Qu’est-ce que « trahir » ?
Les ralliements réguliers au candidat Emmanuel Macron sont l'occasion de témoignages d'indignation et d'accusation de trahisons. Plutôt que de s'interroger à chaque coup en se demandant si Untel a trahi, ne vaut-il pas mieux énoncer le problème comme suit : "qu'est-ce que trahir" ? Voilà pour l'effort d'objectivité, mais ne faut-il pas aller encore plus loin et, pour éviter la trop grande promptitude du jugement, poser une exigence de temps et insérer des étapes de réflexions avant le moment (trop souvent fulgurant) de la conclusion ?
Il faut toujours, en bon cartésien, poser des étapes préalables dans la résolution d'un problème, avant de déduire et de conclure. Il convient aussi de diviser la question en autant de questions nécessaires à la clarté du raisonnement. Qu'est-ce que la trahison ? Disons, pour faire simple, que c'est la rupture d'une fidélité et/ou d'un engagement. Mais tous les engagements se valent-ils ? Le degré de trahison est aussi fonction du but poursuivi.
1 - Un conflit de fidélités
Chacun est fidèle à des choses de natures et de niveaux différents. Fidèle à ses parents, à son pays, à Dieu, à ses opinions, etc. Mais qui ne s'est jamais trouvé confronté à un conflit de fidélités, voire même à des dilemmes ? Certaines personnes très engagées ont juré fidélité à une Cause, à un parti. Ces personnes-là verront de la trahison dans tout écart de l'idéologie de la Cause ou du Parti. Manuel Valls et Martine Aubry semblent entrer dans ce cas de figure.
Il n'est pas toujours aisé de choisir une fidélité au détriment d'une autre. La foi, en revanche ne se discute pas et ne se dispute pas. Les croyants ne cèderont pas à cette fidélité absolue pour une fidélité moindre (à des idées politiques, par exemple). L'exemple ici serait celui de François Bayrou qui, sans trahir sa foi ni se convictions politiques, a rejoint Macron sous conditions.
Il est des fidélités qui sont appelées à durer pour la vie : la fidélité dans le mariage religieux, par exemple. D'autres fidélités sont liées à des alliances d'intérêts temporaires. Il en va ainsi de la fidélité jurée par Manuel Valls à son compagnon Benoît Hamon. Valls a beau jeu, dès lors, d'invoquer des fidélités bien supérieures, en l'occurrence la défense de la république face aux extrémismes. Son profil laisse penser qu'il est honnête sur ce point. Mais nous verrons qu'il ne l'est pas pour tout...
2 - La qualité de l'engagement
Je pense qu'il est assez juste de dire que le degré de la trahison dépend de la force de l'engagement. Or, un engagement n'est jamais absolu : il est circonstancié dans le temps et dans l'espace. Un engagement peut valoir pour la vie entière ou pour une période bien déterminée : un an, un mois, un jour.
L'engagement de Valls avait pour périmètre la durée de la Primaire et du premier tour de la campagne électorale présidentielle. Quant à l'étendue dans l'espace de cet engagement, il se limite aux électeurs des Primaires de gauche. On peut donc très bien admettre que son engagement envers la totalité du corps électoral et envers son pays (ne serait-ce que par son image d'ancien premier ministre) est d'une valeur plus élevée que cet engagement "de circonstance". Enfin, un ralliement est-il un plein engagement ? Le plus souvent, on se rallie par la force des choses et non par enthousiasme. Un tel engagement peut être rompu au nom des valeurs supérieures, des enjeux exceptionnels (la faiblesse des candidats des partis face à Marine Le Pen).
Jusqu'ici Manuel Valls passe l'épreuve de l'examen, mais voyons la suite.
3 - La bonne foi
Un engagement, cela s'appuie sur la bonne foi de celui qui s'engage. Cela veut dire que celui qui s'engage sait parfaitement à quoi il s'engage, dans quel but, en présence de quels enjeux et dans quel contexte, et qu'il adhère en connaissance de cause à la proposition de s'engager. Manuel Valls savait tout cela et, circonstance aggravante, que Benoît Hamon défendait des propositions très à gauche qui ne sont pas les siennes. Sa bonne foi paraît donc difficile à défendre sur ce terrain, sur le thème : "s'apercevant de la gauchisation de Hamon, Valls a décidé de rompre avec lui". Non !
On peut concevoir des cas de prises de conscience qui nécessitent une certaine maturation, si bien que l'on reste engagé dans un premier temps puis, la montée à la conscience venant, on comprend ce que l'on veut vraiment et on change de cap. La prise de conscience se faisant alors de manière progressive. Mais, ce n'est pas le cas de Manuel Valls qui n'a jamais été dans le camp des idées de Hamon. Alors pourquoi s'est-il engagé en réaffirmant à plusieurs reprises son soutien indéfectible ? Cela apparaît comme une faute sérieuse et un calcul politique intéressé.
Un engagement = 2 euros ?
Tel est le prix d'un reniement national pour la militante qui a déposé une plainte auprès de l'organisation des Primaires de gauche. Un reniement à un engagement de ce niveau ne vaudrait ainsi que deux euros ! A ce prix-là, on peut se permettre de trahir à tour de bras ! Mais trêve de petite plaisanterie, glissons vers la conclusion.
4 - Instruction à charge et à décharge du cas Manuel Valls
On s'est efforcé d'instruire à charge et à décharge, d'un point de vue philosophique, le cas Manuel Valls. Nous avons décortiqué la question et l'avons divisée. Mais, cela ne suffit pas, d'autres questions demeurent :
- La trahison en politique n'a-t-elle pas une nature différente de l'idée que nous nous en faisons dans la vie courante ?
En effet, le mensonge est-il évitable en politique ? Il semble que l'on ne puisse se faire élire en ne disant que la vérité. On habille cette vérité à son avantage, on omet délibérément certains détails, etc. Si le mensonge est légion en politique, c'est qu'il est utile et, par conséquent, la trahison n'y est pas rare. Simplement, c'est une question de dosage dans l'acte de tromper. Celui qui trahit de façon inélégante ou trahit trop systématiquement en suivant son seul intérêt, excède cette dose raisonnable admise dans ce milieu.
- Les trahisons mêlées
La trahison n'apparaît pas clairement, d'une façon pure, quand elle est réciproque ou dans une chaîne de trahisons. Cette considération conduit à nuancer la position intransigeante que j'ai d'abord eue envers Manuel Valls. J'aurais tendance à dire que lorqu'il y a trahison réciproque, les trahisons s'annulent.
En conclusion
Je laisse à chacun le soin de se faire son idée à partir de cette trame. Récapitulons. Il faut, pour examiner une question aussi délicate (si bien sûr on recherche la vérité), suspendre momentanément ses passions et passer le cas au crible des critères après avoir reformulé la question : non pas "Untel a-t-il trahi ?" mais "qu'est-ce que trahir" ?
Ensuite, à la lumière des critères indiqués (fidélité, engagement, bonne foi) se demander dans quelle sphère se place la supposée trahison (si c'est celle de la politique, nous devons relativiser), quel but poursuivait cette trahison ? L'engagement était-il de qualité, solide ? Quel périmètre avait-il ? Certains engagements contiennent en eux-mêmes la trahison à venir. Le problème ne se situe pas alors dans l'engagement lui-même, le moment de la rupture n'étant que logique et inévitable.
Mais au-delà de tous ces aspects extérieurs, il y a la conscience. Seul celui qui rompt un engagement peut en fin de compte évaluer le degré de trahison de son acte.
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