommes politiques étaient devenus, depuis la mort des pères fondateurs de l’Europe, des Messies des temps modernes emplis de solutions normatives pour remplacer ce qui fonctionne par ce qui ne fonctionne pas : l’Europe devait remplacer les Nations.
Pourtant, durant les « Trente Glorieuses » de 1945 à 1973, la France a connu la plus forte expansion économique de son histoire et l'une des plus élevée du monde industriel. Cette croissance s'est accompagnée de profondes mutations de l'appareil de production et des services prouvant ainsi la capacité d’adaptation du système d’économie mixte, un mélange d'économie de marché et d’économie planifiée sous l’égide de l’État, système dans lequel la France se trouvait. Les entreprises publiques représentaient 25% de la valeur ajoutée, hors activités financières, en 1986. Elles employaient plus de 2 millions de salariés avant que des vagues de privatisations interviennent. Lionel Jospin va se montrer maître dans l’art des privatisations partielles comme celle de France Télécom en 1997, puis celles d’Air France, des Autoroutes du sud de la France, de Thomson, d’EADS… La politique d’ouverture du capital du gouvernement Jospin rapportera à l’État plus de 200 milliards de francs.
Ces mesures de privatisations partielles permettaient d’obtenir deux avantages, l’un conjoncturel : le budget de l’État se voyait abondé en grandes quantités, l’autre stratégique : la structure des entreprises françaises pouvaient se comparer à celle des entreprises allemandes où une sorte de cogestion favorise les échanges entre salariés et dirigeants.
Au tout début du second millénaire, une Europe européenne semblait accessible à certains Hommes politiques : il était évident pour tous, y compris pour les personnalités de droite comme de gauche, que la goinfrerie des pays développés pour tout ce qui pouvait se consommer aurait inévitablement un terme. Les valeurs judéo-chrétiennes intimement liées à tous les pays européens non anglo-saxons impliquaient que la fin de cette démesure ne se fasse pas au détriment des plus démunis.
L’intérêt pour un modèle conforme à celui des Etats-Unis plutôt qu’un autre plus en accord avec les cultures européennes n’allait pas de soi. Si l’on compare la quantité de richesses produite par les Etats-Unis et celles produites par la France et l’Allemagne en 1990, la différence n’est que de l’ordre de 10%. En 2013, cette différence s’est considérablement accrue pour atteindre 20%. Le chamboulement d’une structure pour se conformer à celle du Nouveau Monde n’a pas créé un nouveau monde pour tous.
Dans le domaine économique, comme dans toute réalité, il faut se méfier des corrélations qui ne reflètent que ce que l’on souhaitait mettre en avant. Tous les déterminants sont corrélés et le principe même qui lie cause et effet doit être pris avec précaution. Ainsi, lorsque vous diffusez un texte où coexistent deux propositions antagonistes, si l’une d’entre elles recueille une large audience et l’autre pas, vous aurez une forte tendance de privilégier par la suite la proposition qui recueille le plus de suffrages. Cette démarche est la règle pour le journalisme politique comme en économie. Nous allons cependant nous aventurer dans ces mondes.
L’Euro est en usage dès 1999 pour les transactions financières européennes, il est mis en circulation le 1er janvier 2002 sous sa forme fiduciaire (billets, pièces de monnaie). La création d’une monnaie commune pour redonner une certaine indépendance à l’Europe lors des transactions financières allait certainement dans le bon sens, mais la mise en place d’une monnaie unique revenait à cadenasser un état de fait : le choix d’une certaine société s’imposait à tous. Le principal partenaire commercial de la France était (et reste) l’Allemagne : le commerce franco-allemand distance largement tous les autres flux bilatéraux. Les « politiques » vont, chacun à leur manière, agir sur l’équilibre qui existait à la fin des années 1990.
Par deux lois votées en 1998 et 2000, la durée légale du travail est ramenée à 35 heures par le gouvernement de Lionel Jospin. Cette mesure est obligatoire pour toutes les entreprises à compter du 1er janvier 2002. L’allégement du temps de travail grâce à des mesures prises par l’État était historiquement inscrit en France. En1916, l'État limite à 10 heures la journée de travail des femmes âgées de 18 à 21 ans. En 1936, le gouvernement de Front Populaire vote le passage aux 40 heures de travail hebdomadaires, abaissée à 39 heures sous l’impulsion de François Mitterrand. La baisse tendancielle du temps de travail était parfaitement en accord avec les progrès technologiques considérables effectués et par les gains de productivité qui en découlaient. À condition que l’axe sociétal proposé, l’axe historique d’une Europe européenne, fasse l’objet pour le moins d’un accord entre la France et l’Allemagne.
Améliorer la compétitivité d’une entreprise est une formule ampoulée pour privilégier les détenteurs de capitaux au détriment de ceux qui n’en n’ont pas afin que les « investissements » reprennent grâce aux parts de marché prises ou reprises. C’est l’exact opposé de l’approche de distribution des gains de productivité aux travailleurs par l’abaissement du temps de travail. C’est pourtant la politique qui va être mise en œuvre en Allemagne. Les réformes qui ont lieu entre 2003 et 2005, sous le mandat du chancelier Gerhard Schröder « libéralisent » le marché du travail, permettant aux employeurs de payer des salaires de 400 euros mensuels aux salariés ou de 1 euro par jour aux chômeurs de longue durée. Cette mesure, comme d’autres incitant fortement les chômeurs à accepter des emplois même hors de leur qualification, tendaient toutes à améliorer la compétitivité de l’Allemagne vis à vis de ses compétiteurs européens, donc principalement de la France qui était de loin son principal partenaire commercial. De fait, depuis 1961 la France a toujours été le premier importateur de marchandises allemandes.
La balance commerciale d’un pays est la différence, en termes monétaires, entre les exportations et les importations de biens et de services. À partir du début des années 2000, la balance commerciale de la France devient déficitaire alors que celle de l’Allemagne ne cessera pas d’augmenter un solde positif. Il est généralement admis que la dynamique des salaires explique la plus grande partie de l’écart des balances commerciales entre la France et l’Allemagne.
Le sort de l’Europe est ainsi scellé dès l’instant où des politiques antagonistes et incompatibles ont été mises en œuvre par deux de ses principaux pays fondateurs. Est-ce le signe d’une maladresse, d’un manque de perspective ou de rouerie ? Entre la France et l’Allemagne : "Ami d'un jour, ami pour toujours" disait-on !
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