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Commentaire de claude piron

sur 15 décembre


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claude piron 24 mai 2007 16:44

Funram, Vous dites que la mondialisation aurait besoin d’une langue adaptable mais rigoureuse et précise. En effet. Mais justement, l’espéranto répond mieux que la plupart des langues à ces critères. Quand vous dites qu’il est « inadapté à certaines rigueurs des métiers techniques », vous m’intriguez. Sur quelle étude, quelle recherche, quelle expérience vous fondez-vous ?

J’ai été traducteur pendant un certain nombre d’années, j’ai fait de la traduction technique à longueur de journée, je sais bien l’espéranto, je sais bien l’anglais, je sais pas mal l’allemand, et pour moi il n’y a aucun doute, l’espéranto est plus précis que l’anglais et que le français, et plus souple, sans perdre de sa précision, que l’allemand. En français, la phrase « il l’aime plus que moi » peut avoir douze significations (« Il l’aime, elle, plus qu’il ne m’aime moi », « il l’aime, lui, plus qu’il ne m’aime moi », « il l’aime, elle, plus que moi je ne l’aime », etc.). L’espéranto exprime l’idée de façon précise évitant chaque fois toute ambiguïté ; or ce résultat est atteint sans aucune complication grammaticale. Une des caractéristiques les plus étonnantes de l’espéranto est que c’est une langue à la fois libre, précise et rigoureuse. Il n’y aurait d’ailleurs pas une douzaine de Prix Nobel pratiquant l’espéranto si ce n’était pas une langue d’une grande rigueur intellectuelle. J’ai sous la main un texte scientifique rédigé en espéranto par le mathématicien Reinhard Selten, Prix Nobel d’il y a quelques années, son langage n’a rien à envier à celui des scientifiques les plus rigoureux s’exprimant dans d’autres langues.

Je ne suis pas d’accord avec vous en ce qui concerne l’anglais. C’est une langue très ambiguë, parce que les mots ont des champs sémantiques trop vastes. Par exemple, là où nous distinguons pétrole, essence et gaz , les Britanniques disent petrol pour « essence » et « pétrole », et les Américains gas pour « essence » et « gaz ». J’ai lu récemment un texte où pour expliquer qu’il s’agissait d’un moteur à gaz, l’auteur avait dû faire des contorsions compliquées pour qu’on ne risque pas de confondre avec un moteur ordinaire à essence. En espéranto, comme en français, on distingue sans problème les trois notions. Et je me souviens d’un texte écrit par un Coréen où on n’arrivait pas à comprendre si by reducing gases voulait dire « en réduisant les gaz » ou « au moyen de gaz réducteurs ». Ou pensez à un verbe comme develop, qui peut signifier aussi bien « créer », « mettre au point » que « développer », « donner de l’ampleur ».

En outre, en anglais, on ne sait jamais à quel mot se rapporte quel mot. Dans une annonce parue dans New Scientist qui concernait le recrutement d’ un freeze dried pharmaceutical manager , la langue ne permet pas de savoir s’il s’agit d’un « directeur desséché sous congélation pour la section des produits pharmaceutiques » ou d’une « personne appelée à diriger la section des produits lyophilisés ». Vous me direz que dans ce cas, le bon sens supplée au manque de rigueur linguistique, mais ce n’est pas toujours le cas. Pour reprendre un exemple que j’ai cité dans plusieurs de mes écrits, dans Japanese encephalitis vaccine, on ne sait pas s’il s’agit d’un vaccin produit au Japon contre toutes les formes d’encéphalite ou d’un vaccin protégeant de la forme spécifique appelée « encéphalite japonaise ». L’espéranto, avec des moyens d’une simplicité enfantine, évite l’ambiguïté : japana encefalit-vakcino désigne le vaccin produit au Japon contre toutes les encéphalites, et japan-encefalita vakcino le vaccin spécifique de l’encéphalite japonaise, quel que soit le laboratoire où il est préparé.

Si l’espéranto était adopté comme langue technique mondiale, cela ne soulèverait guère de difficultés. Il y a des spécialistes de presque toutes les disciplines qui savent la langue et qui se sont entendus pour résoudre les problèmes de terminologie. Ceux-ci, en général, ne sont pas terribles parce que l’espéranto emprunte sans difficulté aux autres langues. Avec Internet, la mise au point des termes techniques peut être très rapide. L’expérience du chinois et de l’arabe à l’ONU montre que dès qu’on empoigne les problèmes de terminologie technique il n’est pas difficile de trouver des solutions. Or, trouver des équivalents aux termes occidentaux dans ces langues-là est infiniment plus difficile qu’en espéranto.

Quant à la beauté ou laideur de l’espéranto, c’est vraiment une affaire de goûts, donc de subjectivité. Il y a deux semaines, à l’hôpital, alors que je venais de parler espéranto avec un patient polonais, une dame qui m’avait entendu m’a demandé : « Qu’elle est jolie, cette langue que vous venez de parler avec ce monsieur ! C’est quoi ? » Sa voisine a renchéri dans le même sens. C’est une remarque que j’ai souvent entendue. Évidemment, il y a des gens qui prononcent atrocement mal l’espéranto, comme n’importe quelle autre langue. Il est possible que ce soient des gens comme cela que vous ayez entendus. Mais il est possible que même l’espéranto parlé magnifiquement (à mon point de vue subjectif à moi) vous paraisse affreux, parce que vos principes esthétiques sont différents des miens, et je vous reconnais tout à fait le droit de les défendre. Ce détail secondaire ne devrait tout de même pas nous porter à écarter l’espéranto si par ailleurs il présente plus d’avantages que les autres solutions. Personnellement, les lettres w et y ne me plaisent pas du tout, esthétiquement, donc un mot comme why en anglais me paraît particulièrement laid, mais cela ne m’empêche pas d’utiliser l’anglais quand j’en ai besoin.

Quand je dis que l’espéranto est plus avantageux que les autres solutions, ce n’est pas une affirmation en l’air. J’ai étudié la question. Voir mon article « Communication linguistique - Étude comparative faite sur le terrain » paru en 2002 dans Language Problems & Language Planning, et reproduit sur http://claudepiron.free.fr/articlesenfrancais/etudesurterrain.htm .


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