L’ÉTAU
...Il n’y a pas d’intelligence sans liberté de jugement, ni de société prospère sans intelligence. Il faut donc, pour un État totalitaire, se résigner à la bêtise ou à la dissidence, à la pauvreté ou à la critique… nous dit André Comte-Sponville dans son petit traité de grandes vertus.
Je n’ai pas lu le dernier bouquin de Mélenchon sur la vertu mais je le ferai si on me le prête ou l’offre, le moment venu, car même si je n’y apprends rien je pourrai faire la correspondance entre nos ambitions politiques et l’unique structure solide de l’être : la Vertu.
Car quelles que soient les grandes vertus que nous abordions, la générosité, la compassion, l’amour, la bonne foi, la justice, la fidélité, l’humour, la prudence, le courage, la tempérance, la compassion, la gratitude, l’humilité, la simplicité… on les voit toutes indispensables, qu’il en manque une et nous faisons fausse route.
La vertu, c’est démodé, c’est has been ; aujourd’hui on parle de liberté, liberté d’expression, de droits, mais que sont ces belles idées sans vertu ?
Pour moi les vertus sont la curiosité, l’attention et la vigilance, elles incluent toutes les autres, elles gardent le monde ouvert et soi toujours neuf. Elles excluent l’avidité, l’indifférence, la haine, le déni de l’autre, l’arrogance, la malveillance, l’hypocrisie et l’abus de pouvoir.
L’abus de pouvoir est une prise de possession, en force, du territoire de l’autre, quel qu’il soit. Le culot du harceleur n’est pas puissance mais indifférence à l’autre, le déni de son être duquel le harceleur, bien sûr, n’a rien à apprendre. Il avance comme un chasse neige qui s’impose et fait tout gicler hors de sa route ; les vertus nous font marcher bras ouverts, qui accueillent et qui donnent. L’échange.
Nous avons l’air de vouloir lutter contre un monde anxiogène, excluant, inhibant, mais beaucoup le font avec les mêmes armes, les armes qui restent quand il n’y a pas de vertus. Ceux qui veulent rassembler, agressent, culpabilisent, toisent ou condamnent et dans l’échange impossible, l’agressé ne trouve comme moyen de réponse que la justification.
Tout est voué à l’échec. Et c’est voué à l’échec pour la bonne et simple raison que chacun ne conçoit la politique, la démocratie, la capacité de gouverner et d’avancer, que comme un ralliement. Un ralliement c’est penser : nous avons quinze ou vingt pour cent de points communs, je suis derrière, je me rallie. La social-démocratie nous a fait accroire, depuis bien longtemps, que la seule manière de vivre ensemble était d’adopter, en tous points, le consensus. Eh bien non ; le consensus nous a appauvri l’esprit, ramolli l’énergie, et abruti le vivre ensemble. La démocratie est un rapport de force, que la vertu peut rendre vivable ; le conflit d’idées, la dispute, sont la vie, participent de la conscience qui s’accroît de jour en jour, impliquent tous les membres d’une communauté, et c’est d’autant plus net aujourd’hui que l’on voit bien que droite ou gauche ont perdu de leur pertinence pour décrire l’appartenance des uns ou des autres à des projets.
Cela a perdu de la pertinence, mais cela reste la frontière qui sépare les uns des autres. Apparemment, le plus grand nombre oscille, mais poussé dans les retranchement de sa propre conscience, par des débats réels et approfondis, nous verrions des lignes se tracer sur la manière de gouverner ce pays, et la manière de vivre de sa population..
Certains se rejoignent, par exemple, sur la politique extérieure : fin des ingérences et des guerres coloniales ou à but lucratif, partenariat avec la Russie, ou sur l’inverse. Dans les deux camps nous allons de l’extrême gauche à l’extrême droite. Pour ce qui est de la politique intérieure, peu sont enclins à subir la loi contre le droit du travail, la destruction des communes et départements, le délabrement de nos services publics, mais parmi ceux-là beaucoup haïssent les dictateurs sanguinaires, qui pourtant ne leur ont rien fait !
Le choix qui nous est donné est si pauvre, que tout le monde y perdra. D’autant plus que la plupart est mal informée, désinformée ou en proie à ses propres démons.
La grande multitude n’est pas engagée politiquement, elle réagit sur une proposition, un fait qui la heurte ou l’enchante ; à défaut on va où l’on nous dit d’aller, on se résigne ou bien s’abstient.
Nous avons atteint le point crucial de l’individualisme vendu comme pseudo liberté par les ultra ou néo libéraux, en contradiction, en opposition parfaite avec la politique menée par les mêmes. Je ne suis pas convaincue, c’est un euphémisme, que tout ceci a été voulu calculé et mené de mains de maîtres, néanmoins, le résultat est époustouflant et dépasse les rêves les plus fous des malades avides de pouvoir absolu. Cette équation ne semble impossible à résoudre qu’à ceux qui pensent que les choses sont figées. Mais rien n’est figé ; notre conscience, notre détermination à desserrer l’étau, seules, peuvent en venir à bout.
Cette conscience qui ouvre nos yeux sur ce nœud à partir duquel rien ne pourra se faire, de bon, cette détermination à vivre quand même dans un espace plus vaste que la prison de la résignation ou du repli – dont je vous avoue qu’il me trotte dans la tête comme seule issue possible pour moi-, nous permettront, peut-être, de rabattre notre caquet de petits rois déchus de notre royaume usurpé de nantis, et nous ouvriront peut-être le désir du commun, qui lui, nécessite de revenir à la vertu. Aux vertus.
Les vertus ne sont pas dévotion religieuse, mais les seules valeurs qui nous permettent d’être soi, en commun. Et ce n’est pas rien si l’on admet que le commun ni l’être soi ne peuvent être annihilés. Cela peut paraître être un non choix, mais c’est un non choix, puisque c’est le réel. Nous nous adaptons à l’hiver, à la pluie, à la canicule, et si nous avons perdu la capacité d’être un dans le tout, soi dans ensemble, nous constatons que nous ne pouvons pas aller très loin en le niant.
Il nous faut réconcilier le rapport à soi et le rapport aux autres – les autres étant ce qui n’est pas soi, c’est-à dire l’inconnu qui se différencie du familier- ; le rapport à soi n’est pas simplement des pulsions et le passage à l’acte, le rapport aux autres n’étant pas seulement le désir ou le rejet. Si l’on néglige, si l’on occulte, si l’on balaie d’un revers de manche ce rapport à soi vertueux, le premier pas est fait pour le négliger dans notre engagement vis à vis des autres. Tromperies, trahisons, cachotteries, mensonges, harcèlements, invectives, violences, tout ce qui fait le fond de nos valeurs actuelles, le plaisir d’être ensemble quand l’autre ne peut être que faire-valoir ou bouc émissaire, ne peut être repoussé que par notre résistance à cette autorisation qui nous est donnée par les hauts tout puissants, et cette résistance ne peut avoir comme appui que la vertu. Aucun acte qui intégrerait ces nouvelles lois d’échange ne pourrait arriver à quoi que ce soit d’autre que ce qu’elles incitent.
Comme on nous a inculqué que notre liberté d’expression, notre liberté d’être nos différences, notre liberté de déplacement, d’acquisition, étaient notre liberté, nos bagarres, révoltes et indignations leur sont dévolues entièrement. Or notre liberté ne peut se gagner que si l’on sort de ce schéma et que si on la replace dans le cercle vertueux du vivre ensemble. Et dans le vivre ensemble, toutes tombent. Je peux m’exprimer librement que si je vous respecte, je peux vivre ma différence que si je ne l’impose pas comme spectacle ou comme quête de reconnaissance, je peux me déplacer que si cela fait sens dans ma vie et n’est plus la compensation à mes résignations par ailleurs, je peux acquérir que si je ne vous prive de rien. La vertu peut s’immiscer dans notre regard sur nous-mêmes, sans nous faire de mal mais en faisant du bien à tous.
La vertu nous incite à être juste, avec nous-mêmes, avec les autres, et cela sans provoquer de regrets. Encore faut-il avoir en tête ce que cela veut dire, ce que cela implique, ce que cela génère .
Et ce « cela » semble bel et bien perdu. Il est clair que les plus vindicatifs pour préserver leur pré carré, sont les plus malheureux, humiliés, déniés par le pouvoir, et que les modérés, dits bisounours, sont les plus sécurisés, qu’ils le croient à tort ou à raison. Ces deux camps ont tout pour se foutre sur la gueule, et c’est gagné pour ceux contre qui nous voulons lutter. Si nous sommes de la même veine que ceux contre lesquels nous voulons lutter, nous perdrons, ils sont plus forts ; notre seule chance est d’être d’une veine supérieure ; cette supériorité ne sera ni la force ni les armes ni l’audience mais notre détermination, notre courage collectif, et notre vertu.
La vertu comme la loyauté sont les seuls liants solides ; et comme le dit Kropotkine, le paresseux, le lâche, le fourbe se retrouvera bien seul quand aura commencé une société d’échanges et de coopération.
Par ailleurs, Reich a décrit et expliqué la psychologie de masse du fascisme, et cette peur de la liberté qui est la mère de toutes nos souffrances.
Voilà un résumé, succinct comme tout résumé, que j’ai trouvé sur internet :
« Datant des années de crise en Allemagne de 1930 à 1933, cette étude classique de Wilhelm Reich demeure une contribution capitale à la compréhension d'un des principaux phénomènes de notre temps : le fascisme. Reich rejette vigoureusement l'idée que le fascisme représenterait l'idéologie ou l'action d'un individu isolé, d'une nation précise ou encore de tel ou tel groupe politique ou ethnique. Il refuse également l'explication purement socio-économique avancée par les marxistes. Il voit dans le fascisme l'expression de la structure caractérielle irrationnelle propre à l'individu moyen dont les besoins et les pulsions primaires , biologiques , ont été réprimés depuis des millénaires. Reich analyse minutieusement la fonction sociale de cette répression et le rôle capital qu'y jouent la famille et l' Église. Il montre combien toute forme de mysticisme organisé, y compris le fascisme s'explique en définitive par le désir organique insatisfait des masses.
L'importance actuelle de cet ouvrage ne peut être niée. La structure caractérielle humaine qui fût à l'origine des mouvements fascistes organisés demeure : elle domine encore les conflits sociaux d'aujourd'hui. Si nous voulons éviter à notre monde de sombrer dans le chaos et l'agonie , il faut que nous prêtions toute notre attention à la structure caractérielle qui peut provoquer cette catastrophe ; il faut que nous comprenions la psychologie de masse du fascisme. »
En bref, comprenons l’histoire des hommes, soyons vertueux et gageons que cette émancipation devienne collective et nous amène à haïr le pouvoir où qu’il se niche, en nous-mêmes aussi, qu’on le subisse ou qu’on l’impose.
Nous avons raté de peu le premier pas à faire, par peur, par ignorance, à cause d’une multitude de pulsions négatives, de dogmes intégrés comme vérité, et surtout par manque de vertus.
Jamais l’étau s’est à ce point resserré, nous serons broyés, les uns ou les autres, si nous ne prenons garde (1).
(1. locution « prendre garde » : faire attention signifie par extension : ne pas faire ; « n’avoir garde de » : s’abstenir soigneusement ; « se donner garde de » : éviter.)
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