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Commentaire de Asp Explorer

sur Eurotunnel : une réussite technique, un échec financier


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Asp Explorer (---.---.82.42) 19 juillet 2006 00:04

Ces commentaires apportent d’intéressants éclairages, non pas tant sur la bourse, que sur la manière dont elle est perçue par la majorité ignorante. L’outrance militante de certains propos les discréditant sans que j’ai besoin d’en rajouter. Mais je souhaiterai parler un peu du comportement des épargnants.

Quelles leçons tirer du scandale « eurotunnel » ? Probablement que pour placer son argent, il ne faut pas faire confiance à l’Etat, dont la fonction n’est certainement pas de faire le bonheur des épargnants. Rappelons qu’à l’origine, la France et la Grande Bretagne avaient lancé ce projet, sur fonds privés uniquement (à l’instigation des Anglais, mais ça arrangeait aussi le Trésor Français qui était déjà exsangue). Pour financer la construction des infrastructures, on a donc fait appel à deux sources, d’un côté l’emprunt auprès des banques, et de l’autre côté l’épargne publique. Et pour appâter l’épargnant, les pouvoirs publics lui a vanté le « grand projet industriel », les « opportunités d’écrire l’histoire » et autres fadaises.

Le seul problème, c’est qu’il y a eu trop de dettes et pas assez d’épargne ! Le résultat, c’est que chaque année, Eurotunnel, qui est intrinsèquement viable (les recettes de la société couvrent largement ses frais de fonctionnement), voit tout son bénéfice partir en intérêts à payer aux banques, et ça ne suffit pas ! Il y a chaque année un déficit, qui creuse la dette, c’est sans fin. Est-ce la faute des banquiers ? On ne peut tout de même pas leur reprocher de faire des prêts à intérêt, c’est leur métier. Le vrai coupable, ce sont les deux états qui ont mal ficelé le projet. Mais voilà, si Mitterrand et Thatcher ont sur le moment perçu les dividendes politiques de cette « grande réussite technique », maintenant qu’il s’agit de payer les pots cassés, il y a longtemps que ces personnages ont rejoint les livres d’histoire.

Les investisseurs qui avaient acheté à l’introduction ont aujourd’hui perdu leur argent. La plupart ont vendu depuis belle lurette, à d’autres investisseurs, qui ont beaucoup perdu avant de vendre à d’autres qui ont beaucoup perdu, etc... Pourquoi se trouve-t-il toujours des gogos pour acheter ? Pour une raison simple : le petit épargnant est toujours persuadé que « ça ne peut pas descendre plus bas ». Ils raisonnent sur des bases simples, pas nécessairement fausses, mais incomplètes. Ils constatent que le tunnel existe, qu’il est emprunté chaque jour par des dizaines de trains bondés, et que les tarifs sont prohibitifs. Ils se disent donc qu’une société qui engrange autant d’argent ne peut être qu’une bonne affaire. Ils vont faire un tour sur Boursorama et constatent qu’Eurotunnel est une action pas chère. En achetant des actions, ils croient devenir propriétaires d’un bout de tunnel, mais ce qu’ils oublient, c’est qu’ils deviennent aussi propriétaires d’un bout de dette. Et la dette d’Eurotunnel est plus importante que la valeur de ses actifs. C’est comme quelqu’un qui achèterait une maison à 300 000 euros en s’endettant de 350 000 euros. Sur le papier, il est riche, dans les faits, sa fortune ne vaut rien tant qu’il n’aura pas au moins remboursé les 50 000 euros de différence (à supposer qu’il n’y ai pas de krach immobilier, ce qui est une autre histoire). Du point de vue purement comptable, l’action Eurotunnel vaut zéro.

Il y a d’autres cochonneries du même genre qui traînent à la bourse, la plus fameuse étant l’autre Eurodaube, Eurodisney. Voilà un bel investissement, qui a valu jusqu’à 23 euros l’action (c’était en francs à l’époque), et qui aujourd’hui, cote péniblement... 7 centimes. Là encore, il y a eu des générations d’actionnaires persuadés que « ça ne peut pas descendre plus bas ». Je ne vais pas trop me moquer d’eux, pour avoir moi-même acheté de cette chose à environ 1 EUR, puis en avoir racheté vers 0,50 EUR histoire de faire ce qu’on appelle une « moyenne à la baisse ». J’ai revendu trois ans plus tard à 0,35 EUR, et j’ai payé deux briques cette utile leçon de bourse. Là encore, le parc existe, il est bourré tous les week-ends de gens qui payent leur entrée, leur déjeuner, leurs ponchos... Si on se penche plus avant sur le dossier, on s’aperçoit qu’Eurodisney, c’est aussi une énorme réserve foncière payée au prix de la terre à betteraves et qui est aujourd’hui en zone résidentielle sur une ligne de RER. Le principal actionnaire donne confiance, c’est « The Walt Disney Company » (TWDC), que tout le monde connaît. Pourquoi ne pas investir là-dedans ? Parce que le patrimoine foncier, « la pépite » comme disent les gogos, ne peut rapporter de l’argent aux actionnaires que si le parc ferme et liquide ses actifs, ce que TWDC ne permettra jamais, vu que le parc est la principale vitrine de sa marque en Europe. Sous-capitalisé comme Eurotunnel et écrasé sous son endettement pyramidal, Eurodisney n’a jamais fait de bénéfice, mais TWDC n’en a cure : les américains touchent chaque année des royalties pour l’utilisation des personnages Disney, ce qui est parfaitement normal. Et cette rémunération leur suffit amplement. Il n’y a aucune perspective de rentabilité sur ce titre, à court, moyen ou long terme. Là encore, la vraie valeur de l’action Eurodisney, c’est zéro. Et qui blâmer ? Peut-être un peu l’Etat qui a fait la publicité de ce placement miracle, un peu TWDC « Oncle Picsou » pour se soucier assez peu de ses associés, mais surtout, celui qui est à blâmer, c’est le petit épargnant lui-même.

Je suppose que la dernière fois que vous avez acheté un ordinateur, vous avez longuement soupesé chaque configuration, la mémoire de la carte vidéo, le nombre de pixels de l’écran, les enceintes, la taille du clavier, la couleur du boîtier, vous avez consulté la presse et les sites spécialisés, vous avez parcouru les boutiques, vous rapporté ça au prix demandé et vous avez choisi la config la plus appropriée, quitte à y passer quelques après-midi. Pour une voiture d’occasion, vous avez épluché les petites annonces, les journaux automobiles, consulté des garagistes, arpenté les parkings de supermarché... tout ça pour une dépense de quelques centaines ou de quelques milliers d’euros. Mais le boursicoteur moyen, pour investir 10, 20, 30 000 euros, va souvent s’arrêter à quelques « on-dit », à de vagues rumeurs, des approximations, des raisonnements boîteux. Chacun croit avoir « de l’intuition », chacun croit que « le graphe lui parle », ce qui le dispense de s’informer et de réflechir. Croyez-le ou pas, mais la plupart des boursicoteurs mettront plus de sérieux et de temps à choisir un walkman MP3 à 100 euros qu’à placer 100 000 euros sur les marchés financiers. Et après, ils viennent se plaindre, brâmer comme des gorets qu’on égorge, se lamenter qu’ils ont été trahis, floués, roués par des truands sans foi ni loi, pleurer leurs mères que « le bilan était truqué », alors que bien sûr, le bilan, ils ne l’avaient pas consulté avant d’y mettre leur argent. Eh ! Que voulez-vous, il est plus satisfaisant pour l’amour-propre de croire qu’on a été dépouillé par des brigands que d’admettre qu’on a fait n’importe quoi avec son argent.

Et les petits épargnants semblent avoir un flair très sûr pour dénicher de mauvaises affaires ! Tenez, imaginez que nous soyons en juillet 2004 et que je vous donne 10 000 euros à investir, soit en actions du sidérurgiste Arcelor, soit en actions de l’éditeur de jeux vidéo Infogrames. Vous faites quoi ? Comme tout le monde, vous prenez de l’Infogrames, parce que les jeux vidéo, c’est jeune, c’est moderne, c’est l’avenir, la croissance à deux chiffres... tandis que l’acier, c’est vieillot, ça pue, ça pollue, c’est bon pour les pays du tiers-monde. Eh bien, se basant sur ces brillantes analyses, vous auriez laissé passer la hausse d’Arcelor (+185% de 14 à 40 euros) et « profité » de la baisse d’Infogrames (-72%, de 1,80 à 0,50 euros). Et je vous fais grâce des rendements respectifs de ces deux actions. Bon, vous avez perdu mon argent, mais comme je ne suis pas chien, je vous donne une autre chance. Revoici 10 000 euros, aujourd’hui, est-ce que vous allez les placer dans le banquier britannique HSBC ou dans le roi du MP3 Apple ? Rendez-vous dans deux ans.


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